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— Ah ! bien. L’autre est dans les fraisiers, au bord du puits.

Et elle se mit à sangloter si fort qu’elle gémissait à fendre les cœurs.

La fille Rosalie prudent fut acquittée.

2 mars 1886

Sur les chats

I

Cap d’Antibes.

Assis sur un banc, l’autre jour, devant ma porte, en plein soleil, devant une corbeille d’anémones fleuries, je lisais un livre récemment paru, un livre honnête, chose rare, et charmant aussi, Le Tonnelier, par Georges Duval. Un gros chat blanc, qui appartient au jardinier, sauta sur mes genoux, et, de cette secousse, ferma le livre que je posai à côté de moi pour caresser la bête.

Il faisait chaud ; une odeur de fleurs nouvelles, odeur timide encore, intermittente, légère, passait dans l’air, où passaient aussi parfois des frissons froids venus de ces grands sommets blancs que j’apercevais là-bas.

Mais le soleil était brûlant, aigu, un de ces soleils qui fouillent la terre et la font vivre, qui fendent les graines pour animer les germes endormis, et les bourgeons pour que s’ouvrent les jeunes feuilles. Le chat se roulait sur mes genoux, sur le dos, les pattes en l’air, ouvrant et fermant ses griffes, montrant sous ses lèvres ses crocs pointus et ses yeux verts dans la fente presque close de ses paupières. Je caressais et je maniais la bête molle et nerveuse, souple comme une étoffe de soie, douce, chaude, délicieuse et dangereuse. Elle ronronnait ravie et prête à mordre, car elle aime griffer autant quatre flattée. Elle tendait son cou, ondulait, et quand je cessais de la toucher, se redressait et poussait sa tête sous ma main levée.

Je l’énervais et elle m’énervait aussi, car je les aime et je les déteste, ces animaux charmants et perfides. J’ai plaisir à les toucher, à faire glisser sous ma main leur poil soyeux qui craque, à sentir leur chaleur dans ce poil, dans cette fourrure fine, exquise. Rien n’est plus doux, rien ne donne à la peau une sensation plus délicate, plus raffinée, plus rare que la robe tiède et vibrante d’un chat. Mais elle me met aux doigts, cette robe vivante, un désir étrange et féroce d’étrangler la bête que je caresse. Je sens en elle l’envie qu’elle a de me mordre et de me déchirer, je la sens et je la prends, cette envie, comme un fluide qu’elle me communique, je la prends par le bout de mes doigts dans ce poil chaud, et elle monte, elle monte le long de mes nerfs, le long de mes membres jusqu’à mon cœur, jusqu’à ma tête, elle m’emplit, court le long de ma peau, fait se serrer mes dents. Et toujours, toujours, au bout de mes dix doigts je sens le chatouillement vif et léger qui me pénètre et m’envahit.

Et si la bête commence, si elle me mord, si elle me griffe, je la saisis par le cou, je la fais tourner et je la lance au loin comme la pierre d’une fronde, si vite et si brutalement qu’elle n’a jamais le temps de se venger.

Je me souviens qu’étant enfant, j’aimais déjà les chats avec de brusques désirs de les étrangler dans mes petites mains ; et qu’un jour, au bout du jardin, à l’entrée du bois, j’aperçus tout à coup quelque chose de gris qui se roulait dans les hautes herbes. J’allai voir ; c’était un chat pris au collet, étranglé, râlant, mourant. Il se tordait, arrachait la terre avec ses griffes, bondissait, retombait inerte, puis recommençait, et son souffle rauque, rapide, faisait un bruit de pompe, un bruit affreux que j’entends encore.

J’aurais pu prendre une bêche et couper le collet, j’aurais pu aller chercher le domestique ou prévenir mon père. Non, je ne bougeai pas, et, le cœur battant, je le regardai mourir avec une joie frémissante et cruelle ; c’était un chat ! C’eût été un chien, j’aurais plutôt coupé le fil de cuivre avec mes dents que de le laisser souffrir une seconde de plus.

Et quand il fut mort, bien mort, encore chaud, j’allai le tâter et lui tirer la queue.

II

Ils sont délicieux pourtant, délicieux surtout, parce qu’en les caressant, alors qu’ils se frottent à notre chair, ronronnent et se roulent sur nous en nous regardant de leurs yeux jaunes qui ne semblent jamais nous voir, on sent bien l’insécurité de leur tendresse, l’égoïsme perfide de leur plaisir.

Des femmes aussi nous donnent cette sensation, des femmes charmantes, douces, aux yeux clairs et faux, qui nous ont choisis pour se frotter à l’amour près d’elles, quand elles ouvrent les bras, les lèvres tendues, quand on les étreint, le cœur bondissant, quand on goûte la joie sensuelle et savoureuse de leur caresse délicate, on sent bien qu’on tient une chatte, une chatte à griffes et à crocs, une chatte perfide, sournoise, amoureuse ennemie, qui mordra quand elle sera lasse de baisers.

Tous les poètes ont aimé les chats. Baudelaire les a divinement chantés. On connaît son admirable sonnet :

« Les amoureux fervents et les savants austères Aiment également, dans leur mûre saison, Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, Qui comme eux sont frileux, et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté, Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres. L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté ?
Ils prennent, en songeant, les nobles attitudes Des grands sphinx allongés au fond des solitudes Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin.
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques. Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin, Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques. »

III

Moi j’ai eu un jour l’étrange sensation d’avoir habité le palais enchanté de la Chatte-Blanche, un château magique où régnait une de ces bêtes onduleuses, mystérieuses, troublantes, le seul peut-être de tous les êtres qu’on n’entende jamais marcher.

C’était l’été dernier, sur ce même rivage de la Méditerranée.

Il faisait, à Nice, une chaleur atroce, et je m’informai si les habitants du pays n’avaient point dans la montagne au-dessus quelque vallée franche où ils pussent aller respirer.

On m’indiqua celle de Thorenc. Je la voulus voir.

Il fallut d’abord gagner Grasse, la ville des parfums, dont je parlerai quelque jour en racontant comment se fabriquent ces essences et quintessences de fleurs qui valent jusqu’à deux mille francs le litre. J’y passai la soirée et la nuit dans un vieil hôtel de la ville, médiocre auberge où la qualité des nourritures est aussi douteuse que la propreté des chambres. Puis je repartis au matin.

La route s’engageait en pleine montagne, longeant des ravins profonds et dominée par des pics stériles, pointus, sauvages. Je me demandais quel bizarre séjour d’été on m’avait indiqué là ; et j’hésitais presque à revenir pour regagner Nice le même soir, quand j’aperçus soudain devant moi, sur un mont qui semblait barrer tout le vallon, une immense et admirable ruine profilant sur le ciel des tours, des murs écroulés, toute une bizarre architecture de citadelle morte. C’était une antique cornmanderie de Templiers qui gouvernait jadis le pays de Thorenc.