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J’étais ravie. Je sentais qu’il mordait déjà.

Le soir même, Rose me disait :

— Je puis maintenant promettre à Madame, que ça ne durera pas plus de quinze jours. Monsieur est très facile.

— Ah ! Vous avez déjà essayé ?

— Non, Madame ; mais ça se voit au premier coup d’œil. Il a déjà envie de m’embrasser en passant à côté de moi.

— Il ne vous a rien dit ?

— Non, Madame ; il m’a seulement demandé mon nom… Pour entendre le son de ma voix.

— Très bien, ma bonne Rose. Allez le plus vite que vous pourrez.

— Que Madame ne craigne rien. Je ne résisterai que le temps nécessaire pour ne pas me déprécier.

Au bout de huit jours, mon mari ne sortait presque plus. Je le voyais rôder toute l’après-midi dans la maison ; et ce qu’il y avait de plus significatif dans son affaire, c’est qu’il ne m’empêchait plus de sortir. Et moi j’étais dehors toute la journée… pour… pour le laisser libre.

Le neuvième jour, comme Rose me déshabillait, elle me dit d’un air timide :

— C’est fait, Madame, de ce matin.

— Je fus un peu surprise, un rien émue même, non de la chose, mais plutôt de la manière dont elle me l’avait dite. Je balbutiais. « Et… et… ça s’est bien passé ?…

— Oh ! Très bien, Madame. Depuis trois jours déjà me pressait, mais je ne voulais pas aller trop vite. Madame me préviendra du moment où elle désire le flagrant délit.

— Oui, ma fille. Tenez !… Prenons jeudi.

— Va pour jeudi, Madame. Je n’accorderai rien jusque-là pour tenir Monsieur en éveil.

— Vous êtes sûre de ne pas manquer ?

— Oh ! Oui, Madame, très sûre. Je vais allumer Monsieur dans les grands prix, de façon à le faire donner juste à l’heure que Madame voudra bien me désigner.

— Prenons cinq heures, ma bonne Rose.

— Ça va pour cinq heures Madame ; et à quel endroit ?

— Mais… dans ma chambre.

— Soit, dans la chambre de Madame.

Alors, ma chérie, tu comprends ce que j’ai fait. J’ai été chercher papa et maman d’abord, et puis mon oncle d’Orvelin, le président, et puis M. Raplet, le juge, l’ami de mon mari. Je ne les ai pas prévenus de ce que j’allais leur montrer. Je les ai fait entrer tous sur la pointe des pieds jusqu’à la porte de ma chambre. J’ai attendu cinq heures, cinq heures juste… Oh ! Comme mon cœur battait. J’avais fait monter aussi le concierge pour avoir un témoin de plus ! Et puis… et puis, au moment où la pendule commence à sonner, pan, j’ouvre la porte toute grande… Ah-ah-ah ! Ça y était en plein… en plein ma chère… Oh ! Quelle tête !… si tu avais vu sa tête ! Et il s’est retourné… l’imbécile ! Ah ! Qu’il était drôle je riais, je riais. Et papa qui s’est fâché, qui voulait battre mon mari. Et le concierge, un bon serviteur, qui l’aidait à se rhabiller… devant nous… devant nous… Il boutonnait ses bretelles… que c’était farce !… Quant à Rose, parfaite ! Absolument parfaite… Elle pleurait… elle pleurait très bien. C’est une fille précieuse… Si tu en as jamais besoin, n’oublie pas !

Et me voici… Je suis venue tout de suite te raconter la chose… tout de suite. Je suis libre. Vive le divorce ! Et elle se mit à danser au milieu du salon, tandis que la petite baronne, songeuse et contrariée, murmurait :

Pourquoi ne m’as-tu pas invitée à voir ça ?

22 décembre 1885

Madame Parisse

I

J’étais assis sur le môle du petit port d’Obernon près du hameau de la Salis, pour regarder Antibes au soleil couchant. Je n’avais jamais rien vu d’aussi surprenant et d’aussi beau.

La petite ville, enfermée en ses lourdes murailles de guerre construites par M. de Vauban, s’avançait en pleine mer, au milieu de l’immense golfe de Nice. La haute vague du large venait se briser à son pied, l’entourant d’une fleur d’écume ; et on voyait, au-dessus des remparts, les maisons grimper les unes sur les autres jusqu’aux deux tours dressées dans le ciel comme les deux cornes d’un casque antique. Et ces deux tours se dessinaient sur la blancheur laiteuse des Alpes, sur l’énorme et lointaine muraille de neige qui barrait tout l’horizon.

Entre l’écume blanche au pied des murs, et la neige blanche au bord du ciel, la petite cité éclatante et debout sur le fond bleuâtre des premières montagnes offrait aux rayons du soleil couchant une pyramide de maisons aux toits roux, dont les façades aussi étaient blanches, et si différentes cependant qu’elles semblaient de toutes les nuances.

Et le ciel, au-dessus des Alpes, était lui-même d’un bleu presque blanc, comme si la neige eût déteint sur lui ; quelques nuages d’argent flottaient tout près des sommets pales ; et de l’autre côté du golfe, Nice couchée au bord de l’eau s’étendait comme un fil blanc entre la mer et la montagne. Deux grandes voiles latines, poussées par une forte brise, semblaient courir sur les flots. Je regardais cela, émerveillé.

C’était une de ces choses si douces, si rares, si délicieuses à voir qu’elles entrent en vous, inoubliables comme des souvenirs de bonheur. On vit, on pense, on souffre, on est ému, on aime par le regard. Celui qui sait sentir par l’œil éprouve, à contempler les choses et les êtres, la même jouissance aiguë, raffinée et profonde, que l’homme à l’oreille délicate et nerveuse dont la musique ravage le cœur.

Je dis à mon compagnon, M. Martini, un Méridional pur sang :

— Voilà, certes, un des plus rares spectacles qu’il m’ait été donné d’admirer.

« J’ai vu le Mont-Saint-Michel, ce bijou monstrueux de granit, sortir des sables au jour levant.

« J’ai vu, dans le Sahara, le lac de Raïanechergui, long de cinquante kilomètres, luire sous une lune éclatante comme nos soleils et exhaler vers elle une nuée blanche pareille à une fumée de lait.

« J’ai vu dans les îles Lipari, le fantastique cratère de soufre du Volcanello, fleur géante qui fume et qui brûle, fleur jaune démesurée, épanouie en pleine mer et dont la tige est un volcan.

« Eh bien ! Je n’ai rien vu de plus surprenant qu’Antibes debout sur les Alpes au soleil couchant.

« Et je ne sais pourquoi des souvenirs antiques me hantent ; des vers d’Homère me reviennent en tête ; c’est une ville du vieil Orient, ceci, c’est une ville de l’Odysée, c’est Troie ! bien que Troie fût loin de la mer.

M. Martini tira de sa poche le guide Sarty et lut : — Cette ville fut à son origine une colonie fondée par les phocéens de Marseille, vers l’an 340 avant J.-C. Elle reçut d’eux le nom grec d’Antipolis, c’est-à-dire “contreville”, ville en face d’une autre, parce qu’en effet elle se trouve opposée à Nice, autre colonie marseillaise.

« Après la conquête des Gaules, les Romains firent d’Antibes une ville municipale ; ses habitants jouissaient du droit de cité romaine.

« Nous savons, par une épigramme de Martial, que, de son temps…

Il continuait. Je l’arrêtai :

— Peu m’importe ce qu’elle fut. Je vous dis que j’ai sous les yeux une ville de l’Odyssée. Côte d’Asie ou côte d’Europe, elles se ressemblaient sur les deux rivages ; et il n’en est point, sur l’autre bord de la Méditerranée qui éveille en moi, comme celle-ci, le souvenir des temps héroïques.