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Le temps que je le rejoigne, il était en train d’explorer ma trousse de toilette. Je l’avais pris par le bras mais il m’avait repoussé. La seconde fois que j’avais essayé, il m’avait poussé rudement et j’étais tombé par terre. Avant de toucher le sol, j’avais décidé que ce n’était pas des flics.

Plutôt que de me relever pour une troisième tentative, je lui avais lancé un coup de pied d’où j’étais et l’avais atteint au tibia avec mon talon. Le résultat n’avait pas été aussi spectaculaire que lorsque j’avais touché Paul au bas-ventre mais plus que suffisant pour mes desseins. J’avais eu le temps de me mettre debout et l’avais cueilli au menton avec un gauche bien senti. Il s’était effondré et n’avait plus bougé. Pas mal pour un seul coup de poing. Si je pouvais faire ça sans une pierre dans la main, je serais une véritable terreur.

Mon triomphe n’avait duré que l’espace de quelques secondes. Un sac de boulets de canon m’était tombé sur le dos, ou du moins ce fut mon impression. Des bras m’avaient agrippé par-derrière et m’avaient jeté par terre de la manière la moins sportive qui soit. Le gros était beaucoup plus rapide que son apparence pouvait le faire croire, et pendant qu’il me tordait le bras derrière le dos et m’attrapait par les cheveux, j’avais commencé à réaliser que cette masse se composait plus de muscles que de graisse. Même son estomac était dur comme du bois.

– Bon, Fred, il me semble que c’est le moment d’avoir une petite conversation, avait-il dit.

Danse des étoiles…

Etendu là, avec mes bleus, mes contusions, mes douleurs et ma confusion, je décidai que le professeur Merimee avait presque atteint le cœur, paisible et froid, des choses, là où se cachent les définitions. Absurde, en effet, que le passé me tende une main secourable quand elle m’était le plus inutile.

Étendu là donc, jurant dans ma barbe, en me retraçant les événements passés, je devins vaguement conscient d’une petite fourrure sombre se mouvant le long de ma frontière sud. Elle s’arrêta, regarda puis repartit. Un carnivore, sans nul doute, décidai-je. Pour toute défense, je frémis, puis haussai les épaules. Inutile d’appeler à l’aide. Absolument inutile. Mais je pouvais me consoler en me disant qu’il y avait une certaine malice à disparaître de cette façon.

Je tentai donc de cultiver le stoïcisme tout en essayant, malgré mes liens, d’avoir une meilleure vision de la petite bête. Elle toucha ma jambe droite, et je frémis convulsivement mais je n’éprouvai aucune douleur. Au bout d’un moment, elle s’attaqua à ma jambe gauche. Venait-elle de dévorer mon pied insensible ? me demandai-je. Est-ce que ça lui avait plu ?

Quelques minutes plus tard, elle se retourna, avança le long de mon côté gauche et je pus enfin l’apercevoir plus clairement. Je vis un petit marsupiau à l’air stupide, un wombat, à l’apparence inoffensive, visiblement curieux et absolument inintéressé par mes extrémités. Je soupirai et sentis la tension qui me tenaillait se relâcher un peu. Qu’il renifle tout ce qu’il voulait, il était le bienvenu. Quand on va mourir, la compagnie d’un wombat, c’est encore mieux que rien du tout.

Je repensai au poids sur mon corps, à la douleur de mon bras tordu, tandis que le lourdaud, ignorant son compagnon évanoui, s’était assis sur moi en disant :

– Tout ce que je veux, c’est la pierre. Où est-elle ?

– La pierre ? avais-je répondu en commettant l’erreur de prendre un ton interrogateur.

La pression sur mon bras s’était accrue.

– La pierre de Byler, avait-il dit, vous savez très bien de quoi je parle.

– Oui, en effet ! avais-je acquiescé. Lâchez-moi, voulez-vous ? Ce n’est pas un secret ce qui lui est arrivé. Je vais tout vous dire.

– Allons-y, avait-il dit en me soulageant d’un millième de son poids.

Je lui avais donc raconté l’histoire du fac-similé et comment nous l’avions obtenu. Je lui avais dit tout ce que je savais sur cette sacrée histoire.

Comme je le craignais, il n’en avait pas cru un mot. Et pire encore, entre-temps son partenaire s’était réveillé. Il était aussi d’avis que je mentais et avait voté pour continuer l’interrogatoire.

Ce qui fut fait. Au bout de quelques minutes, étouffantes et grésillantes, tandis qu’ils se reposaient pour masser leurs jointures et reprendre leur souffle, le grand avait dit au gros :

– Ça ressemble fort à ce qu’il a dit à Byler.

– Ça ressemble à ce que Byler a dit qu’il lui avait dit, avait corrigé l’autre.

– Si vous avez parlé à Paul, avais-je dit, que pourrais-je vous apprendre de plus ? Il avait l’air d’être au courant – ce qui n’est pas mon cas – et je lui ai dit ce que je savais au sujet de cette pierre : exactement ce que je viens de vous dire.

– Oh ! nous lui avons parlé tout ce qu’il y a de mieux, avait dit le grand, et il nous a parlé. On peut même dire qu’il en a craché ses poumons.

– Mais je n’étais pas sûr de lui, alors, avait dit le gros, et je suis encore moins sûr de lui maintenant. Qu’est-ce que vous avez fait à la minute où il s’est tiré ? Vous êtes venu dans ce damné pays pour creuser des trous. Je crois que vous êtes de mèche tous les deux et que vous avez inventé une histoire qui tient debout. Je crois que la pierre est ici, quelque part, et je crois aussi que vous savez exactement comment mettre la main dessus. Alors, vous allez nous le dire gentiment. Vous avez le choix entre la voie facile ou la voie difficile. Comme vous voulez.

– Je vous ai déjà dit…

– Vous avez fait votre choix, avait-il dit.

La période qui avait suivi s’était avérée on ne peut moins satisfaisante pour les deux parties. Ils n’avaient pas obtenu ce qu’ils voulaient, et moi non plus. Ce qui me faisait le plus peur, à ce moment, c’était la mutilation. Un passage à tabac, je peux y survivre. Mais quand il est question de couper des doigts ou d’énucléer, le fait de parler ou de ne pas parler s’apparente plus à une question de vie ou de mort. Une fois qu’on s’engage dans ce genre de choses, c’est en quelque sorte un phénomène irréversible. L’interrogateur se croit obligé de continuer tant qu’il sent une résistance, et, finalement, on en arrive au point où la mort est préférable pour l’interrogé. Une fois ce stade atteint, cela devient une sorte de course entre les deux : pour l’un, obtenir les informations désirées, et pour l’autre, la mort. Bien entendu, l’incertitude concernant l’attitude de l’interrogateur peut être aussi efficace que le fait de savoir qu’il a l’intention d’aller jusqu’au bout. Dans ce cas précis, j’étais sacrément certain qu’ils en étaient capables. A cause de Byler. Mais le gros n’était pas satisfait de l’histoire de Paul, je voyais bien ça. Si je parvenais à atteindre ce même point de non-retour et gagner la course, il serait encore moins content. Dans la mesure où il ne voulait pas admettre que je ne possédais pas l’information qu’il désirait, il pouvait supposer que j’avais du courage à revendre. Je crois que c’est ce qui détermina sa décision de procéder avec prudence, sans toutefois que cela l’empêchât d’envisager le pire.

Toutes ces réflexions, je me les offris en guise de préambule à son commentaire : « Laissons-le au soleil pour qu’il se transforme en raisin sec », suivi de plusieurs minutes pendant lesquelles il essuya la sueur de son front avec son mouchoir de soie, en attendant ma réponse. Déçus, ils m’avaient traîné là où je pourrais me dessécher, me ratatiner et concentrer tous les sucres de mon corps à loisir. Puis ils étaient retournés à leur véhicule, garni d’une glacière, s’étaient installés à l’ombre de mon abri, et périodiquement, inventaient, à mon intention, un slogan publicitaire sur la fraîcheur de la bière, à chaque fois qu’ils allaient en chercher.