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Voici donc pour l’après-midi. Plus tard, ils avaient décidé qu’une nuit de vent et de sable à la belle étoile était également nécessaire à ma conversion en raisin sec. Ils étaient donc allés chercher des sacs de couchage et des ustensiles de cuisine dans leur véhicule et avaient poursuivi leur installation. S’ils avaient pensé que les odeurs de cuisine allaient me donner faim, ils s’étaient trompés. Cela m’avait donné simplement envie de vomir.

J’avais observé le coucher du soleil. L’homme sur la Lune se tenait sur la tête.

Combien de temps étais-je resté inconscient, je ne le savais pas. Je n’entendais aucun bruit en provenance du campement et je ne voyais aucune lumière dans cette direction. Le wombat avait rampé jusqu’à mon côté droit et s’était installé là, en émettant des petits bruits rythmés et doux. Il était à moitié appuyé contre mon bras et je sentais ses mouvements, sa respiration.

Je ne connaissais toujours pas le nom de mes bourreaux, et je n’avais pas non plus obtenu un seul fait nouveau concernant l’objet de leurs recherches : la pierre des étoiles. Non pas que cela m’importait, en fait, si ce n’est dans un sens tout à fait théorique. Pas en cet instant. J’étais certain de mourir à plus ou moins brève échéance. La nuit avait apporté une brise glacée à vous faire claquer des dents et si cela ne m’achevait pas, je supposais que mes interrogateurs s’occuperaient du reste.

D’après mes souvenirs d’un cours de psychophysiologie, ce n’était pas l’état absolu d’un organe sensoriel que nous percevions mais plutôt ses rythmes de changement. Donc, si je parvenais à rester complètement immobile, en me prenant pour un Japonais dans un bain de vapeur, la sensation de froid s’évanouirait. Mais cela, c’était plus une question de confort que de survie. Bien que le soulagement fût mon objectif immédiat, je détectai pourtant, au fin fond de mon esprit, l’envie de vivre.

Je ne la chassai pas de mes pensées, parce que cette méthode me semblait utile – ce qui, bien entendu, est une autre façon de dire que je suis d’une nature faible et irrésolue. Je ne discuterai pas.

Je me souvins d’une technique de respiration qui me donnait toujours chaud quand je m’y livrais pendant mon cours de yoga. J’entrepris donc de me livrer à cet exercice mais ma respiration s’échappait de ma poitrine comme un soufflet de forge. Je m’étouffai à moitié et me mis à tousser.

Le wombat se retourna et sauta sur ma poitrine. Je me mis à crier mais il enfonça une de ses pattes dans ma bouche. De ma main gauche, je le pris par la peau du cou, avant de me rappeler que ma main gauche était censée être liée.

Il résista de toute la force des trois pattes qui lui restaient, mit son museau contre mon visage et murmura d’une voix enrouée : « Vous compliquez les choses à plaisir, Monsieur Cassidy. Lâchez mon cou immédiatement et restez tranquille. » Il était évident que j’étais en plein délire. Que ce délire apporta un certain confort à ma fin tragique me semblait, cependant, plutôt agréable. Je lâchai donc son cou et essayai de hocher la tête affirmativement. Il retira sa patte.

– Très bien, dit-il, vous avez déjà les jambes libres. Il me suffit de libérer votre main droite et nous serons prêts à partir.

– Partir ? dis-je.

– Chut ! dit-il, en s’affairant sur mon poignet droit.

Je lui obéis donc pendant qu’il rongeait mes liens. C’était l’hallucination la plus intéressante que j’avais jamais eue depuis longtemps. Je cherchai parmi mes différentes névroses la raison pour laquelle elle avait pris cette forme. Rien ne se présenta immédiatement à mon esprit. Mais les névroses sont sacré-ment malignes, m’avait enseigné le docteur Marko, et il ne reste plus qu’à leur rendre hommage quand elles atteignent ce point de subtilité et de ruse.

– Voilà ! murmura-t-il quelques instants plus tard. Vous êtes libre. Suivez-moi ! Et il se mit en route.

– Attendez !

Il s’arrêta, se retourna vers moi.

– Qu’y a-t-il ?

– Je n’arrive pas à bouger. Laissez-moi le temps de faire jouer mes articulations ; voulez-vous ? Je ne sens plus ni mes pieds ni mes mains.

Il rebroussa chemin avec une moue méprisante.

– Dans ce cas, la meilleure thérapie est de bouger, dit-il, en me tirant par le bras pour me mettre assis.

Il était étonnamment fort pour une hallucination et il continua à me tirer le bras jusqu’à ce que je tombe à quatre pattes. J’étais un peu flageolant mais je réussis à maintenir la pose.

– Bravo, dit-il en me tapotant l’épaule. Allons-y.

– Attendez ! Je meurs de soif.

– Désolé, je voyage sans bagages. Cependant, si vous me suivez, je vous promets de vous donner à boire.

– Quand ?

– Jamais, grommela-t-il, si vous restez là. En fait, il me semble entendre des bruits en provenance du campement. Allons !

Je me mis à ramper derrière lui. Il me dit : « Restez baissé », ce qui était plutôt inutile dans la mesure où j’étais incapable de me mettre debout. Il s’éloigna du campement, se dirigeant plus ou moins vers l’est, dans une direction à peu près parallèle à la tranchée que j’avais creusée. Je progressais lentement et il s’arrêtait périodiquement pour me permettre de le rattraper.

Je le suivis pendant plusieurs minutes, puis, comme ma circulation se rétablissait, mes mains et mes pieds commencèrent à me faire mal. Je m’effondrai en croassant quelques obscénités. Il bondit vers moi, mais je refrénai ma colère avant qu’il ne répète son truc de la patte dans ma bouche.

– Vous êtes une créature difficile à sauver, déclara-t-il, de plus, votre circulation, votre jugement et votre sang-froid semblent appartenir à un type extrêmement primitif.

Je trouvai une autre obscénité mais parvins à la murmurer.

– Et vous vous obstinez à le démontrer, dit-il, vous n’avez que deux choses à faire : me suivre et garder le silence. Vous ne semblez guère capable ni de l’un ni de l’autre. Cela prête à certaines réflexions…

– Allez-y ! dis-je. Je suivrai.

– Et vos émotions ?

Je me précipitai sur lui mais il recula et bondit en avant.

Je le suivis, n’ayant qu’un désir : étrangler la petite bête.

Peu importait que la situation soit manifestement absurde. J’avais à la fois l’aide de Merimee et de Marko pour m’appuyer sur des théories, deux miroirs déformants opposés, et moi au milieu, suivant obstinément la piste du wombat. En marmonnant, en brûlant mon adrénaline et en crachant la poussière qu’il soulevait. J’avais perdu la notion du temps.

Le chemin s’abaissa, s’arrêta. Nous nous enfonçâmes, montâmes, descendîmes, en enfilant des couloirs rocailleux, pour atteindre, dans une obscurité encore plus profonde, une sorte de piste qui n’était plus que pierres et graviers maintenant. Je glissai une fois : immédiatement, il bondit à mes côtés.

– Ça va ? demanda-t-il.

Je me mis à rire puis contrôlai ma réaction.

– Sûr. Je vais parfaitement bien.

Il avait pris la précaution de se mettre hors de ma portée.

– Ce n’est plus très loin, dit-il. Là, vous pourrez vous reposer. Je vous apporterai de quoi vous restaurer.

– Je suis désolé, dis-je, en me débattant vainement pour me relever, mais c’est la fin. Si je peux attendre là-bas, je peux aussi bien attendre ici. Je n’ai plus d’essence.

– Le chemin est rocailleux, dit-il, et théoriquement, il leur serait difficile de suivre votre trace. Mais je serais plus rassuré si vous pouviez avancer juste encore un peu. Il y a une sorte de cavité, sur le côté, voyez-vous. Si vous vous réfugiez là-dedans, il y a de fortes chances pour qu’ils ne vous voient pas s’il arrive qu’ils tombent sur cette piste. Qu’est-ce que vous en dites ?