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– Je crois qu’il existe un concept similaire dans votre propre jurisprudence. Vous appelez ça « une mesure préventive ».

– Et que faites-vous de l’article 7224, section C ? laissai-je échapper, sentant ma langue devenir molle et mes yeux se fermer.

– Qu’avez-vous dit ?

– Vous m’avez très bien entendu, murmurai-je. Sept… deux… deux… quatre. Sec… tion C… C’est pour cela…

Et puis, de nouveau, le néant.

Les cycles de la conscience m’amenèrent à l’état de lucidité ou au bord, plusieurs fois avant que je m’accroche à quelque chose approchant le véritable éveil et que je me remplisse les yeux du spectacle de la Californie. Ce fut par degrés que je pris conscience de la discussion qui remplissait l’atmosphère, appréhendant son contenu d’une façon détachée, presque théorique. Il était question de quelque chose que j’avais dit et qui semblait les avoir bouleversés.

Ah ! oui…

L’article 7224, section C. Il devait s’agir, supposai-je, de l’enlèvement de créatures intelligentes de leur planète natale sans leur consentement. Cela faisait partie d’un traité galactique dont mes sauveteurs étaient signataires ; c’était une sorte de constitution interstellaire. Il y avait, cependant, suffisamment d’ambiguïté dans la situation présente pour qu’elle fasse l’objet d’un débat, car le traité possédait une clause qui permettait l’enlèvement sans consentement pour une série de causes fondamentales, du style quarantaine en vue de la préservation de l’espèce, représailles pacifiques contre la violation de certaines autres clauses, une sorte de fourre-tout pour protéger « la sécurité interstellaire » et quelques autres trucs de ce genre, dont ils discutaient et rediscutaient en long et en large. J’avais, de toute évidence, soulevé un point crucial, surtout étant donné la nouveauté de leurs contacts avec la Terre. Ragma affirmait que, s’ils choisissaient l’une de ces exceptions et m’enlevaient sur cette base, leur département législatif les soutiendrait. S’ils en arrivaient à devoir rendre des comptes, il trouvait que ni lui ni Charv ne pouvaient être tenus responsables de leur interprétation de la loi, parce qu’ils n’étaient que des exécutants et non pas des spécialistes des subtilités légales. Charv, lui, maintenait qu’il était évident qu’aucune des exceptions ne s’appliquait à la situation et qu’il serait encore plus évident qu’ils avaient transgressé le traité. Il valait mieux, disait-il, laisser l’analyste télépathe qu’ils emploieraient implanter le désir de coopérer dans mon esprit. Ils en connaissaient plusieurs qu’ils pourraient persuader de résoudre ainsi leur problème. Mais cela irritait Ragma. Ce serait une violation de mes droits selon une autre clause et, en outre, on pouvait les accuser d’avoir dissimulé la preuve qu’ils avaient violé cette clause-là. Il ne voulait pas être mêlé à ce genre de choses. S’ils devaient m’enlever, il préférait avoir une autre ligne de défense que la dissimulation. Aussi passèrent-ils en revue, une fois encore, toutes les exceptions, s’attardant sur chaque phrase, laissant les mots parler d’eux-mêmes, rappelant les précédents, comme de véritables talmudistes, jésuites, éditeurs de dictionnaires ou disciples de la Nouvelle Critique. Pendant ce temps, nous continuions à tourner autour de la Terre.

Ce ne fut que bien plus tard que Charv interrompit la discussion en posant une question qui m’avait troublé depuis le début : « Mais où donc a-t-il bien pu apprendre l’existence de l’article 7224 ? »

Ils revinrent vers ma couchette, interrompant ma contemplation des orages qui sévissaient sur le cap Hatteras. Voyant que j’avais les yeux ouverts, ils hochèrent la tête et firent de grands gestes dans une sorte de pantomime que j’interprétais comme un signe de bonne volonté et de préoccupation de mon état.

– Vous êtes-vous bien reposé ? s’enquit Charv.

– Tout à fait.

– De l’eau ?

– Oui, merci.

Je bus. Puis :

– Sandwich ? demanda-t-il.

– Oui, merci.

Il m’en tendit un aussitôt et je me mis à manger.

– Nous nous préoccupions beaucoup de votre état – et de la meilleure solution à adopter dans votre cas.

– C’est très gentil à vous.

– Nous étions en train de nous interroger sur quelque chose que vous avez dit un peu plus tôt, concernant notre offre de vous donner asile pendant le temps que nous passerons sur votre planète pour mener une enquête de routine. Il semble que vous avez cité une section du Code galactique juste avant de vous enfoncer dans le sommeil, la dernière fois. Mais comme vous n’avez fait que marmonner, nous ne pouvons pas en être certains. Était-ce le cas ?

– Oui.

– Je vois, dit-il en ajustant ses lunettes noires. Auriez-vous l’amabilité de nous dire comment il se fait que vous ayez connaissance de cette clause ?

– Ces choses circulent rapidement dans les cercles universitaires, offris-je en guise d’explication – la meilleure que je pus trouver dans ma provision de mensonges.

– C’est possible, dit Ragma, en revenant à la langue qu’ils utilisaient tout à l’heure. Leurs professeurs ont travaillé aux traductions. Il est possible qu’elles soient terminées maintenant et qu’on les ait mises en circulation dans leurs universités. Ce n’est pas mon département, aussi ne puis-je en être absolument certain.

– Et si on a créé un cours sur ce sujet, nous pouvons être sûrs que celui-ci l’a suivi, poursuivit Charv. Oui. Pas de chance.

– Dans ce cas, vous devez également savoir, reprit Charv, en anglais et en s’adressant à moi, que votre planète n’a pas encore signé le traité.

– Bien entendu, répliquai-je, mais vous, vous l’avez signé.

– Oui, bien entendu, dit-il, en jetant un coup d’œil à Ragma.

Ce dernier s’approcha. Ses yeux de wombat qui ne cillaient pas m’éblouissaient presque.

– Monsieur Cassidy, dit-il, permettez-moi de vous expliquer la situation le plus simplement possible. Nous sommes des agents de l’ordre public – des flics, si vous voulez – et nous sommes chargés d’un travail. Je regrette de ne pas pouvoir vous donner tous les détails de cette affaire, car il est fort probable que nous obtiendrions plus facilement votre coopération. Dans les circonstances actuelles, votre présence sur votre planète représente un obstacle de taille pour nous, alors que votre absence simplifierait énormément les choses. Comme nous vous l’avons déjà dit, si vous y restez, vous êtes en danger. En prenant cela en considération, il semble évident que nous serions tous mieux nantis si vous acceptiez de prendre quelques petites vacances.

– Je suis désolé, dis-je.

– Alors, peut-être pourrais-je faire appel à votre vénalité, poursuivit-il, ainsi qu’à votre sens de l’aventure tant loué. Un voyage de ce genre vous coûterait probablement une fortune si vous le faisiez par vos propres moyens, et vous aurez l’occasion de voir des spectacles dont aucun être de votre espèce n’a jamais été témoin.

Cet argument me toucha. À n’importe quel autre moment, je n’aurais pas hésité. Mais je venais de réfléchir. Il allait sans dire que quelque chose allait de travers et que j’étais en plein dedans. Cependant, il y avait quelque chose de plus. Quelque chose que je ne comprenais pas, et qui m’était arrivé/m’arrivait. J’étais convaincu que le seul moyen de découvrir ce que c’était, et d’y remédier ou de l’exploiter, c’était de rester chez moi et de mener ma propre enquête. Je doutais fort de trouver quelqu’un qui serve mes intérêts aussi bien que moi-même.

Aussi :

– Je suis désolé, répétai-je.

Il soupira, se détourna, regarda la Terre par le hublot.

Finalement :

– Votre race est de celle des entêtés, dit-il. Quand il vit que je ne répondais pas, il ajouta, mais la mienne aussi. Puisque vous insistez, il va falloir que nous vous ramenions. Mais je trouverai un moyen d’arriver aux résultats nécessaires sans votre coopération.

– Que voulez-vous dire ? demandai-je.

– Si vous avez de la chance, dit-il, il se peut que vous soyez encore en vie pour regretter votre décision.