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– Je crois que oui, répondit une autre voix.

– Alors, donne-m’en un peu.

Bruits d’une thermos qu’on débouche, de liquide qu’on verse. Des grincements, des cognements. Un marmonnement : « Merci. » Ce qui voulait dire que l’autre type était assis au bureau.

Sirotement. Soupir. Grattement d’une allumette. Silence.

Puis :

– Ce serait drôle s’il s’était fait tuer.

Reniflement méprisant.

– Ouais, mais ça n’est guère probable, malgré tout.

– Comment peux-tu dire ça ?

– Il pue la chance, ce type. Et puis, il est tellement bizarre.

– Ça, je suis d’accord. Je voudrais bien qu’il se dépêche de rentrer.

– Tu n’es pas le seul à le penser.

Le type assis dans le fauteuil se leva et s’approcha de la fenêtre. Au bout d’un moment, il soupira :

– Encore combien de temps, Dieu du ciel ?

– Le résultat vaut le coup d’attendre.

– Je suis bien d’accord. Mais plus vite nous mettrons la main sur lui et mieux ce sera.

– Bien sûr. Je bois à cet événement.

– Voyez-vous ça ! Qu’est-ce tu as là ?

– Un peu de brandy.

– Et pendant tout ce temps tu m’as abreuvé de cette boue noirâtre !

– Tu demandais toujours du café. De plus, je viens de le trouver.

– Passe donc ça par ici.

– Il y a un autre verre. Vas-y doucement. C’est du bon.

– Verse toujours !

J’entendis qu’on débouchait ma bouteille de Noël. Quelques cliquetis suivirent, puis des bruits de pas.

– Tiens, voilà !

– Ça sent bon.

– N’est-ce pas ?

– A la Reine !

Un bruit de pieds. Un seul tintement.

– Que Dieu la garde !

Ils se rassirent et retombèrent dans le silence. Je restai sans bouger pendant peut-être un quart d’heure, mais plus aucune parole ne fut prononcée.

Je me faufilai alors jusqu’à l’étagère, y trouvai l’argent que j’avais laissé dans la botte, le pris, l’empochai, et me retirai sur le rebord en saillie.

Je refermai la fenêtre aussi soigneusement que je l’avais ouverte, me réfugiai sur le toit, rencontrai un chat noir qui bomba le dos et siffla – vieille superstition, mais je ne l’en blâme pas – et poursuivis mon chemin.

Après avoir examiné le building de Hal pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’autres rôdeurs en dehors de moi-même, je l’appelai de la cabine téléphonique, au coin de la rue. Je fus quelque peu surpris qu’on réponde à mon appel à la seconde.

– Ouais ?

– Hal ?

– Ouais. Qui c’est ?

– Ton vieux copain qui grimpe sur les trucs.

– Oh ! là ! Dans quelle galère t’es-tu fourré ?

– Si je le savais, je serais récompensé de toutes mes peines. Peux-tu me donner quelques indications là-dessus ?

– Probablement rien d’important. Mais il y a quelques petits trucs qui pourraient…

– Ecoute, est-ce que je peux venir ?

– Sûr, pourquoi pas ?

– Je veux dire maintenant. Je ne voudrais pas être indiscret mais…

– Pas de problème. Viens.

– Et toi, ça va ?

– Eh bien, non. Mary et moi avons eu des mots et elle est allée passer le week-end chez sa mère. Je suis à moitié rond, ce qui me laisse à moitié sobre. C’est suffisant. Tu me raconteras tes ennuis et je te raconterai les miens.

– D’accord. J’arrive dans une minute.

– Formidable. Je t’attends, alors.

Je reposai le combiné, marchai jusque chez lui, sonnai en bas et fus admis. Quelques instants plus tard, je frappai à sa porte.

– C’est du rapide, dit-il, en ouvrant largement la porte et en me laissant passer. Entre, toi et toutes tes bénédictions.

– Dans quel ordre ?

– Oh ! tes bénédictions d’abord. Ça ne ferait pas de mal à cette maison.

– Je bénis, alors, dis-je en entrant. Désolé d’apprendre que tu as des ennuis.

– Ça passera. Tout a commencé avec un dîner brûlé et un retard éventuel à un spectacle, c’est tout. Stupide. Je croyais que c’était elle quand le téléphone a sonné. Je suppose qu’il faudra que je présente mes excuses demain matin. La gueule de bois devrait me rendre exceptionnellement repentant. Qu’est-ce que tu veux boire ?

– En fait… Oh ! allez merde ! N’importe quoi. Ce que tu as.

– Une goutte de soda dans une mer de scotch.

– Fais-moi le truc dans le sens contraire, dis-je en entrant dans le living-room et m’installant dans un grand fauteuil moelleux à l’inclinaison idéale.

Quelques minutes plus tard, Hal revint, me tendit un grand verre, dont j’avalai une bonne gorgée, s’assit en face de moi, prit une gorgée du sien et dit :

– As-tu commis quelques actes monstrueux récemment ?

Je secouai la tête négativement.

– Toujours la victime, jamais le vainqueur. Qu’est-ce que tu as entendu ?

– Rien, en vérité. Ce ne sont qu’implications et déductions. On m’a beaucoup demandé de tes nouvelles, mais on ne m’a pas dit grand-chose.

– On ? Qui ça ?

– Eh bien, ton directeur d’études, Dennis Wexroth, pour commencer…

– Que voulait-il ?

– Des informations plus détaillées sur ton projet en Australie.

– Comme quoi, par exemple ?

– Où tu étais. Il voulait savoir exactement où tu fouillais.

– Qu’est-ce que tu lui as dit ?

– Que je ne savais pas, ce qui était raisonnablement vrai. Ça, c’était au téléphone. Puis il est venu en personne, avec un type – un certain Nadler. Le type avait une carte d’identité disant qu’il était du Département d’État. Il a fait comme si on avait peur que tu ramènes des objets de là-bas et que tu crées un incident.

Je dis quelque chose de vulgaire.

– Ouais, c’est ce que j’ai pensé aussi, dit-il. Il m’a demandé de fouiller dans ma mémoire pour y trouver un détail quelconque concernant ton itinéraire. J’ai été tenté de leur raconter des bobards, comme la Tasmanie, par exemple. Mais j’ai eu la frousse. Je ne savais pas ce qu’ils pouvaient faire. Alors, j’ai simplement dit que tu ne m’avais pas mis au courant de tes projets.

– Bien. Quand est-ce que ça s’est passé ?

– Oh ! tu devais être parti depuis plus d’une semaine. J’avais reçu ta carte postale de Tokyo.

– Je vois. C’est tout ?

– Oh ! loin de là ! C’était seulement le commencement.

J’avalai une autre lampée.

– Nadler est revenu le lendemain pour me demander si je ne me souvenais pas d’autre chose. Il m’avait déjà laissé son numéro de téléphone pour que je l’appelle au cas où ça m’arriverai ou si j’avais des nouvelles de toi. J’étais irrité. Je lui ai dit non et l’ai foutu à la porte. Puis il est revenu ce matin même pour bien me faire comprendre qu’il était dans ton intérêt que je me montre coopératif. Que tu avais peut-être des ennuis et que je pouvais t’aider en étant honnête. Le temps qu’ils apprennent l’histoire de tes ennuis à l’Opéra de Sydney, m’a-t-il dit, tu avais disparu dans le désert. Qu’est-ce qui s’est passé à l’Opéra de Sydney, dis donc ?

– Plus tard, plus tard. Continue. Ou bien c’est fini ?

– Non, non. Je me suis remis en colère, lui ai dit encore une fois non, et c’est tout en ce qui le concerne. Mais il y a les autres. J’ai reçu au moins une demi-douzaine de coups de téléphone de gens qui affirmaient qu’il fallait absolument qu’ils te contactent, que c’était très important. En revanche, aucun n’a dit pourquoi. Ni ne m’a donné une indication pour retrouver sa trace.

– Que veux-tu dire ? Tu as essayé de retrouver leurs traces ?