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Silence.

Puis :

– Rien, excusez-moi. Mais il faut que vous compreniez que c’est important.

– Je le sais déjà. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi ?

– Je ne peux pas vous le dire.

– Alors, allez-vous faire foutre ! dis-je.

– Je savais bien que vous n’en valiez pas la peine, répondit Sibla. À ce que j’ai pu voir de votre race, vous n’êtes qu’une bande de barbares et de dégénérés.

Je bondis sur le rebord de la fenêtre, restai accroupi un moment pendant que j’estimai la distance.

– On n’aime pas non plus les sales prétentieux, dis-je. Puis je sautai.

7.

Ce satané Dennis Wexroth ne proférait pas un seul mot. S’il l’avait fait, je l’aurais sans doute tué sur place. Il était là, les mains pressées contre le mur derrière lui, une rougeur grandissante autour de l’œil, qui finirait par gonfler et devenir pourpre. Le combiné de son téléphone débranché pendait, à cheval sur le bord de la corbeille à papiers où je l’avais lancé.

J’avais à la main un beau morceau de parchemin qui me disait que Frederick Cunningham Cassidy était titulaire d’un doctorat d’etat en anthropologie.

Luttant pour garder un reste de sang-froid, je le remis dans son enveloppe et refoulai un flot d’obscénités.

– Comment ? dis-je. Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? C’est… c’est illégal !

– C’est parfaitement légal, dit-il doucement. Croyez-moi, cela a été fait sur avis.

– Nous verrons si cet avis tient devant un tribunal, dis-je. Je n’ai jamais été admis en licence, je n’ai jamais rendu de mémoire, je n’ai jamais passé un examen, écrit ou oral, et je n’ai rempli aucune demande. Maintenant, dites-moi comment vous justifiez cet octroi d’un doctorat, j’aimerais bien le savoir.

– En premier lieu, vous êtes inscrit ici, dit-il, ce qui vous rend admissible à un diplôme.

– Admissible, oui. Admis, non. Il existe une distinction.

– Exact. Mais les eléments d’admission sont déterminés par l’administration.

– Qu’avez-vous fait ? Tenu une réunion spéciale ?

– Figurez-vous qu’il y en a eu une, précisément. Au cours de laquelle il a été décidé qu’une inscription en tant qu’étudiant à plein temps déterminait l’intention d’obtenir une licence. En conséquence, si les autres facteurs étaient réunis…

– Je n’ai jamais eu toutes mes UV dans une matière principale.

– Les exigences officielles sont moins rigides quand il s’agit d’un diplôme d’études spécialisées.

– Mais je n’ai jamais passé mon bac !

Il sourit, se reprit et effaça ce mouvement de ses lèvres.

– Si vous voulez bien prendre la peine de lire le règlement soigneusement, dit-il, vous verrez que nulle part il n’est exigé qu’on ait le baccalauréat pour obtenir un diplôme d’études supérieures. Un « équivalent adéquat » suffit pour que « le candidat soit qualifié ». Ce sont des expressions dignes d’un artiste, Fred, et l’administration se charge de les interpréter.

– Même comme ça, le règlement exige bien qu’il faut écrire une thèse. J’ai lu cet article.

– Oui. Mais il y a Terrain sacré : Une étude des aires rituelles, le livre que vous avez soumis aux presses universitaires. C’est amplement suffisant pour une thèse d’anthropologie.

– Je ne l’ai jamais soumis au département.

– Non, mais l’éditeur a demandé l’avis du docteur Lawrence à ce propos. Et entre autres, à son avis c’est que cet ouvrage peut être considéré comme une thèse de doctorat.

– Je vous aurai sur ce point quand nous irons devant les tribunaux, dis-je. Mais continuez. Je suis fasciné. Dites-moi ce que j’ai fait à l’oral.

– Eh bien, dit-il, en détournant les yeux, les professeurs qui auraient fait partie de votre jury ont accepté à l’unanimité de vous dispenser des oraux. Vous êtes ici depuis si longtemps et ils vous connaissent si bien qu’ils ont décidé que c’était une formalité inutile. En outre, deux d’entre eux étaient vos camarades de cours en première année et ils trouvaient cela un peu curieux.

– J’en suis bien certain. Laissez-moi finir l’histoire moi-même. Les directeurs des départements de littérature concernés ont décidé que j’avais suivi suffisamment de cours dans leur domaine pour certifier que je savais lire. C’est ça ?

– En gros, c’est cela en effet.

– C’était plus facile de me donner un doctorat que le bac ?

– Oui.

J’eus envie de le frapper encore, mais ce n’était pas la solution. Je martelai la paume de ma main plusieurs fois.

– Mais pourquoi ? dis-je. Maintenant, je sais comment vous avez fait, mais ce qui est vraiment important, c’est pourquoi vous l’avez fait.

Je me mis à marcher de long en large.

– J’ai payé tous les droits d’inscription à cette université, tous les frais, depuis treize ans maintenant – une somme rondelette, quand on additionne le tout – Je n’ai jamais fait de chèque sans provision, ni autre chose de ce genre. J’ai toujours été en bons termes avec la faculté, l’administration, les autres étudiants. À l’exception de mon goût pour l’escalade, je n’ai jamais causé de sérieux ennuis ni fait quoi que ce soit qui aurait pu laisser des stigmates sur l’honneur de cette université… (Puis regardant son œil) Oh ! mille pardons. Ce que j’essaie de dire, c’est que j’ai toujours été un client modèle pour votre marchandise. Alors, que s’est-il passé ? Il suffit que je tourne le dos, que je m’en aille quelque temps, pour que vous me colliez un doctorat Est-ce que je mérite ce genre de traitement après tant de constance ? Je trouve cela dégueulasse, et je veux une explication. J’en veux une ! Maintenant ! Vous me haïssez tant que ça ?

– Les sentiments n’ont rien à voir là-dedans, dit-il, en tâtant sa pommette. Je vous ai dit que je voulais vous voir partir d’ici parce que je n’approuvais pas votre attitude, votre style. C’est toujours vrai. Mais cela n’est en aucune façon le résultat de mes agissements. En fait, je m’y suis opposé. Il y a eu – eh bien, disons que nous avons subi quelques pressions.

– Quel genre de pressions ? demandai-je.

Il se détourna.

– Je ne pense pas que ce soit à moi d’en parler.

– Si, insistai-je. Je vous assure. Racontez-moi toute l’affaire.

– Eh bien, l’université est fortement subventionnée par le gouvernement, vous le savez. Prêts, contrats de recherches…

– Je sais. Et alors ?

– En général, ils ne fourrent pas leur nez dans nos affaires.

– Ce qui est normal.

– De temps en temps, toutefois, ils ont leur mot à dire. Quand c’est le cas, nous écoutons généralement.

– Essayez-vous de me dire qu’on m’a donné un doctorat à la requête du gouvernement ?

– En bref, oui.

– Je ne vous crois pas. Ils ne font pas des choses comme ça.

Il haussa les épaules, se retourna pour me regarder en face.

– Il y a quelque temps, je ne l’aurais pas cru non plus, me dit-il. Mais maintenant, je le sais.

– Pourquoi feraient-ils une chose pareille ?

– Je n’en ai toujours aucune idée.

– Je trouve cela difficile à avaler.

– On m’a dit que la nature de la requête était d’ordre confidentiel. On m’a dit aussi que c’était une question urgente, et on nous a jeté le mot « sécurité » à la figure. C’est tout ce que je sais.

Je cessai d’arpenter le bureau, fourrai mes mains dans mes poches, puis les ressortis, parce que j’avais trouvé une cigarette que j’allumai. Elle avait un drôle de goût. Mais elles avaient toutes un drôle de goût ces temps-ci. Tout avait un drôle de goût d’ailleurs.