– C’était un type nommé Nadler, poursuivit-il. Théodore Nadler. Du Département d’État. C’est lui qui nous a contacté et qui a suggéré euh… les arrangements.
– Je vois, dis-je. Est-ce lui que vous essayiez d’appeler quand je vous ai enlevé les moyens de le faire ?
– Oui.
Il jeta un coup d’œil sur son bureau, s’y dirigea, prit sa pipe et sa blague à tabac.
– Oui, répéta-t-il, en la bourrant. Il m’a demandé de l’appeler si j’entendais parler de vous. Puisque vous avez fait en sorte que je ne le puisse pas, je suggère que vous le fassiez vous-même si vous voulez de plus amples informations.
Il mit sa pipe entre ses lèvres, se pencha pour gribouiller un numéro sur un bloc-notes. Puis il arracha la feuille et me la tendit.
Je la pris, jetai un coup d’œil sur son gribouillage et l’enfonçai dans ma poche. Wexroth alluma sa pipe.
– Et vous ne savez vraiment pas ce qu’il me veut ? dis-je.
Il remit sa chaise en place et s’assit.
– Je n’en ai aucune idée.
– Eh bien, dis-je, je me sens quand même mieux après avoir assouvi mes nerfs sur vous. À bientôt, au tribunal.
Je me retournai pour partir.
– Je ne crois pas qu’on ait jamais vu une université assignée en justice parce qu’elle a délivré un diplôme, dit-il. Ce sera intéressant. En attendant, je ne peux pas dire que je suis mécontent de voir la fin de votre parasitisme.
– Gardez vos réjouissances pour plus tard, lui répliquai-je, Je n’ai pas encore fini.
– Vous et le Hollandais Volant, marmonna-t-il, juste avant que je claque la porte.
En quittant l’appartement de Merimee, j’avais pris une petite allée, remonté une rue, tourné un coin. Quelques minutes plus tard, j’étais dans un taxi qui m’emmenait au centre ville. Je le fis arrêter devant un magasin de vêtements, entrai et achetai un manteau. Il faisait froid et j’avais laissé ma veste chez Merimee. De là, j’allai à pied jusqu’au Hall d’Exposition. J’avais tout mon temps, et je voulais, dans la mesure du possible, vérifier si j’étais suivi.
Je passai presque une heure dans cette immense salle où était exposée la machine de Rhennius. Je me demandais si ma première visite avait fait la une des journaux. Aucune importance. Je prêtai attention aux mouvements des visiteurs, fixai dans ma mémoire la position des quatre gardiens – il n’y en avait que deux avant – vis-à-vis des différentes entrées, vis-à-vis de n’importe quoi. Je ne pouvais pas voir si on avait installé un nouveau grillage sur la lucarne du plafond. Non pas que ce soit important. Je n’avais aucunement l’intention de refaire le même tour. J’essayais de trouver un autre moyen, rapide, différent.
Je sortis en flânant, à la recherche d’un endroit où je pourrais avaler un sandwich et une bière, cette dernière pour le bénéfice de n’importe quel télépathe dans le voisinage. Pendant que j’y étais, je regardai bien autour de moi et décidai que, pour l’instant, je n’étais pas l’objet d’une surveillance particulièrement voyante. Je trouvai ce que je cherchais, entrai, commandai, et m’attachai à la tâche de manger et de réfléchir.
L’idée me frappa en même temps qu’une bouffée d’air froid qu’un client en perspective avait laissée entrer avec lui. Je la rejetai immédiatement et continuai à m’acharner sur mon steack et ma bière. Mais je n’arrivais pas à en trouver de meilleure.
Je la ressortis de derrière les fagots, l’époussetai un peu et la considérai sous tous ses angles. Ce n’était pas une merveille, mais j’avais bien peur de n’avoir rien d’autre en réserve.
Je l’imaginai dans son entier, puis réalisai qu’il se pouvait qu’elle ne marche pas à cause d’un effet secondaire du processus lui-même. Je rejetai un moment de frustration puis repris depuis le début. Cela frisait le ridicule, les petits détails auxquels je devais m’attacher à cause de quelque chose d’aussi accessoire.
Je me rendis alors jusqu’à la gare des autobus et achetai un billet pour rentrer chez moi. Je le mis dans la poche de mon manteau. J’achetai aussi un magazine et un paquet de chewing-gum, demandai un sac en plastique pour les metre dedans, jetai le magazine, mis un chewing-gum dans ma bouche et gardai le sac. Puis je me mis en quête d’une banque, en trouvai une, entrai, et changeai tout mon argent en billets de un dollar, que je fourrai dans le sac – cent quinze en tout.
Je revins dans le quartier du Hall d’Exposition, cherchai un restaurant possédant un vestiaire, laissai mon manteau et de nouveau me glissai dehors. J’utilisai le chewing-gum pour fixer le ticket de mon vestiaire sous le banc sur lequel je m’assis pendant un moment. Puis je fumai une dernière cigarette et revint vers le Hall, le sac de billets dans une main et un seul billet dans l’autre.
À l’intérieur, je me promenai lentement, en attendant que la foule atteigne une densité et une distribution adéquates, repassai en revue mes souvenirs du mouvement des courants d’air à l’ouverture et à la fermeture des portes extérieures. Je décidai du meilleur emplacement pour mon entreprise et m’y dirigeai. J’avais déchiré le sac sur le côté pendant ce temps, tout en le maintenant fermé.
Envrion cinq minutes plus tard, il me sembla que la situation était aussi idéale qu’elle pouvait l’être. La foule était vraiment dense et les gardiens suffisamment éloignés. J’écoutai les commentaires standards du genre : « Mais qu’est-ce que ça fait ? », « Ils n’en sont pas vraiment certains », et un occasionnel : « C’est une sorte de truc qui inverse. Ils sont en train de l’étudier », jusqu’à ce qu’il y ait un puissant courant d’air et un individu assez corpulent près de moi.
Je lui donnai un coup de coude dans les côtes et le poussai un peu. En retour, il me donna un échantillon de Middle-English – la plupart des gens semblent penser que c’est de l’anglais courant, mais j’ai eu l’occasion de vérifier une fois, lors d’un cours de linguistique – et il me rendit la pareille.
J’exagérai ma réaction, trébuchai en arrière, bousculant quelqu’un d’autre, tout en prenant soin que le sac se déchire dans un grand mouvement, au-dessus de ma tête.
– Mon argent ! criai-je, en bondissant en avant et en sautant par-dessus la barrière de sécurité. Mon argent !
J’ignorai les murmures, les cris et le désordre qui éclatèrent soudain derrière moi. J’avais actionné aussi, de ce fait, le système d’alarme, mais ce n’était pas particulièrement essentiel pour le moment. J’étais sur la plate-forme et courais vers l’endroit où la courroie s’enfonçait dans l’unité centrale. J’espérais qu’elle allait supporter mon poids.
Je contrai un mugissement : « Descendez de là ! » en criant plusieurs fois : « Mon argent ! », tandis que je me jetais à plat ventre sur la courroie en avançant la main d’un geste qui, je l’espérais, pouvait vraisemblablement faire croire que j’essayais d’attraper un billet, et je m’enfonçai lentement et sûrement dans le tunnel du mobilator.
De minuscules picotements me parcoururent des pieds à la tête tandis que je passais dans le truc et que ma vision se brouillait provisoirement. Ce qui ne m’empêcha pas de déplier le dollar que j’avais dans la main, de sorte que j’émergeai en le tenant bien haut. Je me laissai tomber immédiatement de la courroie et, malgré une vague d’étourdissement, sautai de la plate-forme et me précipitai vers la foule, essayant toujours de faire croire que j’étais à la poursuite des billets qui s’étaient envolés, bien qu’ils aient tous disparu apparemment.