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Des réflexes, qui d’habitude ne me viennent pas quand je suis sur la terre ferme, me poussèrent à prendre une décision pour laquelle je ne suis ni à blâmer ni à glorifier. Si toute cette histoire ne m’avait pas mis les nerfs à fleur de peau, je ne crois pas que je me serais rué sur un homme armé.

Mais tout allait bien se terminer, n’est-ce pas ? C’est toujours comme ça dans les films à grand spectacle.

Je bondis sur Jamie, les bras tendus.

Sa main arrêta son mouvement une fraction de seconde, puis pointa le revolver vers moi et tira, à bout portant.

Ma poitrine explosa et le monde s’évanouit.

Et autant de pris pour les films à grand spectacle.

9.

Il est bon de s’arrêter périodiquement pour réfléchir sur les bénéfices du système moderne d’éducation supérieure.

Je pense qu’il faut déposer toutes les offrandes aux pieds de mon saint patron, Éliot, président de Harvard. Ce fut lui qui, dans le dernier tiers du XIXe siècle, trouva qu’il serait bon de desserrer un peu la camisole de force universitaire. Ce qu’il fit, en oubliant de fermer la porte derrière lui en sortant. Pendant près de treize ans, je lui ai rendu grâces une fois par mois, à cet instant, chargé d’émotion, où j’ouvrais l’enveloppe contenant le chèque de ma rente. Ce fut lui qui introduisit le système des options, tonique modeste à l’époque, dans un programme d’études d’une rigidité insurmontable jusque-là. Et, comme c’est souvent le cas en ce qui concerne les toniques, les résultats furent contagieux. Et sujets à mutation. Leur incarnation actuelle, par exemple, m’a permis de rester l’esprit éveillé, sans tomber dans la monotonie, en suivant l’étoile scintillante de la culture. En d’autres termes, s’il n’avait pas existé, je n’aurais jamais eu le temps ni l’occasion d’explorer des choses aussi délicieuses et instructives que les coutumes de l’Ophrys speculum et de la Cryptostylis leptochila, dont je pris connaissance lors d’un séminaire de botanique qu’on aurait, autrefois, refusé de me laisser suivre. Il faut voir les choses comme elles sont. Je dois à cet homme le style de vie que je mène et nombre de choses agréables qui le remplissent. Et je ne suis pas un ingrat. Comme devant toute forme de dette impossible à payer de retour, je le reconnais librement.

Et qui est cette Ophrys ? Qui est-elle ? Pour que tous nos jeunes pastouraux chantent ses louanges ? Et Cryptostylis ? Je suis content que vous posiez la question. En Algérie, vit un insecte qui ressemble à la guêpe, et qu’on appelle Scolia ciliata. Le mâle dort pendant un certain temps dans un trou, dans le sable, puis se réveille et émerge vers le mois de mars. La femelle, suivant une coutume qui n’est pas particulière à l’hyménoptère, reste endormie un mois de plus. Son compagnon, d’une façon bien compréhensible, commence à s’agiter et à explorer de son regard myope le paysage. Et voilà ! Qu’est-ce qui est en pleine floraison à cette époque de l’année, dans son proche voisinage, si ce n’est la délicate orchidée, l’Ophrys speculum, dont les fleurs ressemblent étonnamment au corps de la femelle de l’insecte. Le reste est prévisible. Et c’est de cette manière que s’accomplit la pollinisation de l’orchidée, tandis que l’insecte va, de fleur en fleur, leur rendre hommage. Une pseudo-copulation, voilà comment Oakes Ames appelle ça : l’association symbiotique de deux systèmes de reproduction différents. L’orchidée Cryptostylis leptochila séduit la guêpe ichneumonide, la Lissopimpla semipunctata de la même manière, dans le même but, avec une adresse encore plus subtile, car le parfum qu’elle dégage ressemble à l’odeur de la guêpe femelle. Insidieux. Délicieux. Moralité à gogo, dans le sens philosophique le plus strict. Voilà ce qu’est l’éducation. Si mon cher oncle Albert, tout raide, et le président Eliot n’avaient pas existé, je n’aurais jamais bénéficié de ces expériences et de la lumière qu’elles jettent continuellement sur ma propre condition.

Par exemple, tandis que j’étais allongé là, sans savoir encore exactement où se situait ce « là », quelques cours sur les orchidées traversèrent ainsi mon esprit, entremêlés de bruits non identifiables et de formes et de couleurs indéfinissables. J’arrivai rapidement à la conclusion que les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être, et que quelquefois, ça n’a pas d’importance. Et qu’on peut se faire baiser de la pire des façons, le plus souvent avec implication des muscles spinaux.

Je testai mon environnement à tâtons.

« Ouille ! Ouille ! » et « Ouille ! » dis-je – pendant combien de temps, je n’en sais rien – quand finalement l’environnement répondit en m’enfonçant un thermomètre dans la bouche et en prenant mon pouls.

– Vous êtes réveillé, Monsieur Cassidy ? s’enquit une voix dont le registre pouvait aller du féminin au neutre.

– Ouais, répondis-je, en ouvrant un œil et en le refermant aussitôt, après avoir examiné le visage de l’infirmière.

– Vous avez beaucoup de chance, Monsieur Cassidy, dit-elle en retirant le thermomètre. Je vais aller chercher le docteur maintenant. Il meurt d’envie de vous parler. Restez tranquille. Ne vous fatiguez pas.

Comme je ne me sentais pas un besoin particulier de faire des galipettes ou des tractions, ce ne me fut pas difficile d’obéir à ces ordres. Je refis le truc de l’œil, et cette fois, tout resta clair. Ce tout se composait de ce qui semblait être une chambre d’hôpital, avec moi dans un lit, près d’un mur, près d’une fenêtre. J’étais allongé sur le dos et découvris rapidement que toute ma poitrine était enveloppée de gaze et de sparadrap. Je tressaillis à l’idée de l’éventuel retrait de ce costume. Celui qui n’a pas été mutilé n’a pas le monopole de l’anticipation.

Quelques moments plus tard, semble-t-il, un jeune homme costaud, revêtu de l’inévitable blouse blanche, un stéthoscope débordant de sa poche, poussa un sourire dans la pièce et s’approcha plus près. Il transféra un carnet de notes d’une main à l’autre et se saisit d’une des miennes. Je crus qu’il voulait prendre mon pouls, mais non, c’était pour me la serrer.

– Monsieur Cassidy, je suis le docteur Drade, dit-il. Nous nous sommes rencontrés plus tôt, mais vous ne vous en souvenez pas. C’est moi qui vous ai opéré. Je suis content de voir que votre poignée de main est vigoureuse. Vous avez beaucoup de chance.

Je toussai, et cela me fit mal.

– Content de l’apprendre, dis-je.

Il leva son carnet.

– Puisque votre main va si bien, dit-il, puis-je avoir votre signature sur quelques papiers que j’ai là ?

– Attendez une minute, dis-je, je ne sais même pas ce qu’on m’a fait. Je ne vais pas signer comme ça.

– Oh ! ce n’est pas cela, dit-il. On vous fera signer ce genre de papier quand vous sortirez. Non, c’est simplement pour me donner la permission d’utiliser votre dossier médical et quelques photos que j’ai eu la chance d’obtenir pendant l’opération, en vue d’écrire un article.

– Quel genre d’article ? demandai-je.

– Sur la raison pour laquelle je vous ai dit que vous avez de la chance. Vous avez reçu une balle dans la poitrine, vous savez.

– Je suis parvenu à cette conclusion tout seul.

– N’importe qui, à votre place, en serait mort. Mais pas notre bon vieux Cassidy. Vous savez pourquoi ?

– Dites-moi.

– Votre cœur est inversé.

– Oh !

– Comment avez-vous fait pour vivre jusqu’ici sans vous apercevoir de l’anatomie particulière de votre système sanguin ?