– Ce n’est pas exactement cela, dis-je. Mais il faut bien dire que c’est la première fois que je reçois une balle en pleine poitrine.
– Eh bien, votre cœur est l’image inversée d’un cœur ordinaire. La veine cave est à gauche et l’artère pulmonaire reçoit le sang de votre ventricule gauche. Vos veines pulmonaires amènent le sang oxygéné à l’oreillette droite et le ventricule droit le propulse par la crosse aortique qui est orientée vers la droite. Votre myocarde, en conséquence, est hypertrophié non plus à gauche mais à droite. N’importe qui, à votre place, aurait été touché au ventricule gauche, ou peut-être aurait eu l’aorte sectionnée. Dans votre cas, la balle est entrée sans faire de dégâts à côté de la veine cave inférieure.
Je toussai encore une fois.
– Sans faire trop de dégâts, corrigea-t-il. Il y a quand même un trou. Mais je vous l’ai refermé très proprement. Vous serez sur pied en très peu de temps.
– Formidable.
– Maintenant, à propos de ces papiers…
– Ouais. O. K. ! N’importe quoi pour la science et le progrès.
Pendant que je signais ses papiers en me demandant sous quel angle la balle était entrée, je l’interrogeai :
– Comment m’a-t-on amené ici ?
– La police vous a amené à la salle des urgences, dit-il. Ils ne nous ont pas donné d’explications quant à la, euh, nature des circonstances dans lesquelles les coups de feu ont été tirés.
– Les coups de feu ? Combien y a-t-il eu de blessés ?
– Eh bien, sept en tout. Je ne suis pas censé discuter des autres patients, vous savez.
Je m’arrêtai au milieu d’une signature.
– Hal Sidmore est mon meilleur ami, dis-je, en levant le stylo et en regardant les formulaires d’une façon significative, et sa femme s’appelle Mary.
– Ils n’ont pas été sérieusement touchés, dit-il rapidement. M. Sidmore a eu le bras cassé et sa femme quelques égra-tignures. Voilà tout. En fait, il attend avec impatience de vous voir.
– Je veux le voir, dis-je. Je me sens très bien.
– Je vais vous l’envoyer dans un moment.
– Très bien.
Je terminai ma tâche et lui rendis son stylo et ses papiers.
– Ne pourrait-on pas me soulever un peu ? demandai-je.
– Je ne vois pas de contre-indication.
Il ajusta le lit.
– Et pourriez-vous être assez aimable pour me donner un verre d’eau…
Il me versa un verre d’eau, attendit pendant que je le buvais presque entièrement.
– O. K. ! dit-il. Je vous verrai plus tard. Cela vous ennuierait-il que je vienne avec quelques internes pour leur faire écouter votre cœur ?
– Non, si vous m’envoyez une copie de votre article.
– Très bien, répondit-il, je n’y manquerai pas. Ne vous fatiguez pas.
– J’y veillerai.
Il remballa son sourire et sortit. Je fis une grimace en voyant le signal lumineux DÉFENSE DE FUMER.
Un peu plus tard, je suppose, Hal s’aventura dans ma chambre. Entre-temps, une autre couche d’abrutissement et de confusion s’en était allée. Il était habillé et avait le bras droit – attendez une minute, non, excusez-moi – le bras gauche en écharpe. Il avait aussi un bleu sur le front.
Je lui souris pour lui montrer que la vie était belle et comme je savais déjà qu’il allait bien, je demandai :
– Comment va Mary ?
– Bien, dit-il. Vraiment bien. Un peu secouée et égratignée, mais rien de sérieux. Et toi, comment te sens-tu ?
– Il paraît qu’un imbécile m’a tiré dans la poitrine, dis-je, mais le docteur m’a dit que ça aurait pu être pire.
– Oui, il ne cesse de dire que tu as beaucoup de chance. D’ailleurs, il est tombé amoureux de ton cœur. Si c’était le mien, je me sentirais un peu mal à l’aise – allongé, comme ça, sans défense, et lui qui écrit toutes ces ordonnances…
– Merci. Je suis rudement content que tu sois venu me remonter le moral. Vas-tu me dire ce qui s’est passé ou faut-il que j’achète un journal ?
– Je n’avais pas réalisé que tu étais si pressé, dit-il. Je serai bref, alors : nous avons tous été blessés.
– Je vois. Maintenant, sois moins bref.
– Très bien. Tu as sauté sur le type au revolver…
– Jamie. Oui. Continue.
– Il t’a tiré dessus. Tu es tombé. Il a mis une croix sur ton nom. Puis, il a visé Paul.
– Enregistré.
– Mais pendant que Jamie était tourné vers toi, Paul avait réussi à se débarrasser en partie de ce qui lui était tombé dessus. Il a tiré sur Jamie à peu près en même temps que Jamie tirait sur lui. Et il l’a touché.
– Ils se sont donc tiré dessus. Enregistré.
– Je me suis occupé de l’autre type, quand tu as bondi sur Jamie.
– Zeemeister. Oui.
– Il avait eu le temps de prendre son revolver et de tirer plusieurs fois. Il m’a raté la première fois. Puis nous nous sommes battus. A propos, il est sacrément fort.
– Je le sais. À qui le tour, après ?
– Je n’en suis pas certain. Une balle ou un ricochet a éraflé le crâne de Mary et la seconde ou troisième balle – je n’en suis pas sûr – m’a touché au bras.
– Ça fait deux autres, de toute façon. Qui a tiré sur Zeemeister ?
– Un flic. C’est à peu près à ce moment-là qu’ils sont arrivés.
– Pourquoi étaient-ils là ? Comment savaient-ils ce qui se passait ?
– Je les ai entendus discuter après. Ils suivaient Paul…
–… qui nous suivait peut-être ?
– Il semble bien.
– Mais je croyais qu’il était mort. C’était dans les journaux.
– Là, j’en suis au même point que toi. Je ne connais toujours pas toute l’histoire. Sa chambre est gardée et personne ne veut parler.
– Il est encore en vie, alors ?
– Aux dernières nouvelles, oui. Mais c’est tout ce que j’ai pu apprendre à son sujet. Il semble que nous nous en soyons tous sortis.
– Dommage – pour deux en tout cas. Attends une minute, le docteur Drade a dit qu’il y avait eu sept blessés.
– Oui, c’est un peu embarrassant pour eux : un des flics s’est tiré une balle dans le pied.
– Oh ! Les sept sont là, alors. Quoi d’autre ?
– Quoi d’autre quoi ?
– As-tu appris quelque chose avec tout ça ? Par exemple, ce qu’il est advenu de la pierre ?
– Non. Rien. Tu sais tout ce que je sais.
– Dommage.
Je me mis à bâiller sans pouvoir me contrôler. C’est à peu près à ce moment-là que l’infirmière entra prendre de mes nouvelles.
– Je dois vous demander de partir, dit-elle à Hal. Il ne faut pas le fatiguer.
– Oui, d’accord, dit Hal. Je rentre chez moi, Fred. Je reviendrai dès qu’on me dira quand je peux te voir. As-tu besoin de quelque chose ?
– Y a-t-il un masque à oxygène ici ?
– Non. Il est dans le couloir.
– Alors, des cigarettes. Et dis-leur d’éteindre ce foutu signal. Non, ce n’est rien. Je le ferai. Excuse-moi. Je ne peux pas m’arrêter. Tous mes vœux de rétablissement à Mary. J’espère qu’elle n’a pas de maux de tête. Est-ce que je t’ai jamais parlé des fleurs qui baisaient avec des guêpes ?
– Non.
– Je crois qu’il serait temps de partir, répéta l’infirmière à Hal.
– Très bien.
– Dis à cette dame qu’elle n’a rien d’une orchidée, dis-je, même si elle me donne envie d’être une guêpe.
Je glissai dans ce doux néant où la vie est, de loi, plus simple, et sentis qu’on abaissait mon lit.