Somnolence. Somnolence. Somnolence.
Lueur ?
Lueur. Reflets et luminosité aussi.
J’entendis qu’on entrait dans ma chambre et ouvris les yeux juste le temps de constater qu’il faisait encore jour.
Encore ?
J’essayai d’évaluer le temps écoulé. Un jour et une nuit et une moitié d’un autre jour avaient passé. J’avais mangé plusieurs fois, parlé avec le docteur Drade et été ausculté par les internes. Hal était revenu, plus en forme, m’avait apporté des cigarettes, Drade m’avait dit que je pouvais les fumer contre ses indications. Ce que j’avais fait. Puis, j’avais dormi encore. Ah ! oui, j’y étais…
Deux silhouettes passèrent dans l’entrebâillement de mon champ de vision, se mouvant lentement. Le toussotement que j’entendis provenait de la gorge de Drade.
Finalement : « Monsieur Cassidy, êtes-vous réveillé ? » sembla-t-il se demander tout haut.
Je bâillai, m’étirai et fis semblant de m’éveiller au monde, tout en estimant la situation. À côté de Drade, se tenait un autre individu, grand, à l’air sévère. Le costume sombre et les lunettes fumées qu’il portait y étaient pour quelque chose. Je supprimai un jeu de mots à propos des croque-morts, quand je vis que la main droite de l’homme était enroulée autour de la laisse d’un harnais attaché à un chien malingre, qui essayait de se mettre au garde-à-vous à ses pieds. Dans la main gauche, l’homme tenait la poignée d’une petite valise qui avait l’air d’être lourde.
– Oui, dis-je, en m’accrochant à la barre pour me redresser. Que se passe-t-il ?
– Comment vous sentez-vous ?
– Très bien, je suppose. Oui. Reposé.
– Bon. La police a envoyé ce gentleman pour discuter avec vous. Il a demandé à ce que l’entretien soit privé. Aussi, avons-nous préciser de ne pas vous déranger. Il s’appelle Nadler, Theodore Nadler. Je vais vous laisser, maintenant.
Il guida Nadler jusqu’à la chaise réservée aux visiteurs, l’assit et sortit, en fermant la porte derrière lui.
Je bus un verre d’eau et regardai Nadler.
– Que voulez-vous ? demandai-je.
– Vous le savez très bien.
– Essayez de mettre une annonce, suggérai-je.
Il enleva ses lunettes, me sourit.
– Essayez d’en lire quelques-unes. Du genre « On demande de l’aide. »
– Vous devriez être dans le corps diplomatique, dis-je, et son sourire se tendit, son visage vira au pourpre.
Je souris en l’entendant soupirer.
– Nous savons que vous ne l’avez pas, Cassidy, dit-il finalement, et ce n’est pas ce que je vous demande.
– Alors, pourquoi m’avoir agressé comme vous l’avez fait ? Pour le simple plaisir ? Vous m’avez vraiment tué, vous savez en m’obligeant à avoir ce doctorat. Si j’avais quelque chose qui vous intéressait, ce serait le prix fort maintenant, croyez-moi.
– Combien ? dit-il un peu trop rapidement.
– Pour quoi ?
– Pour m’assurer vos services.
– Dans quel domaine ?
– Nous pensons à vous offrir un job qui pourrait vous intéresser. Que diriez-vous de devenir spécialiste de la culture extra-terrestre à la mission américaine de l’O. N. U. ? Le poste exige un doctorat en anthropologie. »
– Depuis quand existe-t-il, ce job ? demandai-je.
De nouveau, il sourit.
– C’est assez récent.
– Je vois. Et quelles en seraient les fonctions ?
– La première consisterait en une mission spéciale, une sorte d’enquête.
– Une enquête sur quoi ?
– La disparition de la pierre des étoiles.
– Oh ! Oh ! Eh bien, je dois admettre que le sujet titille ma curiosité, dis-je, mais pas au point de me donner envie de travailler pour vous.
– Vous ne travaillerez pas pour moi, en fait.
Je pris mon paquet de cigarettes, en allumai une avant de demander :
– Pour qui, alors ?
– Donnez-m’en donc une, dit une voix familière, et le chien malingre se leva pour s’approcher de mon lit.
– Tiens, le Lon Chaney de la haute société interstellaire, observai-je. Vous n’êtes pas à votre mieux en chien, Ragma.
Il décortiqua plusieurs morceaux de son déguisement et accepta du feu. Je n’arrivais pas à voir de quoi il avait l’air sous ses poils.
– Alors, vous avez encore réussi à vous faire blesser, reprit-il, vous ne pouvez pas dire qu’on ne vous a pas averti.
– C’est exact, dis-je, je l’ai fait les yeux grand ouverts.
– Et inversés, répliqua-t-il, en repoussant ma couverture et en regardant dessous. Les cicatrices des blessures que vous avez subies en Australie sont maintenant sur l’autre jambe.
Il laissa retomber la couverture et vint s’asseoir près de ma table de chevet.
– Non pas que j’avais besoin de regarder pour m’en assurer, ajouta-t-il. J’ai entendu parler de votre merveilleux cœur inversé en venant ici. Et j’avais comme l’impression que c’était vous l’idiot qui s’était amusé avec l’unité d’inversion. Ça vous dérangerait de me dire pourquoi ?
– Oui, répondis-je.
Il haussa les épaules.
– Très bien. Il est encore un peu tôt pour que vous atteignez le stade de la malnutrition. J’attendrai.
Je tournai les yeux vers Nadler.
– Vous n’avez toujours pas répondu à ma question, dis-je. Pour qui travaillerai-je ?
Cette fois, il sourit largement.
– Pour lui, dit-il.
– Vous voulez rire ? Depuis quand le Département d’État engage-t-il des faux wombats et des chiens d’aveugle ? Des résidents extra-terrestres, de surcroît ?
– Ragma ne fait pas partie du Département d’État. Il prête ses services aux Nations unies. Si vous travaillez avec nous, vous serez immédiatement attaché à une équipe spéciale des Nations unies, dont il est le chef.
– On vous prête comme une sorte de livre de bibliothèque, alors, dis-je en me retournant vers Ragma. Si vous m’expliquiez ?
– C’est pour cette raison que je suis ici, répondit-il. Comme vous le savez, évidemment, l’objet, généralement connu sous le nom de pierre des étoiles, a disparu. Vous en avez été, apparemment, en. possession pendant un temps et, en conséquence et pour diverses raisons, vous étiez le centre d’intérêt d’un certain nombre de personnes concernées par le recouvrement de la pierre.
– Paul l’a-t-il eue en main ?
– Oui. On lui avait demandé d’en faire une copie pour l’exposer.
– Alors, il a plutôt fait preuve de négligence.
– Oui et non. Un homme très particulier, ce professeur Byler, et l’instrument d’une coïncidence qui a compliqué les choses d’une façon absolument imprévisible. Vous voyez, on lui a demandé de faire ce travail, parce qu’on le considérait comme la personne la plus qualifiée dans ce domaine. Dans le passé, il a travaillé beaucoup sur les synthétiques et les cristaux, et sur ce genre de choses. Et il a construit un très beau spécimen, au point qu’un comité de spécialistes a été, en fait, incapable de le distinguer de l’original. Un tribut à l’habileté de cet homme ? C’est ce qu’il semblait, au début. Je ne sais pas comment vos gens auraient pu déceler le faux dans des circonstances ordinaires.
– Il a gardé l’original et leur a rendu une copie, avec une copie de la copie ?
– Rien d’aussi simple, dit Ragma. Ainsi qu’il s’est avéré, l’objet qu’on lui a donné à copier n’était pas la pierre des étoiles. La substitution avait eu lieu beaucoup plus tôt autant que nous le savons maintenant, quelques minutes après la réception officielle de la pierre par le secrétaire général des Nations unies. Peut-être avez-vous eu l’occasion de voir cet événement à la télévision ?