– Tout le monde l’a vu. Que s’est-il passé ?
– L’un des gardiens l’a échangée contre une fausse pierre pendant qu’on la convoyait jusqu’au coffre. L’échange n’a pas été décelé. Il est parti avec la pierre authentique et le professeur Byler a reçu la contrefaçon à copier.
– Alors, comment Paul est-il impliqué dans… ?
– Coïncidence, dit-il, coïncidence dont il faut tenir compte dans toute histoire. Je suis surpris que vous ne me demandiez pas où le gardien s’était procuré la copie.
Je m’affaissai un peu. Je me demandai si ça me ferait mal de rire.
– Pas… Paul ? dis-je. Dites-moi que ce n’est pas lui qui a fait la première copie.
– Mais si, dit Ragma. Sur la base de quelques photos et d’une description écrite. Voilà qui est vraiment tout à son honneur. Dans le domaine technique, c’est vraiment le meilleur.
Je mâchouillai ma cigarette.
– Alors, il a reçu sa propre copie pour en faire une copie ?
– Précisément. Ce qui le plaçait dans une position pour le moins désagréable. Il lui fallait travailler à partir d’une contrefaçon, alors qu’il avait maintenant à sa disposition beaucoup mieux que quelques photos et une description de l’objet. Et les Nations unies qui lui demandaient de recopier son propre travail !
– Mais attendez ! C’est lui qui avait la véritable pierre ? Je croyais que le gardien l’avait emportée ?
– J’y arrivais justement. Le gardien l’a apportée au professeur Byler. Il avait peur que la première copie ne soutienne pas un examen approfondi, surtout de la part de visiteurs extraterrestres qui auraient pu l’avoir vue autre part et connaître sa composition chimique – une chose que, peut-être seul, un extraterrestre aurait pu déceler. En tout cas, son intention était de produire une meilleure copie, cette fois, et de l’échanger, par le même gardien, contre son ancien modèle. La seconde version, pensait-il, pourrait soutenir l’examen plus longtemps. Il était donc confronté au dilemme suivant : rendre la première version et une copie, ou rendre deux pierres de la deuxième génération, dont il était assez fier. Il l’a résolu en rendant la première ver-sion et une copie, parce qu’il craignait qu’entre-temps les autorités n’aient fait une étude détaillée de ses propriétés et enregistré ses coordonnées.
Je secouai la tête.
– Mais pourquoi ? Pourquoi, diable, tout ce galimatias, pour commencer ?
Ragma éteignit sa cigarette et soupira.
– L’homme est profondément attaché à la monarchie britannique.
– Les bijoux de la couronne ! m’exclamai-je.
– Exactement. Quand la pierre des étoiles est arrivée sur Terre, les bijoux en sont partis. Il était obsédé par cette perte, par ce qu’il considérait comme un marché injuste, une insulte à la souveraine.
– Mais ils sont toujours à elle, en fait, et toujours disponibles. Les Anglais ont approuvé leur prêt ad infinitum sous ces conditions.
– Il semble que nous voyons tous deux les choses de cette façon, dit Ragma. Mais pas lui. Comme bien d’autres d’ailleurs, le gardien, par exemple, qui ont coopéré avec lui dans cette aventure.
– Que comptaient-ils faire exactement ?
– Ils avaient l’intention d’attendre un moment, que vos relations avec les autres races s’élargissent et que les bénéfices de cette association soient fermement ancrés dans l’esprit du public. À ce moment-là, ils auraient annoncé que la pierre des étoiles était un faux – fait aisément vérifiable par les autorités extraterrestres – puis qu’ils détenaient l’original contre rançon. Le prix, bien entendu, étant le retour sur Terre des bijoux de la couronne.
– Ainsi, c’est une bande de cinglés qui était derrière tout cela. Ce qui explique même un certain toast dont j’ai eu vent dans mon appartement. Ils m’attendaient, sans aucun doute, pour me demander où elle était.
– Oui. Ils vous cherchaient. Mais nous les surveillions nous aussi. Ils représentaient plus un désagrément qu’une menace, en réalité, et ils pouvaient même nous aider à retrouver la pierre si nous les laissions faire. Ce qui nous semblait suffisant pour contrebalancer les inconvénients que cela pouvait présenter.
– Que se serait-il passé si tout s’était déroulé selon leurs plans ?
– Si le plan avait réussi, alors, la Terre aurait été exclue du cycle d’échanges et probablement mise au ban du commerce, du tourisme et des échanges culturels et scientifiques. Cela aurait également minimisé sérieusement vos chances d’être invités à vous joindre à la confédération officielle que nous avons établie, une organisation, en gros, équivalente à celle des Nations unies ici.
– Et un homme intelligent comme Paul ne peut pas comprendre ça ? On se demande, dans ce cas, si nous sommes prêts pour une chose de cette envergure.
– Oh ! il a compris, maintenant. C’est lui qui nous a donné tous les détails sur ce qui s’était passé. Ne soyez pas trop dur avec lui. Les sentiments échappent souvent à l’intellect
– Mais que lui est-il arrivé ? J’ai entendu dire qu’il avait été tué.
– Il a été attaqué et sérieusement blessé. Mais la police est arrivée sur les lieux au moment même où ses assaillants partaient. Ils possédaient un équipement médical d’urgence, et ils l’ont transporté aussitôt à l’hôpital où on lui a fait un certain nombre de transplantations d’organes, qui ont toutes réussi. Après cela, il s’est mis en contact avec les autorités et leur a raconté toute l’histoire. Son changement de sentiments a été d’autant plus rapide que ses assaillants étaient de ses anciens associés.
– Zeemeister et Buckler ne me semblent pas être le genre d’individus dont l’intellect est dirigé par les sentiments, dis-je.
– Exact. Ce sont, fondamentalement, des bandits. Encore récemment, leur principale activité consistait à faire le trafic d’organes. Avant cela, ils se sont livrés à toutes sortes de commerces illicites, mais il semble que le marché des organes était en plein boom. Ils se sont engagés dans le vol de la pierre des étoiles plus par appât du gain que par idéalisme. Aucun autre membre de la conspiration n’était un criminel dans le sens professionnel du terme. C’est pour cette raison qu’ils ont engagé Zeemeister – pour s’occuper du vol de la pierre. Son dessein ultime, cependant, était de tripler tout le monde.
– Doubler, dis-je, en lui allumant une autre cigarette.
– Oui, c’est cela. Il avait l’intention de s’approprier la pierre à un moment donné et de la rendre aux autorités contre une certaine somme d’argent et l’assurance de l’impunité de leur crime.
– Si c’était arrivé ainsi, quel effet cela aurait-il eu sur nos chances d’entrer dans la confédération ?
– Cela n’aurait pas été aussi grave que de l’utiliser pour l’échanger contre les bijoux de la couronne, dit-il. Dans la mesure où vous pouvez la rendre quand on vous le demande, tout problème intérieur concernant sa sécurité vous regarde.
– Alors, quel est votre véritable rôle dans cette affaire ?
– Je n’aime pas considérer les choses d’une manière aussi terriblement stricte, répondit-il. Vous êtes nouveau dans le jeu, et j’essaie de vous donner toutes les chances. J’aimerai qu’on retrouve la pierre et que l’indicent soit oublié.
– Très gentil à vous, dis-je. Aussi vais-je essayer d’être raisonnable. Je suppose donc que Paul avait la véritable pierre et qu’il vous a dit qu’il croyait qu’elle était passée entre notre possession lors d’une certaine partie de cartes dans son labo.
– C’est exact.
– Ainsi, il est possible et même probable que Hal et moi l’ayons eue dans notre appartement pendant un certain temps. Et puis, elle a disparu.