Выбрать главу

2.

Incidents et fragments, bribes et fractions de temps. Du genre…

– Ce n’est pas une plaisanterie ?

– J’ai bien peur que non.

– J’aurais préféré que ce soit le foutoir pour les raisons que tu connais, dit-elle, les yeux écarquillés, en reculant vers la porte que nous venions de franchir.

– Écoute, ce qui est fait est fait. Il suffit de mettre un peu d’ordre et…

Elle rouvrit la porte en secouant vigoureusement la tête, ce qui fit danser ses magnifiques cheveux longs.

– Tu sais quoi ? Je crois que je vais réfléchir un peu, dit-elle, en reculant vers le couloir.

– Oh ! voyons, Ginny, ce n’est rien de sérieux.

– Comme je viens de te le dire, je vais y réfléchir.

Elle fermait déjà la porte.

– Je t’appelle plus tard, alors ?

– Je ne pense pas.

– Demain ?

– Je vais te dire, je t’appellerai, moi.

Clic.

Merde ! Elle aurait pu aussi bien la claquer. Fin de la Phase Une de mes recherches pour trouver un nouveau colocataire. Hal Sidmore, qui avait partagé l’appartement avec moi pendant un certain temps, s’était marié quelque deux mois plus tôt. Il me manquait, parce que c’était un joyeux compagnon, un bon joueur d’échecs et en général un sacré luron, aussi bien qu’un remarquable exégète dans une foule de domaines. J’avais décidé de chercher quelqu’un d’un peu différent, cette fois. J’avais cru avoir découvert cette qualité indéfinissable chez Ginny, une nuit, alors que je grimpais sur la tour de radio, derrière le bâtiment des Pi Phi et qu’elle se livrait à ses dernières ablutions dans sa chambre, au quatrième étage. Les choses avaient marché comme sur des roulettes après ça. J’avais fait sa connaissance sur la terre ferme, nous faisions des choses ensemble depuis plus d’un mois et je venais de la persuader d’envisager un changement de résidence pour le prochain semestre. Et puis ça !

« Sacré bon Dieu ! » décidai-je, en donnant un coup de pied dans un tiroir renversé. Inutile d’essayer de la rattraper maintenant. Il valait mieux ranger, lui laisser le temps de se remettre et la voir demain.

On n’y avait pas été de main morte, on avait fouillé partout. On avait même bougé les meubles et enlevé les taies des coussins. Je poussai un soupir en contemplant le spectacle. C’était pire qu’après la plus orgiaque des beuveries. C’était vraiment le moment pour venir me cambrioler et tout casser ! Ce n’était pas un quartier chic mais c’était quand même loin d’être pouilleux. Ce genre de choses ne m’était jamais arrivé, et il fallait que ce soit juste à ce moment-là ! Pour effrayer ma souple et chaude compagne ! En plus, on avait dû sûrement me voler quelque chose.

Il y avait de l’argent liquide et quelques objets vaguement précieux dans le premier tiroir du secrétaire de ma chambre. J’avais aussi enfoui, dans un coin, un rouleau de billets au fond d’une vieille botte sur une étagère. J’espérais que le vandale s’était contenté du contenu du tiroir. C’était le but de cette idée pour le moins banale.

J’allai vérifier.

Ma chambre était en meilleur état que le living-room, mais elle avait subi quand même quelques déprédations. Le couvre-lit et les draps avaient été arrachés et le matelas était de biais. Deux des tiroirs du secrétaire étaient ouverts mais pas renversés. Je traversai la pièce, ouvris le tiroir du haut et regardai dedans.

Tout était en place, même l’argent. J’allai jusqu’à l’étagère, mis la main dans la botte. Le rouleau de billets était encore où je l’avais laissé.

– Voilà un brave garçon ! Jetez donc ça ici ! dit une voix familière que je n’arrivais pas tout à fait à placer dans ce contexte.

Je me retournai et vis Paul Byler, professeur de géologie, émerger de mon placard. Les mains vides. Non pas qu’il ait besoin d’une arme pour appuyer ses menaces. Tout en étant petit, il était puissamment bâti et j’avais toujours été impressionné par le nombre de cicatrices qui ornaient ses jointures. Il était australien et avait commencé sa carrière comme ingénieur dans des endroits pour le moins dangereux, avant de se décider à passer une licence de géologie et de physique, puis d’enseigner.

J’avais toujours été en excellents termes avec cet homme, même après avoir abandonné la géologie comme matière principale. Je l’avais rencontré plusieurs fois dans des soirées. Mais je ne l’avais pas vu depuis quelques semaines parce qu’il avait pris des vacances. Je croyais même qu’il était parti.

Ainsi donc :

– Paul, que se passe-t-il ? Ne me dites pas que c’est vous le responsable de tout ce désastre ? demandai-je.

– La botte, Fred. Passez-moi simplement la botte.

– Si vous avez besoin de liquide, je serai ravi de vous en prêter.

– La botte !

Je m’avançai pour la lui donner et l’observai tandis qu’il plongeait la main dedans et retirai mon rouleau de billets. Il l’ignora superbement et me lança la botte et l’argent, très fort Je laissai tomber l’un et l’autre parce que je les avais reçus en plein estomac.

Avant même que j’ai le temps d’achever un bref juron, il me prit par les épaules, me fit pivoter et me poussa dans un fauteuil, à côté de la fenêtre ouverte dont les rideaux étaient agités d’une légère brise.

– Je ne veux pas de votre argent, Fred, dit-il en me regardant d’un œil furieux. Je veux quelque chose que vous avez et qui m’appartient. Il vaudrait mieux me dire la vérité : savez-vous de quoi je parle ou non ?

– Je n’en ai pas la moindre idée, répondis-je. Je n’ai rien qui vous appartienne. Vous auriez pu m’appeler pour me le demander. Ce n’était pas la peine de venir chez moi comme ça et de…

Il me donna une gifle. Pas spécialement forte. Juste assez pour me secouer et me faire taire.

– Fred, dit-il, fermez-la. Fermez-la et écoutez. Répondez quand je pose une question. C’est tout. Gardez vos commentaires pour une autre fois. Je suis pressé. Je sais que vous mentez parce que j’ai déjà été voir votre copain Hal. Il dit que c’est vous qui l’avez parce qu’il l’a laissée ici quand il a déménagé. Je parle de l’une des copies de la pierre des étoiles qu’il a emportée après une partie de poker dans mon labo. Vous vous rappelez ?

– Oui, dis-je. Si vous m’aviez simplement appelé pour me demander…

Il me gifla une nouvelle fois.

– Où est-elle ?

Je secouai la tête en partie pour m’éclairer les idées, en partie en signe de dénégation.

– Je… je ne sais pas, dis-je.

Il leva la main.

– Attendez ! Je vais vous expliquer. Ce truc que vous lui avez donné, il l’avait mis sur son bureau ; il s’en servait comme presse-papiers. Je suis sûr qu’il l’a emmené avec lui, avec tout son barda – quand il a déménagé. Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs mois. J’en suis absolument certain.

– Eh bien, l’un de vous deux ment, dit-il, et c’est vous que j’ai sous la main.

Il leva le bras mais cette fois, j’étais prêt. Je l’évitai et lui lançai un coup de pied dans le bas-ventre.

Ce fut spectaculaire. Ça valait presque la peine de rester pour contempler le spectacle, parce que je n’avais encore jamais donné de coup de pied dans le bas-ventre de quelqu’un. La chose la plus rationnelle à faire ensuite était de le frapper sur la nuque, de préférence avec le coude. Mais je n’étais pas dans mon état le plus rationnel à ce moment-là. Pour être tout à fait honnête, l’homme me faisait peur. J’étais terrifié à l’idée de m’approcher de lui. N’ayant que peu d’expérience dans le domaine des personnes touchées au bas-ventre, je n’avais aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour se redresser et me sauter dessus.