J’aperçus un dernier palier, une porte en haut des escaliers, entouré d’une sorte de kiosque, avec des petites fenêtres grillagées. J’espérais que la porte s’ouvrait de l’intérieur sans clef – ce qui avait l’air d’être le cas – parce qu’il me faudrait du temps pour briser ces fenêtres grillagées – si même j’y parvenais. Tout en montant, je cherchais des yeux des instruments qui pourraient m’y aider.
Je vis un bric-à-brac qui pourrait servir à cette fin, puisque apparemment personne n’avait pensé qu’on pourrait essayer d’entrer par là. Il se révéla inutile cependant, car la porte s’ouvrit quand j’appuyai sur la clenche et poussai de tout mon poids.
C’était une lourde porte qui s’ouvrait lentement, mais quand je parvins à l’entrouvrir et à me glisser dehors, j’étais certain d’approcher le cœur du problème. Je clignai des yeux pour m’habituer à l’obscurité, essayant de situer les tuyaux, les cheminées, les panneaux de descente et les ombres à la lumière de mes souvenirs. Quelque part, là, sous les étoiles, la lune et le profil des buildings de Manhattan, il y avait une faille qu’il me fallait combler. Les dieux étaient peut-être contre moi, mais j’avais fait vite. Et si j’avais deviné juste, il y avait une chance…
Retenant mon souffle, j’étudiai le panorama. Je fis lentement le tour du kiosque, le dos au mur, scrutant tous les coins sombres et tous les creux, les gouttières et par-delà. Je me trouvai presque dans une situation proverbiale, au pied de la lettre, sauf que je n’étais pas dans un four.
L’objet de mes recherches semblait avoir plusieurs avantages à son actif. Mais outre la certitude grandissante que j’avais raison, j’avais de la persévérance à revendre. J’attendrais encore plus longtemps que lui. Je le poursuivrais dès que j’apercevrais le moindre de ses mouvements.
« Je sais que vous êtes là, dis-je, et je sais que vous pouvez m’entendre. Il vous faut rendre des comptes maintenant, car vous avez été trop loin. Je suis venu pour ça. Allez-vous vous rendre pour répondre à nos questions ? Ou préférez-vous aggraver les choses en faisant des difficultés ? »
Pas de réponse. Je n’avais toujours pas aperçu ce que je cherchais.
« Eh bien ? dis-je. J’attends. Je peux attendre aussi longtemps qu’il le faudra. Je suis certain que vous ne respectez pas la loi – votre loi. J’en suis absolument certain. La nature de l’organisation tout entière condamne ce genre d’activités. Je n’ai absolument pas la moindre idée de vos motifs, mais ils ne sont pas spécialement pertinents à ce stade. Je suppose que j’aurais dû comprendre plus vite, mais ma récente connaissance de la diversité des formes de vie extra-terrestres n’est pas suffisamment étendue. C’est pour cette raison que vous avez pu vous en sortir jusqu’ici. Dans le cabanon ? Oui, en effet, c’est là que j’aurais dû commencer à comprendre. Nos chemins se sont croisés plusieurs fois auparavant, mais je pense qu’on peut me pardonner de n’avoir pas entrevu la signification de ces rencontres. Ici même, la nuit où j’ai testé la machine… Vous êtes prêt à sortir ? Non ? Très bien. Je suppose que vous êtes télépathe et que toutes ces paroles sont inutiles, puisque je ne vous ai rien entendu dire à Zeemeister. Mais comme je ne suis pas du genre à m’en remettre à l’incertitude, je vais continuer à m’exprimer de cette façon. Je pense que vous avez la faculté de voir la nuit, comme l’espèce dont vous avez pris la forme. J’ai vu la lueur de vos yeux d’en bas. Alors, fermez-les ou tournez la tête, car je pourrais l’apercevoir encore. Mais, dans ce cas, c’est vous qui ne pourrez pas me voir. Votre sens télépathique ? Je me le demande. L’idée vient juste de traverser mon esprit que vous pourriez trahir votre présence à M’mrm’mlrr si vous vous en serviez. Il n’est pas si loin ? Il est possible que la situation actuelle ne soit pas à votre avantage. Qu’en dites-vous ? Vous préférez vous montrer raisonnable ? Ou êtes-vous prêt à soutenir un long siège ? »
Toujours rien. Mais je refusai de laisser entrer le moindre doute dans mon esprit.
« Têtu, n’est-ce pas ? poursuivis-je. Mais aussi, j’imagine que vous avez beaucoup à perdre. Charv et Ragma semblent avoir une autonomie d’action assez importante dans leur travail, puisqu’ils se trouvent loin du centre de commandement. Peut-être connaissent-ils un moyen de vous rendre les choses moins compliquées. Je n’en sais rien. Supposition. Ça vaut la peine d’y réfléchir quand même. Je pense que le fait que personne ne m’ait suivi ici indique que M’mrm’mlrr est en train de lire mes pensées et qu’il rapporte la situation à ceux qui sont en bas. Ils doivent déjà être au courant de ce que j’ai compris. Ils doivent savoir que ce n’est pas de votre faute si vous vous êtes foutu dedans, je ne crois pas que vous, ou qui que ce soit, saviez que la pierre des étoiles était douée d’intelligence, et que, lorsque je l’ai rendue à la vie, elle s’est mise à enregistrer les faits, à les classer, à les manipuler. Toutefois, elle a eu du mal à communiquer avec moi à cause de son caractère lévogyre qui existe toujours – parce que ce qui l’a branchée m’a plutôt éteint. Alors, elle ne peut pas livrer ses conclusions en ce qui vous concerne. Elle m’a donné une phrase de Lewis Caroli cependant. Peut-être l’a-t-elle prise dans la librairie. Je n’en sais rien. Elle n’avait à sa disposition que des souvenirs déformés de ma mémoire. Quoi qu’il en soit, ça n’a pas déclenché grand-chose en moi. Alors que c’était le second essai qu’elle faisait. Le sourire est venu d’abord. Je n’ai rien pu en tirer. Jusqu’à ce que oncle Albert dise « Cheshire », et que je lève les yeux à ce moment-là pour apercevoir la silhouette d’un chat se détachant sur la lune. C’est vous qui avez fait tomber les filets sur Paul Byler. Zeemeister était à votre service. Vous aviez besoin d’agents humains et il était parfait pour cela : vénal, compétent, et bien informé de la situation depuis le début. Vous l’avez acheté et envoyé à la recherche de la pierre. Seulement, la pierre avait d’autres idées et, à la dernière minute, je les ai comprises. Vous avez pris la forme d’un chat noir qui a croisé mon chemin plus d’une fois. Maintenant, je crois que s’il existe des lumières sur ce toit, il faudrait que quelqu’un aille les allumer. Peut-être cherchent-ils déjà où se trouve le standard. Est-ce que nous descendons ou nous attendons qu’ils allument les lumières ? Je vous attraperai une fois que les toits seront éclairés. »
Moi qui me croyais préparé à tout, je fus pris par surprise l’instant suivant. Je poussai un cri quand il me sauta dessus et essayai de me protéger les yeux. Quel idiot j’avais été !
J’avais regardé partout sauf sur le toit du kiosque.
Des griffes s’enfonçaient dans mon crâne, labouraient ma figure. J’avais attrapé la créature à plein bras mais n’arrivait pas à la déloger. Désespéré, alors, je rejetai la tête en arrière, contre le mur du kiosque.
Comme je l’avais prévu – ayant compris mon manège – il bondit et je me cognai la tête contre le mur.
Jurant, les jambes flageolantes, me tenant le crâne, je fus incapable pendant quelque temps de me mettre à sa poursuite. Pendant plusieurs minutes, en fait…
Finalement, je me redressai, essuyai le sang qui coulait sur mon front et mes joues et regardai autour de moi. Cette fois, j’aperçu un mouvement. Il était en train de galoper vers le bord du toit, et bondit sur le muret…
Là, il s’arrêta, jeta un coup d’œil en arrière. Pour se moquer de moi ? J’aperçus la lueur de ses yeux.
« Vous l’aurez voulu », dis-je et je me mis à sa poursuite.
Il se retourna alors et courut le long du muret. Trop vite, me semblait-il, pour pouvoir s’arrêter au coin.
Mais il ne s’arrêta pas.