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Murray Leinster

La planète oubliée

PRÉFACE

Si ce roman diffère quelque peu des autres ouvrages classés comme lui dans le rayon de science-fiction, c’est que ses principaux personnages sont pour ainsi dire à la portée de votre main et que vous les avez certainement déjà rencontrés.

Faites quelques pas dans l’herbe, ou marchez jusqu’au premier buisson venu, vous trouverez sûrement une toile d’araignée. Vous admirerez sa parfaite symétrie, vous distinguerez le ruban de soie qui se promène en zigzag du centre de la toile à sa circonférence. L’architecte qui a conçu ce chef-d’œuvre n’est pas plus gros que votre pouce. C’est l’araignée commune des jardins, l’Epeira fasciata à bandes jaunes.

Ce n’est pas pour vous impressionner par mon érudition que je vous ai conduits jusqu’à l’Epeira, mais pour vous suggérer une expérience.

Prenez un brin de paille et touchez la toile. Ne la déchirez pas. Donnez-lui seulement des petits coups avec votre paille. L’araignée comprendra tout de suite que vous n’êtes pas une proie comestible. Alors elle essayera de vous faire peur, de vous mettre en fuite. Toute la toile va se mettre à vibrer si bien que l’araignée, balancée au bout de son fil, aura l’air de se précipiter sur vous à une vitesse de plus en plus folle.

Cette manœuvre doit logiquement vous frapper de terreur. Lorsqu’elle pensera avoir atteint ce but, l’araignée s’arrêtera.

Cette araignée, vous la trouverez, démesurément grossie, dans ce livre. Vous y trouverez aussi des grillons, des hannetons et d’autres insectes que vous ne connaissez peut-être pas personnellement. Cependant ce livre n’est pas une histoire de sciences naturelles, c’est bien une science-fiction. Si j’ai conservé aux animaux que vous y rencontrerez toutes leurs habitudes authentiques, c’est parce qu’il m’était impossible d’inventer quelque chose de plus intéressant ou de plus dramatique.

Comme la science-fiction reste en étroite liaison avec la science, si vous voulez en savoir plus long sur les héros de mon histoire, je vous conseille quelques bouquins dont vous trouverez la liste à la fin de ce livre. Ne manquez pas Fabre. C’était vraiment un type du tonnerre !

Murray Leinster.

PROLOGUE

Le navire de prospection spatiale Téthys fut le premier astronef à se poser sur la planète sans nom. C’était une planète admirable à bien des égards. Elle possédait des océans nombreux que le soleil tout proche chauffait si généreusement qu’un perpétuel écran de nuages les cachait à la vue – comme il cachait la plus grande partie du sol. Il y avait des montagnes et des continents, des îles et des hauts plateaux. Il y avait le jour et la nuit, le vent et la pluie. La température moyenne se situait dans les limites auxquelles les êtres humains pouvaient aisément s’adapter. Le climat était plutôt tropical, mais pas désagréable.

Seulement il n’existait aucune vie sur la planète sans nom.

Aucun animal ne rôdait sur ses continents. Aucune végétation ne poussait sur ses roches. Aucune bactérie, même, ne luttait avec ses pierres pour les transformer en poussière. Aussi n’y trouvait-on pas de terre. De la roche, des galets, du gravier et même du sable. Mais pas de terre où la végétation puisse se développer. Aucun être vivant, si infime fût-il, ne nageait dans ses mers. De sorte qu’il n’y avait même pas de vase sur les fonds marins. C’était l’un des très nombreux univers qui se révélèrent décevants lorsque l’homme commença d’explorer la Galaxie. Les humains ne pouvaient y vivre parce que rien, jusqu’alors, n’y avait vécu.

L’eau y était fraîche et les océans sans danger. L’air y était pur et respirable. Mais la planète n’avait aucune utilité pour les hommes. On aurait pu tout au plus l’utiliser comme laboratoire biologique pour des expériences nécessitant la croissance dans un milieu pur, exempt de microbes. Mais il y avait déjà de nombreuses planètes de ce genre. Les premiers voyages interplanétaires avaient été entrepris parce qu’il était absolument nécessaire de trouver des mondes nouveaux où les hommes puissent vivre. La Terre était surpeuplée, terriblement surpeuplée. Et les hommes recherchaient de nouveaux univers où s’installer. Ils en avaient découvert des quantités. Mais ils cherchaient désespérément des mondes nouveaux dans lesquels la vie les aurait précédés. Peu importait que l’existence fût douce et sans dangers ou féroce et meurtrière. S’il y avait une vie, quelle qu’elle fût, des humains pourraient s’y fixer. Mais des êtres aussi hautement organisés que les hommes ne pouvaient vivre là où n’existait aucune autre forme de vie.

Le Téthys s’assura donc qu’il n’y avait aucune trace de vie sur la planète inconnue. Puis l’équipage effectua les habituelles mesures de la constante de gravitation, du champ magnétique et des courbes de température. Il préleva des échantillons d’air et d’eau. Mais ce fut tout. Les roches étaient familières. Aucune nouveauté de ce côté. Simplement, la planète était inutilisable. Le navire de prospection inscrivit ses découvertes sur une fiche mécanographique de quinze centimètres sur vingt et partit rapidement à la recherche d’un univers meilleur. Il n’ouvrit même pas un de ses hublots pendant son séjour. La visite du Téthys n’eut d’autres suites que la fiche mécanographique. Absolument aucune.

Pendant huit-cents ans, aucun autre navire ne s’approcha de la planète inconnue.

Puis, près de mille ans plus tard, le navire d’ensemencement Orana se posa sur la planète sans nom. À cette époque, l’humanité s’était répandue très largement et très loin. Le quart de la Galaxie avait été exploré et colonisé. La Terre n’était plus surpeuplée. Il y avait encore une émigration. Mais ce n’était plus le flot des siècles précédents, tout au plus un mince filet. Certains des mondes colonisés avaient, à leur tour, leurs émigrants. L’espèce humaine ne voulait pas s’entasser à nouveau. Les hommes estimaient maintenant que les taudis monstrueux engendrés par le surpeuplement n’avaient aucune raison d’être.

D’ailleurs, les astronefs étaient aussi devenus plus rapides. Un voyage de cent années-lumière était un petit voyage. Un voyage de mille années-lumière était faisable. Des explorateurs avaient même été beaucoup plus loin. Ils avaient signalé l’existence d’univers plus éloignés qui attendaient encore la venue de l’homme. Cependant, la grande majorité des planètes nouvellement découvertes ne contenaient toujours pas de vie. Des systèmes solaires entiers flottaient dans l’espace sans qu’on pût y découvrir une seule cellule vivante.

C’est pour cela que furent créés les navires d’ensemencement. Leur rôle n’était pas glorieux. Ils ne faisaient que contaminer méthodiquement les mondes stériles en y apportant la vie.

Le navire d’ensemencement Orana se posa sur la planète qui n’avait toujours pas de nom. Il la contamina soigneusement. Puis, tournant inlassablement au-dessus des nuages, il déversa une fine poussière ; les spores de tous les micro-organismes imaginables capables de transformer la roche en poussière, puis cette poussière en terre. Il procéda à un ensemencement de moisissures, de champignons et de lichens, et de tout ce qui pouvait transformer le sol originel en matière sur laquelle des êtres plus complexes pourraient vivre. L’Orana pollua les mers de plancton. Puis, lui aussi, il repartit.

D’autres siècles encore s’écoulèrent. Les navires humains se perfectionnaient toujours. Mille années-lumière représentaient un petit voyage. Les explorateurs avaient atteint le bord même de la Galaxie et se préparaient à conquérir, par-delà le vide, d’autres univers flottants. Il y avait des colonies dans la Voie lactée. Des lignes régulières reliaient les différents groupes d’astres, et les centres commerciaux des affaires avaient été déplacés de quelques centaines de parsecs vers la Frange. Dans nombre d’univers, on s’efforçait d’apprendre aux enfants des écoles ce qu’était la Terre, où elle se trouvait, et que tous les autres univers avaient été peuplés par elle. Et l’on répétait également dans les écoles la seule leçon que l’espèce humaine semblait véritablement avoir apprise : que le secret de la paix, c’est la liberté – et que le secret de la liberté, c’est la possibilité de s’éloigner des gens avec lesquels on ne s’entend pas.