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Trois ou quatre jeunes fourmis, minuscules insectes qui mesuraient à peine quinze centimètres de long, fourrageaient dans les débris. Burl jeta son dévolu sur une patte postérieure aux griffes féroces. Lorsqu’il la ramassa, une plainte courroucée s’éleva du sol. Une des petites fourmis était en train de détacher un morceau de chair de la patte. Burl lui avait arraché son butin.

La petite bête se précipita avec fureur sur le jeune homme en poussant un cri strident. Burl la frappa avec la patte de hanneton et l’écrasa. Deux autres fourmis, attirées par les cris de la première, apparurent. Elles découvrirent le corps écrasé de leur compagne et l’emportèrent triomphalement.

Burl continua sa marche, tenant à la main la patte griffue. Derrière lui, l’armée des fourmis guerrières approchait. Elles envahirent une forêt de champignons dont les chapeaux jaunâtres ne tardèrent pas à disparaître sous la marée des insectes.

Une grosse mouche à viande, brillant d’un éclat métallique, était postée sous un bolet infesté d’asticots qui exsudaient une pepsine capable d’en dissoudre la chair. Les asticots baignaient béatement dans ce brouet infect qui s’écoulait vers le sol. Et, à terre, la mouche bleue aspirait avec volupté le liquide puant.

Burl s’approcha et frappa. La mouche s’effondra.

Le jeune homme se pencha sur sa victime et réfléchit.

Le vacarme de l’armée en marche s’intensifiait. Les fourmis s’engouffrèrent dans une petite vallée et se ruèrent à travers un ruisseau que Burl avait sauté. Les fourmis sont capables de rester longtemps sous l’eau sans se noyer. Le ruisseau n’était donc guère dangereux pour elles. Bien sûr, quelques-unes furent emportées par le courant. Mais, se cramponnant les unes aux autres et formant une chaîne, les membres de l’avant-garde improvisèrent un pont que le gros de la troupe franchit aussitôt sans encombre.

Les guerrières atteignirent une clairière située à quatre cents mètres environ de la route suivie par Burl. Une étendue de quelques arpents était recouverte de choux géants qui, dans ce coin, avaient réussi à l’emporter sur les champignons. Leurs fleurs claires en forme de croix fournissaient du pollen aux abeilles. Leurs feuilles, larges de six mètres, nourrissaient d’innombrables vers et larves. À leurs pieds, sous les feuilles mortes, vivaient des grillons.

Les guerrières envahirent la forêt de choux. Un vacarme effrayant s’éleva. Les grillons cherchaient à s’enfuir. Affolés, ils sautaient à l’aveuglette dans tous les sens. La moitié d’entre eux atterrirent au milieu de l’armée de fourmis, sur le tapis de corps noirs cliquetants. Ils furent mis en pièces. D’horribles hurlements parvinrent aux oreilles de Burl.

Isolé, un de ces cris d’agonie n’aurait pas attiré son attention. Mais ce chœur de créatures torturées lui fit lever la tête. Il ne s’agissait pas de meurtre individuel. Une tuerie massive était en cours.

Burl tourna brusquement la tête pour voir ce qui se passait. Il regarda fixement les silhouettes des choux géants. Aucun rayon de soleil ne perçant les nuages pour chauffer leurs énormes feuilles, ces choux revêtaient des couleurs blafardes. Leurs fleurs blanches se découpaient sur le fond jaunâtre des feuilles. Soudain, tandis que Burl le contemplait, ce fond devint lentement noir.

Des larves se prélassaient avec une satisfaction paresseuse sur les choux. Tout à coup, une d’entre elles, puis une autre, commencèrent à s’agiter spasmodiquement. Burl s’aperçut qu’autour de chacune des larves une bordure noire s’était formée. Le flot sombre les recouvrit entièrement. Les contorsions frénétiques des victimes témoignaient de leurs souffrances atroces tandis qu’elles étaient dévorées vivantes.

Les fourmis dépassèrent la clairière des choux. Burl vit apparaître une vague noire qui approchait des champignons au milieu desquels il se trouvait. Un flot vivant, étincelant, inondait le sol avec un bruit de cliquetis intense que dominaient des stridulations aiguës.

La marée noire le rattrapait.

Burl sentit ses cheveux se dresser sur sa tête. Il savait ce que cela signifiait. Et il ne s’arrêta pas pour réfléchir. Il jeta le champignon comestible qu’il portait sous son bras et, se cramponnant à son arme, il tourna les talons et s’enfuit. Les autres dangers qu’il pouvait courir, il s’en moquait bien. Il lui fallait, à tout prix, échapper aux fourmis guerrières qui représentaient une mort certaine.

D’énormes mouches vinrent bourdonner autour de lui et l’une d’elles – plus large que sa main – se posa sur son épaule.

Continuant à foncer droit devant lui, il la chassa. Mais l’huile dont il était enduit avait ranci, et l’odeur fétide attirait irrésistiblement ses congénères. Une demi-douzaine, puis une douzaine d’insectes grondants et vrombissants – la plus petite de ces mouches avait la taille d’un faisan – accompagnèrent bientôt sa course éperdue.

Une mouche à viande, aussitôt rejointe par une seconde, se posa sur sa tête. Et, grâce à leur trompe velue, les deux créatures ignobles se mirent à aspirer la graisse qui poissait ses cheveux. Burl les chassa de sa main et accéléra encore sa course, les oreilles aux aguets, attentif au cliquetis des fourmis qui marchaient dans son sillage.

Car il continuait à retentir, ce cliquetis terrifiant, même s’il était presque noyé à présent par le vacarme du halo de mouches qui accompagnait Burl. Sur la planète oubliée, le bourdonnement de ces diptères était descendu de plusieurs tons au fur et à mesure que la taille de l’espèce s’était accrue – il était proche maintenant du son le plus grave que soit capable de produire un orgue. Et pourtant, les mouches, bien que de dimensions respectables, n’avaient pas crû aussi démesurément que les autres insectes sur ce monde abandonné. Elles n’y disposaient pas, en effet, de grands amoncellements de matière putride où pondre leurs œufs : les fourmis, inlassables charognards, charriaient les moindres débris pour les utiliser à leur profit bien avant qu’ils n’aient acquis cette odeur de faisandé tant appréciée des asticots. Les mouches ne proliféraient qu’en de rares endroits, où elles pullulaient alors en véritables nuages.

Un de ces nuages était précisément en train de se former autour de Burl. On aurait dit qu’un tourbillon l’accompagnait dans sa fuite éperdue – un tourbillon de corps velus, répugnants, et d’yeux à facettes multiples. Pour se tailler un chemin à travers cet envol d’animaux immondes, le jeune homme était obligé d’effectuer de constants moulinets avec son arme. Chaque mouvement de la patte griffue qu’il faisait tournoyer devant lui provoquait la mort d’une mouche géante qu’il écrasait dans un affreux giclement de liquide rougeâtre.

Soudain, Burl sentit une violente douleur dans son dos. Une mouche lui avait planté sa trompe acérée dans la chair pour lui sucer le sang. Il poussa un hurlement et, aveuglé par la douleur, entra de plein fouet dans le pied d’un champignon vénéneux en état de putréfaction avancée.

Le champignon s’écroula avec un bruit mou. D’innombrables insectes y avaient pondu leurs œufs, transformant la chair empoisonnée en une masse gélatineuse à l’odeur pestilentielle, grouillante d’asticots.

Le bourdonnement profond des mouches exprima brusquement la satisfaction. Et elles fondirent sur ce festin inattendu. Burl, qui avait perdu tout attrait à leurs yeux, reprit sa course folle. Seules le suivirent quelques obstinées, qu’il abattit sans difficulté. Il n’eut même pas besoin de les tuer toutes : les survivantes étaient trop occupées à se repaître des cadavres de leurs sœurs pour se préoccuper du fugitif.