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Saya attendait timidement. Quand elle put examiner Burl de près, elle fut saisie de stupeur. Des plumes d’or sur la tête, une cape sur les épaules, un pagne de fourrure bleue, une lance à la main ! Ce n’était pas le Burl qu’elle avait connu.

Le nouveau héros prit les mains de Saya et se lança dans un long discours, tout entier consacré à sa gloire. Mais le langage des hommes était tristement réduit. Saya avait du mal à comprendre. Enfin ses yeux brillèrent, elle saisit Burl par les poignets et l’entraîna.

Lorsque les jeunes gens retrouvèrent le reste de la tribu, ils portaient entre eux le cadavre de l’araignée. Et Saya semblait plus fière encore que Burl.

5

Burl espérait beaucoup de son retour sensationnel dans sa tribu. Il s’attendait à ce qu’on l’admire. À ce qu’on le respecte. À ce que tout le monde constate qu’il était quelqu’un de remarquable.

Et c’est en fait ce qui se produisit. Pendant une bonne heure, toute la tribu resta groupée autour de lui tandis que le jeune homme à l’aide de son vocabulaire limité racontait ses exploits. Il retraça les aventures sans précédent qu’il avait vécues pendant les dernières quarante-huit heures. Il fut écouté attentivement et avec l’admiration béate qui convenait. La tribu était fière de Burl.

Ce fait lui-même constituait, pour ce groupe humain, un sérieux pas en avant. Jusqu’ici la conversation, sur la planète oubliée, s’était bornée à des espèces d’échanges d’adresses : il y avait les endroits où l’on pouvait trouver de la nourriture et il y avait les endroits dangereux. On se limitait strictement à des données pratiques. On s’aidait à trouver des provisions et à rester en vie. Les difficultés de l’existence étaient si grandes qu’en quelques générations les humains avaient complètement renoncé à des luxes tels que la gloire et la vantardise. Ils avaient oublié toutes traditions. Ils ignoraient l’art, même sous ses formes les plus primitives. De sorte qu’écouter un récit qui ne leur apportait ni nourriture ni diminution d’un danger constituait un progrès dans l’échelle culturelle.

Les congénères de Burl examinèrent en tremblant l’araignée morte. La bête était horrible. Ils ne la touchèrent pas. Personne ne considérait les araignées comme des aliments. Trop d’hommes leur avaient eux-mêmes servi de pâture.

Peu à peu, même l’horreur suscitée par la mygale s’estompa. Les jeunes enfants la contemplaient encore avec terreur. Mais les adultes finirent par ne plus y prêter attention. Seuls, les deux grands garçons essayèrent d’arracher une patte velue pour poursuivre et terrifier les plus jeunes. Ils n’y réussirent pas car ils n’eurent pas l’idée de la couper. Du reste, ils n’avaient pas d’outils pour couper.

Bientôt, les aventures de Burl perdirent de leur intérêt pour ses interlocuteurs. Le premier, le vieux Jon, à la respiration sifflante, partit à la recherche de vivres. Il fit un signe de main à Burl en passant.

Burl fut indigné, mais après tout il n’avait pas rapporté de nourriture et il fallait bien manger.

Tama s’en alla elle aussi en jacassant avec Lona, une adolescente qui l’aiderait à rapporter quelque chose de comestible. Dor, l’homme le plus fort de la tribu, alla reconnaître un endroit où il pensait trouver des champignons. Cori emmena ses enfants pour prospecter avec eux les alentours.

Une heure environ après son retour, l’auditoire de Burl s’était réduit à Saya. Une heure plus tard, les fourmis découvrirent l’araignée. Au bout de trois heures, il ne restait rien du trophée de Burl. Le jeune homme recommença dix fois son récit pour Saya. Mais les femmes de la tribu vinrent chercher la jeune fille. Celle-ci partit à son tour. Elle se retourna pour sourire à Burl. Elle allait aider les femmes à déterrer des champignons qui ressemblaient beaucoup à des truffes. Elle comptait certainement les partager avec son ami.

Enfin, au bout de cinq heures, la nuit tomba. Et personne n’était rentré.

Burl était dans une rage folle contre les gens de sa tribu. Ils avaient sans doute décidé de changer d’abri pour la nuit et personne n’avait songé à indiquer à Burl la nouvelle cachette. Maintenant il faisait noir. Et même si Saya avait envie de venir chercher le jeune homme, elle n’oserait pas le faire.

Pendant les heures obscures, tandis que la pluie tombait du ciel en grosses gouttes paresseuses, Burl rumina sa colère. Cette émotion était d’ailleurs chose salutaire pour le membre d’une race devenue craintive et sournoise. Tout en rageant, le jeune homme élabora un nouveau plan. Il fallait contraindre ses compagnons à lui fournir encore la sensation délicieuse d’être admiré et respecté.

L’endroit que Burl avait choisi pour dormir n’était pas confortable. D’abord, il n’était pas étanche. L’eau ruissela sur le jeune homme pendant plusieurs heures et il s’aperçut que sa cape multicolore ne l’abritait pas de la pluie et même l’empêchait de sécher comme il l’aurait fait s’il était resté nu. Enfin, il s’endormit. Lorsqu’il se réveilla, il se sentit singulièrement reposé. Et, pour un sauvage, il était en outre anormalement propre.

Burl s’était éveillé avant l’aube. Il avait la tête pleine de projets. Le ciel devint gris, puis presque blanc. La brume s’éclaircit dans la forêt de champignons. La pluie lente cessa comme à regret.

Quand le jeune homme jeta un coup d’œil au dehors, il se rendit compte que l’univers dans lequel il vivait était toujours aussi délirant qu’à l’accoutumée. Les derniers nocturnes avaient regagné leurs cachettes. Les diurnes commençaient à se montrer.

Non loin de l’anfractuosité de rocher où il s’était abrité, s’élevait une gigantesque fourmilière, faite non pas de sable et de brindilles, mais de gravier et de galets. Burl remarqua un léger mouvement à sa surface. Quelques pierres roulèrent, dégageant un orifice. Une paire d’antennes jaillit à l’air libre. Elles disparurent pour ressortir aussitôt. L’orifice s’élargit jusqu’à devenir une ouverture de dimensions convenables. Et une fourmi sortit. C’était une sentinelle, qui se tint un moment d’un air farouche devant l’entrée, agitant ses antennes, s’efforçant de détecter la présence d’un danger éventuel menaçant la métropole dont elle assurait la garde.

Elle mesurait trente-cinq centimètres, cette sentinelle, et ses mandibules étaient impressionnantes. Deux autres soldats sortirent à leur tour, qui se mirent à arpenter la fourmilière, balayant l’air de leurs antennes.

Leur mission achevée, les deux éclaireurs revinrent conférer avec la sentinelle avant de regagner l’intérieur de la fourmilière en manifestant une satisfaction évidente. Le rapport qu’elles transmirent à leurs supérieurs devait être favorable car, quelques minutes plus tard, un flot d’ouvrières sortirent de la cité pour aller vaquer à leur tâche.

Dans la fourmilière, le dur labeur quotidien avait commencé. Greniers à grains, silos à provisions diverses, réfectoires, pouponnières, tout grouillait d’activité. Dans ses appartements privés, la reine elle-même, entourée de sa cour au grand complet, ne chômait guère : toutes les deux ou trois minutes, elle pondait un œuf de sept centimètres que des ouvrières zélées transportaient immédiatement dans la pouponnière municipale. C’était cet accroissement constant de la population qui rendait cette agitation frénétique à la fois possible et indispensable.

Burl sortit de sa cachette et étala sa cape sur le sol. Au bout d’un moment, il sentit que quelque chose la tiraillait. Une fourmi était en train d’en déchirer un morceau. Burl, furieux, tua la fourmi et battit en retraite. Deux fois, au cours de la demi-heure qui suivit, il dut partir précipitamment pour éviter les fourmis fourrageuses. Elles ne l’attaquaient pas directement. Mais elles convoitaient le tissu de ses vêtements.