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Cet agacement que Burl aurait accepté sans y penser deux jours plus tôt ajouta encore à son indignation contre l’univers en général. Il était de très mauvaise humeur lorsqu’il retrouva le vieux Jon qui cherchait des champignons comestibles dans un fourré d’amanites vénéneuses.

Burl intima au vieux l’ordre de le suivre. Les moustaches broussailleuses de Jon se hérissèrent tandis qu’il demeurait bouche bée de stupeur. Les compagnons de Burl étaient si loin de constituer une véritable tribu que le fait de donner un ordre était sans précédent. Sur la planète oubliée, il n’existait aucune organisation sociale. Personne ne faisait usage d’autorité.

Cependant, Jon suivit Burl. Il chemina près de lui dans la brume matinale. Burl vit remuer quelque chose dans les champignons et poussa un cri impérieux. C’était encore une action consternante. Jamais un être humain n’attirait l’attention sur lui. Pourtant, Burl alla chercher Dor, l’homme le plus fort de la tribu, et l’entraîna. Ensuite, il réquisitionna Jak. Quant à Tet et Dik, les jeunes garçons, ils accoururent d’eux-mêmes pour voir ce qui se passait.

Burl emmena tout son monde plus loin. À quatre cents mètres de là, ils découvrirent une grosse carapace vide qui, la veille, avait été un hanneton-rhinocéros. Aujourd’hui, c’était un amas de débris chitineux. Burl s’arrêta, le sourcil froncé. Il montra à son escorte tremblante la manière de s’armer. Dor ramassa la corne du hanneton avec hésitation. Burl lui expliqua comment s’en servir. Il apprit aux autres à utiliser des morceaux de pattes en guise de massue. Ils en firent l’essai sans conviction. En cas de danger, ils avaient l’intention de se fier à leurs jambes et à leur art du camouflage.

Burl grogna encore contre ses congénères et les entraîna plus loin. Ce déploiement d’autorité les étonna tellement qu’ils obéirent.

Quand la petite troupe fut parvenue à un groupe de champignons dorés particulièrement attrayants, il y eut une tentative de révolte. Le vieux Jon voulait se servir, puis se retirer dans une cachette jusqu’à ce qu’il ait épuisé ses réserves. Mais Burl se fit franchement menaçant et on le suivit sans entrain.

Le groupe arriva en haut d’une côte. Ils y trouvèrent une nouvelle espèce de lycoperdons. Ces cryptogames, d’un rouge cuivré, commençaient à pousser sous terre puis rejetaient le sol au-dessus d’eux en se développant. Leur enveloppe parcheminée semblait gonflée et tendue. Burl et ses compagnons n’avaient jamais rien vu de pareil.

Ils grimpèrent plus haut. D’autres champignons comestibles apparurent. L’escorte de Burl se dérida visiblement. Sans aucun doute, Burl conduisait la tribu à une réserve de vivres des plus abondantes.

Chose curieuse, ce fut Burl lui-même qui commença à se sentir mal à l’aise. Sa gorge se serrait. Il savait, lui, ce qu’il cherchait. Ses compagnons ne s’en doutaient pas. D’ailleurs, ç’aurait été inconcevable pour eux.

Tout doucement, Burl commençait à regretter ses nouvelles résolutions. L’idée d’un exploit lui était venue d’abord pendant la nuit comme une réaction de colère. Puis elle avait pris corps et elle lui avait semblé une punition appropriée pour la tribu qui l’avait abandonné. Vers l’aube, sa fameuse idée s’était transformée en une ambition si folle qu’il en était comme fasciné. Maintenant, il se considérait comme engagé vis-à-vis de lui-même. Et le seul moyen d’empêcher ses genoux de trembler était de continuer à avancer. Si ses compagnons avaient de nouveau protesté contre l’expédition, Burl se serait laissé persuader : il aurait abandonné. Mais il n’entendait que des murmures de satisfaction. Les champignons comestibles abondaient. Il y en avait des quantités énormes. Par-dessus le marché, on ne voyait pas trace de fourmis ou de hannetons-fourrageurs. Les hommes de la tribu parlaient de s’installer dans cet endroit propice.

Mais Burl, lui, savait la vérité. S’il y avait peu d’insectes, c’est que la région était dévastée par un chasseur. Et quel chasseur !

Le jeune homme amena ses compagnons sur le sommet d’un roc dénudé. Le roc surplombait un précipice. Les autres allaient-ils reconnaître ce rocher et la grotte qu’il abritait ? Non. Ils avancèrent avec insouciance pendant une trentaine de pas. Puis, l’un après l’autre, ils s’arrêtèrent. À mesure qu’ils découvraient où ils étaient, les hommes de la tribu furent saisis d’un violent tremblement. Dor devint vert. Jon et Jak étaient paralysés d’horreur. Ils étaient cloués sur place.

Le fait de voir que d’autres étaient encore plus effrayés que lui remplit Burl d’un courage totalement injustifié. Il ouvrit la bouche pour crier des ordres. Du geste, les autres le supplièrent de se taire. S’il criait à ce moment-là, c’était la mort pour l’un d’entre eux au moins.

Car, quinze mètres plus bas, pendait un objet d’un blanc grisâtre, une sorte de boule de deux mètres de diamètre. Cette boule comportait un certain nombre de petites portes semi-circulaires donnant sur les côtés du précipice.

À première vue, la chose pouvait paraître étrangement belle. La toile de la clotho était un chef-d’œuvre d’architecture. Ornée de ses portes en arc, elle était fermement maintenue par des câbles tendus le long du sol. À des cordes de soie, étaient accrochés les sinistres trophées de la chasseresse. C’était la patte postérieure d’un petit coléoptère, l’élytre d’un hanneton, la coquille d’un escargot. Et puis, pendu à la corde la plus longue se balançait le corps desséché d’un homme mort depuis longtemps.

À l’intérieur de son nid orné de reliques macabres, le monstre reposait dans le luxe et la tranquillité. Il avait huit pattes velues, rabougries. Son visage était un masque d’horreur. Ses yeux brillaient méchamment au-dessus des mandibules aiguisées.

D’une minute à l’autre, la chasseresse pouvait quitter son charnier pour traquer et poursuivre sa proie.

Les hommes de la tribu savaient bien que le moindre bruit ferait apparaître l’araignée au sommet de la falaise. Burl leur lança un regard furieux. Il leur fit signe d’avancer. Il amena l’un d’entre eux à l’extrémité d’un des câbles qui retenaient la toile de la clotho. Il arracha ce câble et l’enroula autour d’une grosse pierre. Puis il dicta ses ordres. Il tira Dor par le bras et lui montra un autre câble. Avec des gestes saccadés, Dor imita la manœuvre de Burl.

Après tout, c’était assez simple. Des câbles soyeux pendaient par-dessus le bord du précipice. Les hommes attachaient une lourde pierre à chacun de ces câbles et, en même temps, ils desserraient chaque fois le fil soyeux jusqu’à ce qu’il soit maintenu seulement par la pierre.

Quand l’opération fut terminée, Burl donna son dernier ordre d’un geste violent. Dor fit basculer sa pierre par-dessus le bord du précipice. Alors Burl cria. Il cria aux autres d’en faire autant. Et il courut lui aussi pour pousser un rocher par-dessus l’à-pic. Il était à moitié fou de terreur. Les autres poussaient leur pierre et s’enfuyaient à toutes jambes.

Burl, lui, n’arrivait pas à fuir. Il haletait. Il suffoquait. Mais il voulait voir. Il se pencha au-dessus de la paroi. Les blocs de pierre arrachaient les câbles et tombaient en emportant tout dans leur chute. Projetés dans l’espace, ils secouèrent violemment le palais de l’araignée et le décollèrent de la falaise.

Burl poussa un hurlement de joie. Mais son cri se transforma en râle de terreur. Car si le château soyeux de l’ogresse avait bien été arraché, il n’était pas tombé jusqu’au sol, trente mètres plus bas. Burl avait oublié un câble. La demeure de l’araignée pendait maintenant à ce fil unique, se balançant et oscillant à mi-hauteur contre le flanc du rocher.

Cependant, à l’intérieur du nid se déroulait une lutte convulsive. L’une des portes latérales s’ouvrit : l’araignée émergea. Elle était certainement perturbée, mais les araignées ignorent la peur. Leur seule réaction devant l’insolite est la férocité. Il y avait encore un câble qui remontait à la surface de la falaise. L’araignée se précipita sur ce câble unique. Ses pattes agrippèrent la corde. Elle grimpa, ses crochets à venin dégainés, ses mandibules s’entrechoquant de rage. Les longs poils de son corps se hérissaient. Elle faisait un bruit baveux d’une horreur indescriptible.