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Saisis de panique, les compagnons de Burl fuyaient aveuglément. Il les entendait traverser avec fracas les obstacles rencontrés dans leur fuite. Un frisson parcourut le corps du jeune homme. Il se retourna pour fuir et, dès ses premiers pas, il se cogna contre un obstacle. C’était un rocher pointu, aussi haut que son genou.

Ce ne fut pas le Burl dont l’enfance avait été remplie de terreur qui réagit alors. Ce fut le descendant d’une longue lignée d’hommes plus téméraires.

Les humains possèdent, inscrits dans leur système nerveux, des modes de comportement ancestraux. Un tout petit enfant qui a peur ne fuit pas ; il se précipite dans les bras de l’adulte le plus proche pour qu’on l’emporte loin du danger. À dix ans, le même enfant détalera à toutes jambes. Puis vient l’âge où il est normal de faire face. Dans certaines conditions, cependant, ce dernier instinct peut être refoulé. Tel était le cas pour les amis et les parents de Burl. Mais les aventures que le jeune homme venait de vivre avaient fait remonter chez lui le vieil instinct à la surface.

Burl saisit le bloc de pierre contre lequel il s’était cogné, le prit à bras-le-corps et le bascula par-dessus le bord de la falaise.

Pendant une fraction de seconde, il entendit encore les râles de l’araignée qui grimpait à sa rencontre. Puis il se produisit une sorte de choc amorti. Ensuite, il s’écoula quelques secondes pendant lesquelles Burl n’entendit plus rien du tout. Et soudain, il perçut un bruit impossible à décrire : l’impact du corps de l’araignée au fond du gouffre de trente mètres. Enfin, le bloc de pierre s’écrasa sur la clotho. Ce dernier bruit fut écœurant.

Il s’écoula une longue minute avant que Burl ne trouve le courage de regarder.

Il vit d’abord le nid qui pendait encore au bout du câble unique. Puis il vit l’araignée. Elle avait la vie dure par définition. Ses pattes remuaient. Mais son corps était écrasé, mutilé. Tandis que Burl regardait toujours et s’efforçait de reprendre son souffle, une fourmi s’approcha de la bête en bouillie. Elle stridula. D’autres fourmis arrivèrent. Une patte avait cessé de remuer. Une fourmi s’installa sur cette patte.

Les charognards commencèrent à déchiqueter l’araignée morte et à emporter les morceaux dans leur fourmilière, à deux kilomètres de là.

Là-haut, sur la falaise, Burl se raffermissait sur ses jambes et constatait qu’il pouvait respirer. Il était trempé de sueur. L’émotion de son triomphe était aussi violente que l’avaient été les terreurs ressenties par ses ancêtres sur cette planète. D’ailleurs, sur aucune autre planète de la galaxie, un être humain n’aurait pu éprouver une exaltation égale à celle de Burl, car nulle part des êtres humains ne s’étaient trouvés aussi complètement dominés par leur milieu naturel.

Le jeune homme s’en alla pensivement à la recherche de ses compagnons en fuite. Il s’arrêta pour détacher un énorme morceau des champignons dorés comestibles que les hommes de la tribu avaient remarqués en arrivant. Le remorquant sans difficulté, il revint sur le terrain qui avait paru si étonnamment dénué de vie ennemie parce que l’araignée y avait installé sa réserve de chasse.

Burl commençait à s’apercevoir qu’il n’était pas agréable de faire partie d’une tribu d’hommes qui s’enfuyaient tout le temps. Si un homme seul, armé d’une lance ou d’une pierre, pouvait tuer des araignées, il était ridicule qu’une demi-douzaine d’hommes s’en aillent à toutes jambes et laissent tout le travail à cet homme seul.

Burl songea qu’il avait tué des fourmis sans trop y réfléchir, mais que personne d’autre ne l’avait fait avant lui. On pouvait tuer des fourmis isolées. S’il parvenait à persuader ses compagnons de tuer des fourmis de trente centimètres, ils pourraient peut-être, par la suite, s’attaquer à des hannetons de soixante centimètres. Et s’ils avaient cette audace, ils pourraient même tuer des animaux plus grands et finalement résister aux véritables ogres.

Confusément, Burl découvrait que les êtres humains pouvaient devenir autre chose qu’un gibier primitif dont vivaient les insectes. La chose était difficile à imaginer mais, de toute façon, il semblait impossible au jeune homme de revenir à son état antérieur d’animal terrorisé. Sur le plan pratique, s’il voulait demeurer le chef, il faudrait que ses compagnons changent.

Il fallut longtemps à Burl pour découvrir la cachette qu’on ne lui avait pas indiquée la veille. Tout en marchant, il reniflait et tendait l’oreille. Au bout d’un moment, il entendit des bruits confus, des murmures, des sanglots étouffés. Il entendit la vieille Tama se lamenter sur la stupidité du pauvre Burl qui s’était fait tuer.

Le jeune homme écarta hardiment les champignons et trouva sa tribu rassemblée et tremblante. Ils étaient encore sous le choc. Et ils bavardaient nerveusement, se remémorant l’expérience terrifiante qu’ils avaient vécue.

Burl franchit l’écran de champignons et les hommes le regardèrent bouche bée. Puis, ils sautèrent sur leurs pieds pour s’enfuir, pensant qu’il était peut-être poursuivi. Tet et Dik poussèrent des braillements stridents. Burl leur flanqua une gifle. C’était une excellente chose à faire. Burl ne se souvenait pas qu’aucun homme en eût jamais frappé un autre. Les taloches étaient réservées aux enfants. Mais Burl frappa les hommes qui s’étaient enfuis du bord de la falaise. Et comme ils n’étaient pas passé par les mêmes épreuves que lui, ils acceptèrent les coups comme des enfants.

Il prit Jon et Jak par l’oreille et les tira de leur cachette. Il les conduisit sur le rocher. Il leur montra la carcasse de l’araignée. Il leur raconta avec véhémence comment elle avait été tuée.

Ils le regardèrent craintivement.

Burl fut exaspéré. Il les fixa d’un air menaçant et les vit s’agiter avec inquiétude. On entendit des cliquetis. Une fourmi noire, une fourmi fourrageuse isolée qui avait bien quarante centimètres de long, apparut. Elle semblait errer sans but. Mais, en fait, elle cherchait une charogne à rapporter à ses compagnes. Elle s’avança vers les hommes. Ils étaient vivants, elle ne les considérait donc pas comme un aliment, mais elle pouvait les traiter en ennemis.

Burl s’avança et la frappa de son gourdin. C’était de la mise à mort, de la boucherie. Jamais personne n’avait fait chose pareille ! Lorsque la bête cessa de remuer, Burl ordonna à un de ses compagnons de la ramasser. Ses jambes cuirassées contenaient de la viande, comme Burl le leur fit remarquer d’un ton caustique. Les visages des autres exprimèrent une surprise émerveillée.

On entendit un autre cliquetis. Une autre fourmi solitaire. Burl passa son gourdin à Dor et le poussa en avant. Dor hésita. Une fourmi vagabonde isolée ne l’effrayait pas. Mais il hésitait tout de même. Burl lui donna un ordre sec.

Dor frappa maladroitement et manqua son coup. Burl dut utiliser sa lance pour achever la bête.

Brusquement, cette nouvelle forme d’approvisionnement devint intelligible aux congénères de Burl. Jak se mit à rire nerveusement.

Une heure plus tard, Burl ramena les hommes à la cachette de la tribu. Pendant tout ce temps-là, les femmes et les enfants étaient restés cloués sur place par la terreur, ne sachant où étaient passés leurs compagnons. Cette terreur se changea en une stupéfaction muette lorsque les hommes entrèrent, portant d’énormes quantités de viande et de champignons comestibles.