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Soudain Saya s’éveilla en sursaut et regarda autour d’elle. Il n’y avait eu aucune alerte mais seulement les bruits nocturnes habituels : meurtre lointain et chants discordants. Saya se leva silencieusement. Ses longs cheveux flottaient autour d’elle. Les yeux ensommeillés, elle se rapprocha de Burl. Elle se laissa tomber sur le sol, tout contre lui. Bientôt sa tête s’inclina et reposa sur l’épaule de Burl. Elle dormait de nouveau.

Cet acte simple fut peut-être le catalyseur qui fournit à Burl la réponse à ses questions.

Quelques jours plus tôt, le jeune homme s’était rendu dans une région lointaine où la nourriture abondait. Sur le moment, il avait même formé le projet d’y emmener Saya. Les difficultés qu’il avait rencontrées sur le chemin du retour lui avaient fait perdre de vue cette idée. D’ailleurs, il s’en souvenait maintenant, il avait remarqué là-bas également la présence de lycoperdons rouges. Quoi qu’il en soit, le contact de la tête de Saya contre son épaule lui avait rappelé son plan initial. Et c’est alors qu’il eut un trait de génie.

Brusquement, il forma le projet de faire un voyage qui n’ait pas pour seul but la recherche de la nourriture. Jusque-là, les terres où vivait la tribu avaient été exemptes de lycoperdons. Il devait exister d’autres endroits où ne menaçait pas la mort rouge. On allait partir à la découverte de ces nouvelles régions. On irait loin, plus loin que jamais personne n’était allé.

Lorsque l’aube parut, Burl n’avait pas fermé l’œil. Il avait fait des plans. Il était tout, autorité et décision.

Appuyé sur sa lance, il dicta ses ordres. Il parla fermement, d’une voix forte. Ses compagnons timides lui obéirent docilement. Ils ne ressentaient encore aucun loyalisme à son égard. Ils n’avaient aucune confiance dans ses décisions. Mais ils commençaient à associer l’obéissance à des choses agréables. Et, avant tout, à la nourriture.

Avant que le jour ne se soit tout à fait levé, ils préparèrent des chargements de champignons comestibles et de viande de fourmi. Et la tribu prit la route. C’était une chose remarquable que des humains quittent leur cachette alors qu’ils avaient encore de quoi manger, mais Burl fut inflexible et menaçant.

Sur ses exhortations, trois hommes s’armèrent de lances. Burl persuada les deux autres de porter des gourdins.

Le ciel devint entièrement gris. La zone brillante et imprécise qui marquait la position du soleil prit forme. Naturellement, Burl n’avait pas de route déterminée. Il n’avait qu’un but : la sécurité. Lors de sa mésaventure sur la rivière, il avait été emporté vers le sud. Il élimina donc cette direction. Il aurait pu choisir l’est et trouver un océan. Ou bien il aurait pu opter pour le nord. Ce fut par pur hasard qu’il poussa sa tribu vers l’ouest.

Burl marchait avec assurance à travers le monde sinistre des basses terres, tenant sa lance prête à l’action. Vêtu comme il l’était, il formait un personnage à la fois vaillant et assez pathétique. Pour un jeune homme seul, même pour un jeune homme qui avait tué deux araignées, il n’était déjà pas très raisonnable de conduire une petite tribu d’êtres craintifs à travers un pays d’une férocité monstrueuse. Mais il était absurde de le faire en étant vêtu d’une cape d’aile de papillon et d’un pagne de fourrure de phalène, en portant de magnifiques plumes dorées sur la tête.

Pourtant, ce costume somptueux eut probablement un effet salutaire sur les compagnons de Burl. Il leur était impossible de se rassurer par leur nombre. Leur groupe comprenait une femme portant un bébé dans ses bras : Cori. Trois enfants de neuf à dix ans la suivaient. Ils étaient incapables de résister à l’instinct de jouer, même pendant un voyage aussi périlleux, et ils mangeaient presque tout le temps des morceaux de la nourriture qu’on les avait forcés à porter. Après, venait Dik, un adolescent dégingandé dont les yeux erraient anxieusement de tous côtés. Derrière lui, marchaient deux hommes : Dor, armé d’une courte lance, et Jak qui portait une massue, tous deux terriblement effrayés à l’idée de fuir des dangers connus pour aller vers d’autres dangers inconnus et par conséquent encore plus redoutables. Les autres traînaient derrière. Tet formait l’arrière-garde. Burl avait séparé les deux inséparables afin qu’ils puissent se rendre utiles. Ensemble, ils n’étaient bons à rien.

Le tout formait une bien pitoyable caravane, en vérité. Partout ailleurs, dans la galaxie, l’homme était l’espèce dominante. Il n’existait pas d’autre monde, d’un bout à l’autre de l’univers, où les hommes n’imposent pas leur arrogante dictature, pillant et massacrant au gré de leur fantaisie. Sur cette seule planète, les hommes fuyaient les dangers au lieu d’en anéantir l’origine. Sur cette seule planète, les hommes étaient pourchassés par des espèces inférieures. Et ici seulement pouvait être imaginée cette migration, à pied, d’êtres apeurés, hébétés, prêts à fuir à la seule vue de plus dangereux qu’eux-mêmes.

Ils cheminaient à l’aveuglette, s’écartant souvent de la ligne fixée. Une fois, Dik aperçut la trappe d’une mygale. La petite troupe s’arrêta en tremblant avant d’effectuer un large détour pour éviter le piège mortel. Une autre fois, ce fut la vue d’une énorme mante religieuse, à moins de six cents mètres, qui leur fit dévier leur chemin.

Aux environs de midi, leur route fut coupée. Un bruit suraigu se faisait entendre, droit devant eux. Burl s’arrêta, les traits crispés. Il s’agissait de stridulations, et non de hurlements d’insectes dévorés vivants. Il s’agissait – tout bonnement ! – du rassemblement de centaines de milliers de fourmis…

Burl partit en éclaireur. S’il le fit, ce ne fut pas par crainte qu’aucun de ses amis ne soit capable de revenir avec un rapport circonstancié au lieu de prendre ses jambes à son cou au moindre danger. Non. Ce fut, plus simplement, parce qu’il estima qu’un tel comportement l’aiderait à s’imposer comme chef incontesté de la tribu.

Le jeune homme escalada prudemment la pente d’une éminence d’où il comptait pouvoir découvrir la source du vacarme qui s’élevait de la plaine située en contrebas. Parvenu au sommet, il fit signe à la petite troupe de venir le rejoindre avant de s’absorber dans le spectacle extraordinaire qui se déroulait à ses pieds.

À des kilomètres à la ronde, la terre était noire de fourmis. Une bataille se déroulait, qui opposait deux fourmilières rivales. Se mordant à qui mieux mieux, les belligérantes se tordaient dans des étreintes folles, roulaient dans la poussière où elles étaient piétinées par des hordes venues en renfort se jeter dans un combat suicidaire. Il n’était, bien entendu, point fait de quartier.

L’air vibrait du vacarme de mandibules entrechoquées, de mâchoires entaillant des armures, tailladant des pattes, coupant des antennes. Certains insectes, amputés de la plupart de leurs membres, luttaient encore férocement, dans l’espoir dérisoire de tuer encore un ennemi avant de succomber. Des infirmes déchaînés, ayant perdu jusqu’à leur abdomen, trouvaient encore la force, véritables troncs ambulants, de défendre chèrement le peu de vie qui leur restait encore.

À droite et à gauche du champ de bataille, deux larges avenues menaient respectivement aux fourmilières antagonistes, invisibles de l’endroit où se trouvait Burl et sa tribu. La circulation y était intense, l’agitation, frénétique : des deux côtés, les renforts affluaient.

Comparées aux autres créatures peuplant ce monde de cauchemar, les fourmis étaient relativement petites, mais aucun scarabée géant n’aurait osé s’aventurer à leur couper la route, aucun carnivore ne se serait risqué à les choisir pour proie. Elles étaient redoutables – et redoutées. Burl et sa tribu étaient les seuls êtres vivants à demeurer si proches du théâtre des opérations – à une exception près.