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Certains n’allaient-ils pas jusqu’à lui reprocher l’accident survenu au petit garçon qui gémissait maintenant dans les bras de sa mère ? Comme si, sans lui, ils ne seraient pas déjà tous morts depuis plusieurs jours déjà !

Tandis que Burl remâchait sa rancœur, des cris de triomphe éclatèrent à proximité. C’était Jon et Dor qui s’en revenaient, croulant sous leur cargaison de morceaux de champignons comestibles. Eux non plus, ils n’avaient plus peur ! Eux non plus, ils ne tremblaient plus à l’idée de laisser éclater leurs sentiments de triomphe ! Ils avaient trouvé de la nourriture et ils voulaient clamer ce haut fait à l’univers tout entier !

Et les femmes, toutes les femmes – Saya comprise –, se précipitaient à leur rencontre, et les accueillaient en poussant elles aussi des clameurs d’allégresse !

Décidément, Burl n’était plus le seul homme digne de ce nom sur la planète oubliée…

Ces cris de joie poussés par ses compagnons furent la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Ah, c’était comme ça ? Ah, il n’était plus qu’un individu parmi les autres ? Eh bien, on allait voir !

Burl grinça des dents et résolut de faire quelque chose de si magnifique, de si colossal, de si totalement stupéfiant, qu’il ne pourrait être imité par personne d’autre. Sa pensée n’était pas très claire. Il voulait surtout qu’on l’admire de nouveau, qu’on lui obéisse. Il regardait furieusement autour de lui la nuit qui tombait, il cherchait un exploit, une action d’éclat à réaliser immédiatement, même dans l’obscurité.

Et il trouva.

7

C’était la fin du crépuscule et les nuages viraient lentement au noir. La falaise argileuse contre laquelle la tribu s’était installée coupait toute visibilité d’un côté. Mais, de l’autre, Burl pouvait voir jusqu’à l’horizon couvert de brume. Des abeilles regagnaient leur ruche en bourdonnant. Parfois, passait une guêpe fine et gracieuse dont les ailes vibraient si vite qu’elles étaient invisibles.

Soudain, venant du plus profond de l’ouest rougeoyant, un insecte volant arriva. C’était un magnifique papillon-empereur aux larges ailes veloutées. Burl le regarda traverser le ciel, se poser délicatement, et disparaître derrière un massif de champignons si serrés qu’ils avaient l’aspect d’une colline.

La nuit tomba complètement. Mais Burl fixait toujours le point où s’était posé le papillon-empereur. Le silence régnait, ce silence total qui se produit pendant la courte période où les animaux diurnes sont cachés et où les nocturnes ne se sont pas encore aventurés dehors. Les plantes phosphorescentes luisaient çà et là. Des plaques de champignons luminescents jetaient une faible lueur dans l’obscurité.

Burl s’avança dans la nuit. Il imaginait le papillon jaune dans sa cachette, lissant délicatement ses pattes fines avant de se reposer jusqu’à l’aube suivante. Il avait noté des repères pour se guider. Une semaine plus tôt, son sang se serait glacé à la seule idée de faire ce qu’il faisait maintenant.

Le jeune homme traversa le terrain libre devant la falaise. Sans la phosphorescence, il se serait tout de suite perdu. Le lent écoulement de la pluie nocturne commençait. Le ciel était absolument noir. C’était le moment où les tarentules mâles partaient à la recherche de leurs femelles et de leurs proies. Un mauvais moment pour aller à l’aventure.

Burl avança. Il trouva le groupe de champignons. Il chercha à se frayer un passage à travers leurs pédoncules. C’était impossible : ils étaient trop serrés et trop bas. Irrité par cet obstacle, Burl escalada le fourré de cryptogames.

C’était pure folie. Burl sentait les champignons trembler et céder sous son poids. Quelque part, dans un vrombissement d’ailes rapides, un insecte s’envola bruyamment. Burl entendit, non loin de lui, le sifflement de gros moustiques. Il continua d’avancer. La masse spongieuse oscilla sous lui. Il titubait plutôt qu’il ne marchait. Il tâtonnait de sa lance devant lui et haletait un peu.

Soudain, il s’aperçut qu’il allait rencontrer le vide. Il s’arrêta. Par terre, contre les champignons, quelque chose bougea. Le massif de cryptogames remua. Burl leva sa lance et, l’empoignant à deux mains, il frappa férocement. La lance toucha quelque chose d’infiniment plus résistant que n’importe quel champignon et s’y enfonça. Puis, la chose transpercée remua tandis que Burl, perdant l’équilibre, tombait sur sa proie.

Il se cramponna fermement à son arme. Sa bouche s’ouvrit pour pousser un cri de triomphe. Mais, en même temps, il découvrit la nature de la surface sur laquelle il était couché et son cri se transforma en un hoquet d’horreur.

Ce n’était pas sur le corps velouté d’un papillon que Burl avait atterri. Sa lance n’avait pas transpercé la chair tendre d’un empereur. Le jeune chasseur venait de rebondir sur le dos large et dur d’un énorme hanneton carnivore. La lance n’avait pas percé la cuirasse de l’insecte : elle avait pénétré dans le cuir qui séparait la tête du thorax.

La bête géante s’envola. Elle emporta Burl, toujours cramponné à sa lance avec l’énergie du désespoir. Le hanneton s’éleva, passant de l’obscurité du sol jusqu’à celle, plus terrifiante encore, du ciel. Il montait toujours. Si Burl avait pu crier, il l’aurait fait. Mais il était incapable d’émettre un son. Il ne pouvait que s’accrocher, les yeux exorbités de terreur.

Soudain, ce fut la chute. Le gros insecte volait lourdement, comme tous les hannetons. Le poids de Burl et sa blessure le rendaient plus maladroit encore. Il y eut un bruit d’écrasement et un choc. Burl fut arraché de sa monture et projeté au loin. Il s’écrasa sur le dessus spongieux d’un champignon. Et il s’immobilisa.

Le jeune homme entendit le bourdonnement de la bête. Elle essayait à nouveau de s’envoler. Mais elle souffrait. Burl avait tourné et retourné la lance dans la plaie lorsqu’il avait été arraché du sol. L’arme s’était enfoncée profondément, aggravant la première blessure.

Le hanneton décolla. Puis s’écrasa de nouveau. Burl glissa doucement jusqu’au sol. Il entendait l’insecte se débattre dans l’obscurité. Ses ailes fouettaient l’air selon un rythme désordonné.

Lorsque l’animal retomba, il y eut un silence. Burl n’entendait plus que le bruit régulier des gouttes de pluie. Il reprit courage et il comprit tout à coup qu’il avait tué une proie encore plus magnifique qu’une araignée, car le hanneton était comestible.

Le jeune homme se surprit en train de courir vers le point où le coléoptère s’était écrasé pour la dernière fois.

La bête était blessée à mort. Burl en était certain. Elle tentait encore de s’envoler. Elle fit des mouvements désespérés, se souleva, puis s’abattit une fois de plus.

Burl se trouvait à quelques mètres du hanneton lorsqu’il songea que, sans sa lance, il était complètement désarmé. Le gigantesque insecte se débattait furieusement sur le sol, jetant de tous côtés ses pattes colossales. Il parvint à se soulever. Mais il s’affaiblissait. Et il retomba dans les champignons. Il s’agita affreusement dans l’obscurité.

Burl s’approcha et attendit.

Soudain, la bête heurta quelque chose. On entendit un craquement et aussitôt l’odeur poivrée, piquante, de la poussière rouge se répandit dans l’air. Le hanneton avait percuté un lycoperdon plein à craquer de ses spores meurtrières. Sans ce choc, le champignon aurait attendu la lumière du jour pour éclater.