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Burl, haletant, prit la fuite. Derrière lui il entendait sa victime qui faisait une ultime tentative pour s’envoler. La douleur avait déclenché une activité désordonnée chez le hanneton. Il vola un peu et piqua vers le sol pour la dernière fois.

Un jour, peut-être, Burl et ses compagnons apprendraient à se servir des lycoperdons comme arme. Pour l’instant, Burl avait peur. Il avançait rapidement, en évitant de se trouver sous le vent. La poussière lui avait dérobé sa victoire sur le hanneton. De plus, le jeune homme se rendait compte qu’il avait été emporté dans une direction inconnue et séparé de ses compagnons. Il ne savait pas comment les retrouver dans l’obscurité.

Il se blottit sous le plus proche des gros champignons et attendit l’aube, la gorge sèche, sursautant à chaque bruit. Mais seuls parvinrent à ses oreilles les battements d’ailes des insectes nocturnes et le bourdonnement des hannetons truffiers au ventre gris qui inspectaient les buissons de champignons. Tout cela, bien sûr, en plus du bruit monotone des gouttes de pluie qui tombaient du ciel.

Les lycoperdons rouges n’éclataient pas la nuit. Mais, dès que le jour parut, la première chose que vit Burl fut une grande gerbe de spores que projetait en l’air une sphère à l’aspect parcheminé. Le jeune homme se leva et jeta un coup d’œil inquiet autour de lui. Tout le paysage était ponctué par les panaches de poudre rouge qui montaient l’un après l’autre. Un ancien habitant de la Terre aurait pu comparer ce spectacle à celui d’un bombardement méthodique. Naturellement, Burl, lui, n’avait aucun point de comparaison.

À une centaine de mètres à peine, gisait le cadavre du hanneton. Il paraissait flasque et recroquevillé. Burl le contempla pensivement. Puis il nota un détail qui le remplit de fierté. Il vit que sa lance s’était enfoncée profondément dans la jointure, entre le cou et le corselet de l’insecte. Même si la poussière rouge n’avait pas achevé l’animal, la pointe de la lance l’aurait fait.

Burl fut, une fois encore, transporté par sa grandiose supériorité. Il constata qu’il était un prodigieux tueur. Comme preuve de sa valeur, il prit les antennes du hanneton et il coupa une grosse patte qu’il emporta pour sa viande. Puis il se souvint qu’il ne savait comment retrouver ses compagnons. Il ignorait totalement de quel côté se diriger.

Un homme civilisé lui-même aurait été désorienté. Mais il aurait cherché une hauteur d’où il pourrait apercevoir la falaise, cachette de la tribu. Burl n’avait pas encore progressé jusque-là. Sa folle chevauchée de la nuit précédente, il ne l’avait pas voulue et la chasse au hanneton blessé avait été dictée elle aussi par le hasard.

Il ne trouvait pas de solution. Il repartit anxieusement, cherchant de tous côtés, tout en restant à l’affût des dangers et en surveillant les lycoperdons.

Au bout d’une heure de marche, Burl crut reconnaître l’endroit où il se trouvait. Mais il était revenu au hanneton mort. Celui-ci était déjà le centre d’un fourmillement de petits corps noirs qui tiraillaient la dure carcasse et arrachaient de gros morceaux de viande. Ainsi, depuis son départ, le jeune homme n’avait fait que tourner en rond.

Burl repartit en prenant soin d’éviter les endroits qu’il avait déjà vus le matin. Parfois, il traversait de dangereux massifs de champignons. Et parfois des zones relativement dégagées. Il évita plus d’une fois les nuages de poussière rouge. Une profonde anxiété l’emplissait. Il ignorait tous les moyens inventés par les hommes pour s’orienter. Il savait seulement qu’il lui fallait, coûte que coûte, retrouver ses compagnons.

Eux, de leur côté, croyaient Burl mort. La vieille Tama se lamentait d’une voix stridente. Pour la tribu, la nuit signifiait la mort. Lorsqu’ils ne virent pas revenir Burl pour le festin de champignons que Jon et Dor avaient rapportés, ils le cherchèrent. Ils se risquèrent même à appeler timidement dans l’obscurité. Ils entendirent un battement d’ailes immenses, comme si un énorme insecte montait désespérément vers le ciel. Mais ils n’associèrent pas Burl à ce bruit. D’ailleurs, s’ils l’avaient fait, ils n’auraient plus eu aucun doute sur son sort.

Le malaise de la tribu se transforma peu à peu en terreur, puis en désespoir. Qu’allaient-ils faire sans ce chef intrépide pour les guider ? Burl était le premier homme qui se soit fait obéir sur la planète oubliée. Et la soumission de ses compagnons avait été d’autant plus complète qu’elle était une nouveauté. La perte du jeune homme n’en était que plus consternante. Lorsque ses congénères eurent accepté le fait qu’il avait disparu, ils retrouvèrent toutes leurs anciennes craintes.

Ils se tenaient serrés les uns contre les autres et parlaient à voix basse. Ils attendirent en tremblant durant toute l’interminable nuit. Si une araignée chasseresse était apparue, ils se seraient enfuis dans toutes les directions et, sans aucun doute, auraient tous péri. Mais le jour revint. Ils se regardèrent et lurent dans tous les regards la même frayeur. Saya était la plus pitoyable du groupe. Son visage était plus pâle et plus tiré que celui des autres.

Lorsque le jour s’éclaircit, ils ne bougèrent pas. Ils demeurèrent près des tunnels creusés par les abeilles, serrés les uns contre les autres, chuchotant, surveillant l’horizon dans la crainte des ennemis. Saya refusa de manger. Elle restait immobile, les yeux dans le vide, toute à son chagrin muet. Burl était mort.

Au-dessus de la petite falaise, un lycoperdon rouge brillait dans la lumière du matin. Sa peau dure et tendue résistait à la pression des spores qu’elle contenait. Lentement, à mesure que la matinée s’écoulait, une partie de l’humidité qui conservait l’élasticité de la peau sécha. La substance parcheminée se contracta.

Dans un bruit de déchirement, la peau se fendit. Et les spores comprimées jaillirent vers le ciel.

Les hommes de la tribu hurlèrent et s’enfuirent. La poussière rouge descendait dans leur direction. Ils coururent à perdre haleine. Jon et Tama étaient les plus rapides. Jak, Cori et les autres suivaient de près. Saya, noyée dans son chagrin, traînait derrière eux.

Si Burl avait été là, les choses se seraient passées différemment. Il avait déjà un tel ascendant sur les esprits que, même saisis de panique, les autres auraient cherché à voir ce qu’il faisait. Et lui, il aurait su éviter le nuage fatal qui dérivait lentement, comme il avait su l’éviter durant la nuit.

Saya s’efforçait de suivre les autres. Elle entendit des cris de frayeur sur sa gauche et courut plus vite. Elle passa près d’un fourré de champignons dans lequel quelque chose, soudain, bougea. La panique donna des ailes à la jeune fille. Haletante, elle fuyait au hasard. Devant elle, des lycoperdons rouges émergeaient çà et là au milieu des plantes en forme d’éventail, hautes de quatre mètres, et qui ressemblaient à des éponges.

Saya fit un écart pour se cacher au cas où un animal pourrait la voir. Son pied glissa sur le corps gluant d’une limace. Et elle tomba lourdement. Sa tête heurta une pierre. Elle s’évanouit.

Comme mû par un signal, un lycoperdon éclata au milieu des plantes en éventail. Un nuage épais de poussière rouge monta vers le ciel, s’élargit, ondula et commença à se poser doucement sur le sol. Tout en se posant, il avançait, s’étendant sur les inégalités du terrain. Il fut à cent mètres de Saya, puis à cinquante, puis à trente…

Si un membre de la tribu avait observé la scène, la poussière rouge aurait pu paraître douée d’une intelligence malveillante. Mais, lorsque les bords du nuage de poussière furent à vingt mètres du corps inerte de Saya, une brise se leva. C’était une petite brise vagabonde et capricieuse qui arrêta le nuage rouge, le perturba et l’envoya dans une nouvelle direction. Il contourna Saya. Bien qu’une de ses volutes se fût avancée, comme au ralenti, pour la saisir, elle passa près du corps étendu sans le toucher.