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Longtemps après, Saya ouvrit les yeux et regarda autour d’elle avec ahurissement.

Les deux jeunes gens couraient un énorme danger car ils avaient oublié le reste du monde. Remplie d’un bonheur encore étonné, Saya reposait contre l’épaule de Burl. Il lui racontait ses aventures, comment, croyant tuer un phalène, il avait frappé un hanneton volant, comment celui-ci l’avait emporté dans les airs, comment il avait cherché la tribu et comment il l’avait retrouvée elle, Saya, apparemment sans vie. Saya contemplait le jeune homme d’un regard rempli de chaleur et de fierté. Mais lui, il fut subitement frappé par l’utilité extraordinaire de sa dernière découverte. On pouvait se défendre contre les attaques des insectes en leur jetant de la viande. Les insectes étaient si stupides qu’en fait, n’importe quel objet lancé assez vite pourrait leur servir de victime à la place d’un homme pourchassé.

Un chuchotement timide tira le jeune couple de ses rêves. C’était Dik. Debout à quelques pas de Burl et de Saya, il les fixait de ses yeux écarquillés. Il semblait convaincu de voir des morts vivants. N’importe quel geste brusque l’aurait fait déguerpir instantanément. Trois ou quatre autres têtes apparurent entre les champignons. Les nouveaux venus aussi semblaient terrifiés. Le vieux Jon était prêt à prendre la fuite.

La tribu était revenue à sa cachette antérieure pour s’y rassembler. Tous, ils avaient cru Burl et Saya morts. Ils avaient accepté leur sort avec leur fatalisme habituel. Et maintenant, ils semblaient ne pas croire leurs yeux.

Burl les appela, heureusement sans arrogance. Dik et Tet sortirent craintivement de leurs cachettes. Les autres suivirent les jeunes gens. La tribu forma un demi-cercle apeuré autour du couple. Burl parla de nouveau. Cori osa s’approcher de lui et le toucher. Aussitôt, ils se mirent tous à babiller dans leur langage rudimentaire. Des exclamations émerveillées et des questions fusèrent de toutes les bouches.

Pour une fois, Burl fit preuve de bon sens. Au lieu de faire un long récit de ses exploits, il se borna à jeter devant lui les longues antennes effilées du hanneton. Les autres les contemplèrent et comprirent d’où elles provenaient.

Ensuite Burl ordonna sèchement à Dor et à Jak de faire un siège de leurs mains pour porter Saya. Elle était affaiblie par sa chute et la perte de sang qui l’avait suivie. Les deux hommes avancèrent humblement et obéirent. Alors Burl donna l’ordre de reprendre la marche.

Ils avancèrent plus lentement que les jours précédents. Burl marchait devant le groupe, attentif à toute menace de danger. Il avait plus que jamais confiance en lui. Ce n’était évidemment pas pleinement justifié. Jon reprit la lance qu’il avait lâchée. Le petit groupe se trouva bientôt hérissé d’armes. Mais maintenant Burl savait que ces armes seraient vite jetées si elles devenaient encombrantes et qu’il était nécessaire de fuir.

Tout en ouvrant la marche, Burl s’efforçait de penser en chef. Jusqu’à présent, il avait appris à ses compagnons comment tuer des fourmis pour les manger. Il les avait lancés à l’attaque des larves et des papillons qui pullulaient sur les choux géants. Mais jamais les hommes de la tribu n’avaient encore délibérément fait face, comme lui, à un véritable danger. C’était là une lacune que le jeune homme se devait de combler au plus tôt.

L’occasion qu’il cherchait se présenta le soir même. À l’ouest, les lourds nuages commençaient tout juste à revêtir les somptueuses couleurs annonciatrices du crépuscule quand un bourdon, qui regagnait son nid souterrain, passa bruyamment à une dizaine de mètres au-dessus de leur tête. Levant les yeux, la petite troupe distingua nettement les brosses de l’apidé, chichement garnies de pollen. L’insecte volait lourdement. Ses ailes transparentes étaient presque invisibles dans l’air du soir.

Le visage de Burl se crispa soudain. Une guêpe à la taille fine, qui se tenait en embuscade dans un buisson de moisissures fétides, venait de bondir.

Le bourdon fit un écart pour tenter de s’échapper. Mais la guêpe le gagnait de vitesse. Le bourdon esquiva encore. Il mesurait près d’un mètre cinquante – à peu près la taille de la guêpe –, mais il était plus lourdement charpenté et ne possédait pas les mêmes pointes de vitesse. À deux reprises, il parvint à éviter les descentes en piqué de son adversaire mieux taillé pour la course. Mais, la troisième fois, les deux insectes s’agrippèrent en vol, à quelques mètres à peine à la verticale des humains.

Ils perdirent de l’altitude en tournoyant – horrible enchevêtrement de membres mordus, torturés, déchiquetés – avant de s’écraser ensemble sur le sol où, roulant dans la poussière, ils poursuivirent la lutte. Se contorsionnant en tous sens, le bourdon faisait des efforts désespérés pour planter son aiguillon barbelé dans le corps souple de son adversaire.

Mais, après quelques instants de confusion, la guêpe prit le dessus et, plaçant avec une habileté diabolique sa victime dans la position qui lui convenait, elle arqua son corps. Et son aiguillon acéré plongea…

Le bourdon fut tué sur le coup, comme frappé par la foudre. La guêpe avait piqué à l’endroit de la nuque par où passent tous les nerfs. C’était du grand art. Mais, étant donné les intentions ultérieures de la guêpe, elle ne pouvait frapper que là – et pas ailleurs.

À voix basse, Burl se mit à distribuer des ordres à ses compagnons. Il savait – comme les autres – ce qui allait se passer maintenant. Quand la suite logique du meurtre commença à se dérouler, il s’avança tandis que ses amis le suivaient en tremblant. En fait, on ne pouvait rêver entreprise moins dangereuse – mais la simple perspective d’attaquer une guêpe avait déjà de quoi faire dresser les cheveux sur la tête.

Le second acte du drame était abominable. Les guêpes, normalement, sont carnivores, mais on était à la saison où elles élèvent leurs jeunes. Il y avait obligatoirement du miel dans le jabot du bourdon. Si le lourd insecte était parvenu à son nid, il aurait dégluti le liquide sucré pour en nourrir ses larves. Seulement, autant ce miel est favorable à la croissance des jeunes bourdons, autant il devient poison mortel pour les larves de guêpes. Il convenait donc que la guêpe vide le jabot de son contenu avant de transporter la carcasse du bourdon qui, elle seule, servirait de nourriture à la jeune larve de la prédatrice. Et, merveille de la nature, la guêpe qui, durant tout le reste de l’année, aurait méprisé semblable aliment, en était folle à cette période précise.

Renversant le corps flasque de sa victime, elle entreprit de l’écraser pour en faire sortir le miel. C’était dans ce but qu’elle avait frappé les centres nerveux : le cadavre était ainsi parfaitement malléable, prêt à toutes les manipulations.

Et le bourdon vomit effectivement son miel que la guêpe, ivre d’extase, se mit à boire avec délectation au fur et à mesure qu’il coulait. Plus rien au monde ne comptait pour elle que ce nectar dont elle s’enivrait.

Burl et ses compagnons ne perdirent pas de temps. Les armes de fortune entrèrent en action, transperçant l’insecte de part en part dans un affreux bruit de cuirasse fracassée. Un coup de Burl, particulièrement bien ajusté, coupa même la guêpe en deux au niveau de la taille.