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En fait, cet état de choses était déplorable ! Il n’est pas bon pour les humains de se sentir en sécurité et de vivre dans le contentement. Les hommes ne progressent que grâce au besoin ou à la crainte.

Les compagnons de Burl sombrèrent dans une léthargie béate. Ils ramassaient de quoi manger, puis se cachaient jusqu’à ce qu’ils aient tout consommé. Ils ne se déplaçaient que pour chercher leur nourriture. Et ils n’avaient pas besoin d’aller loin. La tribu rétrogradait. Les chasseurs oublièrent de prendre leurs nouvelles lances ou leurs massues. Dans ce milieu particulièrement favorable, les hommes se transformaient de nouveau en gibier impuissant.

Quant à Burl, il était furieux. Il avait connu une véritable adulation. Or, on l’aimait encore, bien sûr, mais l’adulation avait disparu. Saya elle-même…

Un changement s’était opéré en Saya. Lorsque Burl s’était conduit en chef, elle l’avait regardé avec vénération. Maintenant qu’il était un homme comme les autres, elle était devenue coquette. Or, Burl était un être humain d’un caractère particulièrement direct. Il était capable de commander, mais non d’intriguer. Il était vaniteux, mais se trouvait désarmé devant une situation romanesque. Lorsque Saya s’avisa malicieusement de rester avec les autres femmes de la tribu, Burl crut qu’elle le fuyait. Lorsqu’elle se déroba et ne lui adressa plus la parole, il s’imagina qu’elle ne voulait plus de sa compagnie et il se fâcha.

Il y avait une semaine que la tribu habitait la nouvelle vallée. Un beau jour, Burl, plein d’amertume, partit tout seul. Il était sans doute poussé par une rancune enfantine. Il avait été le grand homme de la tribu. Et maintenant, il n’était plus si grand parce qu’on n’avait pas besoin de ses qualités particulières. Aussi, dans un accès de mauvaise humeur, il partit. Il avait peut-être l’intention inconsciente de punir les autres de leur indifférence.

Le jeune homme portait toujours lance et massue. Mais son costume avait perdu de sa splendeur. Sa cape avait disparu. Les antennes de phalène qu’il portait sur le front étaient si dépenaillées qu’elles étaient ridicules.

Le jeune homme parvint aux pentes qui limitaient la vallée. Elles ne présentaient pas d’intérêt. Il trouva une vallée plus petite dans laquelle une araignée à labyrinthe avait construit son repaire luisant. Burl regarda la bête avec mépris. Il pouvait la tuer s’il le voulait, en la frappant à travers les parois de son nid soyeux.

Il aperçut aussi des mantes religieuses. Il tomba même une fois sur l’extraordinaire nid de la tribu des mantes. C’était une énorme masse d’écume en forme de feuille, sécrétée par la mère et dans laquelle elle pondait ses œufs.

Il trouva une chenille enveloppée dans son épais cocon et, désœuvré, l’étudia avec soin. Il alla même, au prix de grandes difficultés, jusqu’à déchirer la matière soyeuse et à en dérouler quelques mètres. S’il avait réfléchi, il se serait rendu compte qu’il avait là de la corde et qu’il pouvait en tisser des pièges et des filets semblables à ceux des araignées.

Mais, encore une fois, il n’était pas là pour faire des découvertes – seulement pour manifester sa mauvaise humeur à l’égard du reste de la tribu.

Burl croisa une mante religieuse de plus d’un mètre qui leva ses pattes de devant et attendit, immobile, qu’il passe à sa portée. Il fut tenté de la combattre. Mais sa lance aurait été peu pratique contre un adversaire si mince. Quant à sa massue, elle n’aurait pas été assez rapide pour parer les mouvements vifs de l’insecte.

Burl s’ennuyait. Il chassa des fourmis. Avant la tombée de la nuit, il en avait tué trois. Il accrocha les trois carcasses à sa ceinture.

Au coucher du soleil, Burl tomba sur une autre mante religieuse, éclose depuis peu. C’était presque une embuscade. Le jeune monstre, immobile, attendait que l’homme passe près de lui.

Burl tenta une expérience. L’horrible petite bête arrivait à la hauteur de ses épaules. Elle pouvait être un antagoniste mortel. Burl lui jeta une fourmi.

La bête frappa si vite que le geste de ses avant-bras fut invisible. Puis, ignorant Burl, elle dévora la fourmi.

Le jeune homme venait de faire là une expérience qui pouvait se révéler d’une extraordinaire utilité.

Le second jour de son voyage errant, Burl fit une rencontre qui le terrifia. C’était une araignée chasseresse, une femelle noire, la grande tarentule américaine.

Lorsque Burl aperçut la bête, il blêmit.

L’araignée était un véritable géant. Ses pattes avaient plusieurs mètres de long. Ses crochets à venin, acérés comme des aiguilles, étaient longs de près d’un mètre. Ses yeux étincelaient d’une insatiable et démente soif de sang. Sa présence était dix fois plus meurtrière pour les humains, comme d’ailleurs pour les autres êtres vivants de la vallée, que ne l’aurait été celle d’un tigre du Bengale lâché dans une rue terrestre.

En outre, la tarentule apportait à sa suite un désastre pire encore.

En effet, elle traînait une poche à œufs plus grosse que son propre corps. Elle remorquait son fardeau au moyen de deux cordes soyeuses. Elle allait le transporter et le protéger jusqu’à l’éclosion des œufs. Et alors, quatre ou cinq cents petits monstres seraient lâchés dans la vallée…

Dès l’instant de leur éclosion, ils seraient aussi meurtriers que leur mère. Leur corps aurait la dimension d’un poing d’homme. Avec leurs pattes de trente centimètres, ils pourraient faire des bonds de deux mètres. Leurs petits crochets à venin seraient aussi venimeux que ceux de leur mère. Tout comme l’horrible monstre gris qui les avait engendrés, ils manifesteraient une haine démente des autres formes de vie.

Abandonnant tout autre projet, Burl repartit vers sa tribu. Il apportait des nouvelles qui présentaient l’avantage de le rendre à nouveau indispensable. Cependant, il aurait mille fois préféré échanger ce plaisir contre l’absence de la tarentule. La vallée n’était plus un paradis : la tribu devait s’enfuir ou périr.

Burl avertit ses compagnons de l’arrivée de la tarentule. Ils l’écoutèrent en écarquillant les yeux. Mais ils ne comprirent pas du tout le danger. Un péril éloigné ne représentait rien pour eux. Lorsque Burl leur intima avec insistance l’ordre de le suivre pour recommencer un nouveau voyage, ils inclinèrent la tête d’un air gêné, mais ils se glissèrent dehors. Burl ne réussit pas à rassembler la tribu. Il y en avait toujours qui se cachaient et qu’il fallait chercher. Pendant ce temps, ceux qu’il avait réunis disparaissaient avant son retour.

On vécut dans la vallée des jours de grande lumière et de meurtre, des nuits de pluie lente et de mort. Sous le banc des nuages, les grands insectes commettaient des atrocités les uns envers les autres, puis se repaissaient benoîtement de leurs victimes. Des parents prévoyants paralysaient d’autres insectes qu’ils laissaient en vie et sans défense pour servir de nourriture à leurs petits. Les humains étaient indifférents à ces choses. Ils étaient inquiets. Mais, comme il est naturel aux hommes, ils ne voulaient pas croire au pire avant que le pire ne survienne.

Quinze jours après l’installation de la tribu dans la vallée, l’événement tant redouté se produisit.

La première lueur grise de l’aube trouva le groupe des humains tremblant de terreur. Les œufs du monstre gris étaient éclos. La vallée semblait grouiller de petits démons qui tuaient sans relâche, même lorsqu’ils ne pouvaient pas se nourrir de leurs victimes. Lorsque deux d’entre eux se rencontraient, ils se battaient avec fureur et le vainqueur dévorait le vaincu. Ils étaient trop petits et trop rapides pour qu’on puisse les combattre avec des lances ou des massues.