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Aussi les humains désespérés attendaient-ils la mort. Ils avaient passé la nuit en plein air, de peur d’être bloqués dans les fourrés qui les avaient protégés jusque-là. Maintenant, ils étaient à découvert et l’énorme assassin gris pouvait les apercevoir.

Le monstre apparut. Une jeune fille l’aperçut et poussa un hurlement. Mais lui n’avait pas repéré les hommes. Ces derniers virent la tarentule sauter sur une chenille aux couleurs vives et la tuer. Ainsi, la vallée, ce paradis, était condamnée à devenir un charnier.

Alors, Burl, se secoua. Il avait été furieux quand il avait quitté ses compagnons pour faire son voyage. Et plus furieux encore à son retour, lorsque les gens de la tribu avaient refusé de lui obéir. Il était resté auprès d’eux, se drapant dans une dignité offensée, gardant un silence irrité et refusant systématiquement de répondre à la moindre avance, même venant de Saya. Ce comportement de Burl était assez puéril. Mais ses compagnons étaient semblables à des enfants. Et c’était pour lui la meilleure façon de se faire comprendre.

Les autres tremblaient, trop désespérés pour s’enfuir, tandis que le monstre hirsute festoyait à huit-cents mètres de là. Outre Burl, il y avait six hommes et sept femmes, le reste étant des enfants qui s’échelonnaient, des adolescents à un petit bébé. Ils pleurnichaient. Saya, oubliant maintenant toute coquetterie, jeta à Burl un regard implorant. Les autres se lamentèrent plus bruyamment. Ils avaient atteint un tel degré de désespoir qu’ils auraient pu attirer le monstre par leurs sanglots.

C’était le moment psychologique.

— Venez ! leur dit Burl d’un ton sévère.

Il prit Saya par la main et partit. Il n’y avait qu’une seule direction dans laquelle un être humain pouvait songer à s’enfuir à ce moment, c’était celle qui tournait le dos à l’affreuse mère des monstres. C’était la muraille qui limitait la vallée.

Avec Saya, Burl commença son ascension.

Avant qu’ils aient parcouru dix mètres, Dor parla à sa femme. Avec leurs trois enfants, ils suivirent Burl. Cinq mètres encore et Jak, fiévreusement, entraînait sa famille sur les pas du couple. Le vieux Jon, toujours essoufflé, se précipita. Cori suivit le mouvement. Elle portait ses plus jeunes enfants dans ses bras et poussait les autres devant elle.

Quelques secondes encore, et toute la tribu était en marche.

Burl avançait, conscient de la présence des autres derrière lui, mais affectant de les ignorer. Le groupe continuait à le suivre uniquement parce qu’il avait commencé à le faire. Dik, à qui la terreur avait fait perdre son arrogance d’adolescent, fixait d’un air envieux l’arme que tenait Burl. Il aperçut quelque chose qui était à moitié enfoui dans la terre. Après avoir jeté un coup d’œil apeuré derrière lui, il alla regarder l’objet de plus près. C’était un fragment de la cuirasse d’un hanneton-rhinocéros. Tet rejoignit son ami pour l’aider à tirer sur le morceau de cuirasse. Les deux jeunes gens montraient beaucoup de courage en s’attardant dans leur fuite pour se procurer des armes.

Les fugitifs laissèrent bientôt derrière eux un laiteron. Souffreteux, il ne s’élevait guère à plus de sept mètres et sa base était déjà infestée de teignes et de rouilles. Des fourmis guerrières, venues spécialement en procession d’une fourmilière voisine, en parcouraient le tronc afin d’y déposer des pucerons producteurs de miellat aux endroits les plus favorables. Mais une larve de fourmi-lion, dissimulée jusque-là à l’abri d’une branche basse, ne tarda pas à se montrer et à faire son choix parmi les éléments les plus gras du troupeau : si les fourmis guerrières élevaient en effet avec le plus grand soin des troupeaux de pucerons dans le seul but de les traire, les fourmis-lions, en revanche, en faisaient leur proie de prédilection et les dévoraient sans pitié.

Burl continuait à marcher, tenant Saya par la main. Une odeur âcre d’acide formique parvint à ses narines. Il ne s’en inquiéta pas. Les fourmis représentaient maintenant une proie aussi banale pour ses compagnons que les crabes ou les langoustes pour les habitants de la Terre. Burl ne se souciait pas de nourriture. Il voulait avancer sur les pentes montagneuses.

Dik et Tet arrivaient, brandissant leurs nouvelles armes. Ils jetèrent un coup d’œil craintif par-dessus leur épaule. La tarentule était plongée dans son macabre repas. Ils en étaient loin maintenant. Les deux jeunes gens s’arrêtèrent devant une procession de fourmis. De loin en loin, il y avait des brèches dans la colonne des ouvrières. Les adolescents coupèrent la file par une de ces trouées.

Lorsqu’ils furent passés, Tet et Dik s’arrêtèrent pour discuter. Ils se lancèrent un défi. Ils revinrent à la colonne de fourmis. Ils frappèrent de leurs armes. Les fourmis écrasées moururent sur-le-champ. Quant aux survivantes, elles poursuivirent placidement leur chemin. Les armes frappèrent à nouveau. Chacun des deux adolescents cherchait à surpasser l’autre. Mais ils avaient plus de viande qu’ils n’en pouvaient porter. Triomphalement, ils rattrapèrent la tribu au pas de course. Ils distribuèrent généreusement leur butin. C’était une forme de vantardise. Mais les autres acceptèrent automatiquement ces cadeaux. Après tout, c’était de la nourriture.

Les deux garçons, tout en jacassant entre eux, revinrent sur leurs pas en courant. Une fois encore, ils rapportèrent des masses de viande, une dizaine de fourmis dont les pattes contenaient une chair consistante.

Là-bas, en arrière, la fourmi-lion continuait de prélever sa dîme sur le troupeau stupide de pucerons. Les fourmis guerrières ne tardèrent cependant pas à constater les coupes sombres effectuées dans ce qui leur appartenait en propre. Elles le prirent de haut. Une bataille sanglante était sur le point de s’engager.

Burl guidait ses compagnons sur les premières pentes de la montagne. Il s’arrêta sur une petite éminence pour jeter un coup d’œil autour de lui. Sur la planète oubliée, la prudence était toujours la condition même de l’existence.

À cinquante mètres en avant, une araignée fourrageait fiévreusement à travers des couches de matière en décomposition abritant des colonies de larves minuscules qu’elle dévorait dans un abominable bruit de déglutition. Mais elle était toute à sa tâche. Et puis les araignées sont, en règle générale, relativement myopes.

Le jeune chef se retourna et s’aperçut que la tribu tout entière l’avait suivi craintivement sur cette hauteur où il n’avait grimpé que pour mieux voir les alentours. Dor, lui, profita de la pause de Burl. Il découvrit une carapace de grillon, vidée, en partie recouverte par la terre fongoïde. Il arracha la mâchoire creuse qui avait la forme d’une faucille. Elle était incurvée et pointue. Si on savait la manier, elle pouvait constituer une arme meurtrière. Dor avait vu Burl tuer des animaux. Maintenant il cherchait avec acharnement quelque chose qui lui permette de tuer tout seul. Jak qui le vit s’affairer sur l’arme en forme de faucille vint tirer lui aussi sur la carcasse du grillon. Il espérait y trouver une arme. Dik et Tet faisaient semblant de se battre entre eux avec les massues qui leur avaient permis de tuer les fourmis. Le vieux Jon soufflait et pantelait. Tama gémissait comme toujours, mais tout bas car elle n’osait pas faire de bruit en plein jour. Les autres attendaient passivement que Burl les conduise plus loin.

Burl fixa sur ses compagnons un regard furieux.

Les autres baissèrent les yeux. Maintenant, ils se souvenaient qu’ils avaient eu faim et que Burl leur avait trouvé de quoi manger, qu’ils avaient été paralysés par la peur et que Burl leur avait sauvé la vie. Pour le moment, ils avaient le sentiment de dépendre de lui. Plus tard, cela changerait. Ils tendraient à devenir indépendants, ils apprendraient à se diriger eux-mêmes. Peut-être Burl leur apprendrait-il à se passer de lui. Mais, pour l’instant, il lui était agréable d’être admiré par la tribu. Il était brusquement conscient du fait qu’il allait être obéi. Il inventa donc un ordre auquel on puisse obéir.