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— Je porte des armes acérées, expliqua-t-il. Certains d’entre vous en ont trouvé. Maintenant, tout le monde doit en porter pour pouvoir se battre !

Sans mot dire, ils se dispersèrent pour aller à la recherche des armes. Saya allait en faire autant. Mais Burl la retint. Il ne savait pas trop pourquoi. Peut-être parce que l’égalité des sexes dans la lâcheté allait cesser et que la vanité de Burl le poussait à assumer la défense de Saya. Il n’analysait pas ses sentiments. Il ne voulait pas que Saya le quitte. Il l’en empêchait.

La tribu se dispersa donc. Dor partit avec sa femme pour l’aider à trouver une arme. Jak suivit la sienne avec inquiétude. Jon alla craintivement vers l’endroit où étaient enterrés les restes du grillon qui pourraient peut-être lui fournir un instrument de défense. Cori étendit ses plus jeunes enfants aux pieds de Burl avant de partir peureusement à la recherche d’une lance ou d’une massue.

Un cri fit se retourner tout le monde. Un garçon d’une dizaine d’année, le plus jeune frère de Dik, figé sur place par la terreur, fixait quelque chose qui était sorti d’un fourré.

Il s’agissait d’un animal d’un vert délavé, à la petite tête et aux yeux énormes. Il se tenait dressé comme un homme. Et sa taille dépassait celle d’un homme de quelques centimètres. Son ventre s’enflait gracieusement. C’était une jeune mante religieuse. Elle se trouvait à cinquante mètres de Burl, mais à moins de dix mètres du garçon.

Ce dernier lui faisait face, paralysé par l’horreur.

La bête aussi se tenait complètement immobile. Ses énormes bras ornés de piquants étaient tendus dans un geste de bénédiction hypocrite. Elle attendait que sa proie s’approche ou tente de s’enfuir. Si le garçon fuyait, elle se précipiterait à sa poursuite. S’il approchait, les pattes crochues s’abaisseraient en un éclair, serreraient étroitement son corps et le transperceraient. Après quoi elle commencerait son repas sans attendre qu’il soit mort.

Le petit groupe des humains n’osait pas faire un geste. On peut se demander s’ils étaient remplis de pitié pour la victime ou plongés dans un abîme de désespoir à la vue de la jeune mante. La présence d’une mante religieuse presque adulte signifiait qu’il y en aurait bientôt des centaines d’autres. Si on arrivait à échapper à la progéniture de la tarentule, on serait certainement dévorés par ces monstres verts qui levaient les bras comme pour bénir avant de tuer.

Aucun des hommes qui se trouvaient là ne pouvait imaginer une parade à la férocité d’une mante religieuse. Mais Burl, lui, avait fait la veille une expérience précieuse et dont il se souvenait à cet instant précis. Il avait rencontré une mante alors qu’il était seul. Et il l’avait délibérément attaquée. Il décida de se servir de la même tactique. À la stupéfaction de la tribu, le jeune homme courut vers la mante. Il brandit le corps d’une fourmi tuée par Tet quelques minutes plus tôt et le lança violemment au delà du garçon paralysé par la peur.

Burl avait visé la mante. Son coup porta. La fourmi était lourde. La mante, dressée dans son attitude spectrale, fut à demi renversée. Or, les insectes sont incapables de réfléchir. Quelque chose avait atteint la sinistre créature. Ses bras tournoyèrent férocement pour se défendre. Elle lutta contre la fourmi morte avec une frénésie qui touchait à la folie furieuse.

Dès que l’attention de l’insecte s’était détournée de lui, le jeune garçon s’était enfui à toutes jambes.

Plusieurs centaines de mètres plus loin, sur la montagne, la tribu se rassembla autour de Burl. Il était leur point de ralliement. Cori avait donné l’exemple. Elle avait laissé un de ses bébés à Burl et lorsque celui-ci avait précipitamment quitté l’endroit où ils étaient, Saya avait instinctivement ramassé l’enfant avant de s’enfuir. Bien entendu, elle avait rejoint Burl. Et Cori avait rejoint Saya lorsque tout danger immédiat avait été écarté.

De la pente où les humains se trouvaient maintenant, le fond de la vallée semblait déjà plus lointain. La brume commençait à le recouvrir.

Burl demanda brutalement à ses compagnons :

— Où sont les objets pointus pour vous battre ?

Les hommes se regardèrent avec gêne. Jon bredouilla une protestation. Ce fut la vieille Tama qui, de sa voix aiguë, exprima le sentiment général :

— Voilà où Burl nous a entraînés ! Là où nous étions auparavant, il n’y avait que la poussière rouge. Mais ici il y a une tarentule avec tous ses petits. Et il y a aussi une nouvelle couvée de mantes religieuses. Nous pouvons éviter la poussière rouge. Mais comment pourrons-nous échapper à la mort qui nous attend dans la vallée ? Burl, tu nous as convaincus de quitter notre refuge et tu nous as conduits ici pour y mourir !

Burl les regarda tous d’un air méprisant. Sa résolution ne venait pas de son courage, mais de son besoin de susciter l’admiration. L’admiration des autres était une sensation merveilleuse. Plus on était admiré, mieux c’était. Il était furieux que l’on mette en doute sa supériorité.

— Moi, déclara-t-il avec hauteur, je ne vais pas rester ici. Je vais aller là où il n’y a ni araignées ni mantes religieuses. Viens, Saya !

Il tendit la main à Saya. Elle rendit l’enfant à Cori et suivit Burl avec confiance. Burl s’éloigna d’un air noble, serrant la main de Saya dans la sienne. Ils escaladèrent le flanc de la montagne. Quoi de plus naturel ? Dans la vallée, il y avait des araignées et des mantes en quantités telles qu’y rester signifiait la mort. Il fallait donc aller ailleurs.

Tel fut l’événement qui changea toute l’histoire de l’humanité sur la planète oubliée. Jusqu’alors, peut-être avait-il existé d’autres individus qui avaient essayé d’être des chefs, un peu à la manière de Burl. Certains hommes avaient pu apprendre à être courageux. Peut-être même avaient-ils essayé de faire émigrer leurs congénères vers des terres plus hospitalières. Mais jusqu’au jour où Burl eut l’énergie d’entraîner une tribu humaine hors d’une vallée remplie de nourriture pour donner l’assaut à une montagne et marcher vers l’inconnu, rien d’utile n’avait été fait. Jusque-là, les humains n’avaient pas réussi à dépasser l’état de gibier traqué, à la merci de bêtes monstrueuses. À la merci des insectes qui, par une cruelle ironie du sort, avaient été implantés sur cette planète pour que les hommes puissent l’habiter.

Burl était le premier homme à conduire d’autres hommes vers les montagnes.

9

Le soleil qui brillait au-dessus de la planète oubliée était en fait très proche. Il brillait au-dessus du banc de nuages et leur donnait un éclat blanc éblouissant. Il éclairait les crêtes des montagnes qui émergeaient de la brume. Les sommets étaient réchauffés par ses rayons. Et, en dépit de l’altitude, il n’y avait de neige nulle part. En revanche, il y avait des vents. Et le ciel était très bleu. Au bord du plateau on aurait cru que les pentes des montagnes descendaient dans une mer de lait. Les grandes ondulations de la brume paraissaient des vagues qui s’avançaient avec une grande lenteur vers les côtes. Parfois, elles semblaient se briser comme au ralenti contre les parois rocheuses. Parfois aussi, elles paraissaient remonter sur les pentes plus douces, comme la mer avançant sur une plage.