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Tout était différent sur les hautes terres. Cette partie de la planète sans nom avait été ensemencée en deux occasions distinctes comme les plaines du bas. Une première fois, on avait semé des bactéries, des moisissures et des lichens afin de morceler les roches et d’en faire de la terre fertile. Et une autre fois, on avait semé des graines et des œufs d’insectes, toutes les formes de vie qui pouvaient se nourrir dès leur éclosion. Seulement, ici, sur les montagnes, les conditions climatiques différentes avaient déterminé la survivance d’autres plantes et d’autres animaux que sur les basses terres.

D’abord la croissance des moisissures et des levures avait été gênée par le soleil. Tandis que les gazons, les herbes folles et les arbres avaient survécu à leur place. Le milieu était idéal pour les plantes vertes. Elles avaient besoin de soleil pour sécréter la chlorophylle qui leur permettrait d’utiliser le terreau. Si bien que sur les hautes terres, la végétation était presque terrestre.

Naturellement, cela avait entraîné des répercussions dans la vie de la faune. Rien ne rappelait l’agitation frénétique de la jungle située au-dessous des nuages. Les plantes poussaient moins vite que les champignons, d’une façon moins luxuriante. Sur la montagne, on ne trouvait pas de vastes réserves de vivres pour les phytophages de grande taille. Les insectes ne pouvaient y atteindre des dimensions monstrueuses. De plus, les nuits étaient fraîches. En climat tempéré, un grand nombre d’insectes s’engourdissent dans la fraîcheur nocturne et se réchauffent pour reprendre leur activité aussitôt après le lever du soleil. Mais un animal de grande taille, engourdi par le froid, ne se ranime pas vite. Un insecte démesuré ne serait redevenu actif qu’en fin de journée, aux approches de l’obscurité. Ainsi, sur le plateau, non seulement les monstres des plaines auraient manqué de nourriture, mais en outre ils n’auraient pu chasser et se nourrir que pendant une faible partie de la journée.

Il y avait donc une limite nécessaire à la dimension des animaux qui vivaient sur la montagne.

Pour des humains venus de la Terre, la vie du haut-plateau aurait paru tout à fait normale. Peut-être auraient-ils regretté l’absence des oiseaux chanteurs et des petits mammifères. Cependant le plateau ensoleillé et tranquille, avec ses journées chaudes et ses nuits fraîches, aurait semblé un lieu de séjour idéal à la plupart des hommes civilisés.

Mais Burl et ses compagnons n’étaient pas préparés à voir les choses sous cet angle-là. S’ils avaient su ce qui les attendait, ils se seraient probablement laissés aller au désespoir.

Quoi qu’il en soit, pour le moment ils ne se doutaient de rien. Ils s’échinaient à grimper, suivant un chef uniquement mû par son orgueil et sa vanité – sentiments stupides qui sont à l’origine des plus grands progrès de l’humanité. Sur la Terre, deux continents n’avaient-ils pas été découverts par un homme parti à la recherche d’épices destinées à masquer le goût de la viande avariée ? Et le principe de la propulsion spatiale n’avait-il pas été le fruit de recherches visant à envoyer plus facilement des bombes sur la tête du voisin ?

Escaladant péniblement les pentes rocheuses, les membres de la petite troupe ne voyaient presque plus la vallée qu’ils avaient quittée et qui semblait maintenant mangée par la brume.

Au bout de quelques heures, ils ne distinguèrent plus rien que les rochers auxquels ils se cramponnaient avec une difficulté croissante – et que cette pente qui semblait mener au delà des cieux. Une étrange sensation de malaise, accompagnée de nausées, les saisit bientôt. Le changement d’altitude leur donnait l’impression que tout basculait lentement autour d’eux. S’ils avaient été superstitieux, ils se seraient dit que quelques démons vengeurs les attendaient là-haut afin de leur faire payer l’audace qui les poussait vers des sommets interdits aux malheureux humains. Mais les compagnons de Burl n’avaient développé aucune notion de démonologie.

Le bon sauvage tel qu’on aime à l’imaginer n’est pas censé penser, mais on lui accorde un fort penchant pour toutes les convoitises. De ses cauchemars naissent une cohorte de divinités et d’esprits malins – et il ne tarde pas à user de chantage auprès de ces derniers pour obtenir ce dont il a envie.

Cependant, ce trafic d’influence sous-entend des sacrifices – généralement alimentaires – proportionnés à l’importance des services rendus. Or, un peuple constamment menacé de mourir de faim ne peut s’offrir le luxe de tabous alimentaires quelconques, ni décider qu’en tels lieux, réservés aux divinités, la cueillette ou la chasse serait interdite.

Néanmoins, ils avançaient. Revenir en arrière, ou même rester sur ces pentes, leur faisait peur. Toutes leurs sensations étaient bouleversées. Aucun d’eux ne songeait à s’arrêter. Même la vieille Tama, qui gémissait d’une voix faible et qui avait un mal fou à rester sur ses pieds, se bornait à se plaindre amèrement de son sort. Elle ne songeait pas à se révolter. Bien entendu, si Burl s’était arrêté, tous ses compagnons se seraient instantanément tapis dans un coin pour attendre la mort. L’aventure ne représentait rien pour eux. Ils n’avaient aucun espoir de sécurité. Ils n’imaginaient que deux bienfaits : la nourriture et la proximité des autres humains. Or, ils avaient de quoi manger car personne n’avait abandonné les carcasses de fourmis distribuées par Tet et Dik. S’ils continuaient à suivre Burl, c’était parce qu’ils ne voulaient pas être séparés.

Les motifs qui soutenaient Burl dans son entreprise étaient plus complexes. Il avait commencé son ascension grâce à un mélange de peur, de vanité blessée et de désespoir. Maintenant, il savait qu’il n’y avait rien à gagner à revenir sur sa décision. Les terreurs qui les attendaient ne pouvaient pas être plus grandes que celles qu’ils laissaient derrière eux. Il n’y avait donc aucune raison de ne pas continuer.

Les fugitifs arrivèrent à un endroit où le flanc de la montagne s’affaissait pour former une sorte de gorge. Burl gravit le bord incurvé de cette craquelure et se trouva devant un petit plateau. Il s’arrêta net.

Cet espace était pratiquement horizontal. Il y poussait des champignons vénéneux et des asclépiades. Il y avait aussi de quoi manger. C’était un petit lieu de refuge isolé. Peut-être pourraient-ils y vivre comme ils en avaient l’habitude. Peut-être était-ce enfin la sécurité.

Hélas, il n’y avait là ni refuge, ni sécurité. Burl vit tout de suite la toile d’araignée. Elle était pendue entre les parois opposées de la gorge par des câbles de soixante mètres de long. Ces câbles s’accrochaient à des pierres. Les fils du piège, qui s’enroulaient pour former la spirale logarithmique dont les hommes étaient si surpris de découvrir la propriété, étaient espacés d’un mètre au moins. La toile était destinée à un gibier géant. Pour l’instant, elle était vide. Mais Burl aperçut le fil télégraphique qui rejoignait le centre de la spirale à la cachette de l’araignée. Sur la paroi de la gorge, on distinguait une sorte d’étagère rocheuse. Là-haut, invisible contre la pierre, l’araignée attendait. Une de ses pattes velues touchait le câble. Le plus petit contact avec n’importe quelle partie de la toile lui serait instantanément communiqué.

Les compagnons de Burl se groupèrent derrière lui. On entendait la respiration sifflante du vieux Jon. Tama cessa de se plaindre pour examiner l’endroit. Après tout, il serait peut-être un lieu de refuge. Car la toile d’araignée elle-même n’était pas une cause d’alarme pour les humains. Les araignées tisseuses ne chassent pas. Leurs mâles le font. Mais, sauf à la saison des amours, ils se trouvent rarement au voisinage des toiles.

Malheureusement, il y avait une autre raison pour ne pas s’installer dans cette vallée.