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Au cours de ce premier matin passé sur les hautes terres, les hommes utilisèrent une partie de leurs provisions. Ces vivres ne dureraient pas toujours. Tout en mangeant, Burl réfléchissait d’un air sombre. Bientôt, il exigea l’attention de ses compagnons. Ceux-ci se trouvaient très heureux et, pour l’instant, ne ressentaient aucune envie d’être commandés. Mais Burl, lui, éprouvait le besoin d’être admiré.

Il parla avec brusquerie :

— Nous ne voulons pas retourner dans les basses terres. Il faut que nous trouvions de quoi manger de façon à pouvoir rester toujours ici. C’est aujourd’hui qu’il faut que nous trouvions à manger.

Burl prenait l’initiative. Il créait un lien entre les besoins de son peuple et l’obéissance qu’il lui demandait. Il montrait ainsi qu’il avait l’instinct du commandement. Une dictature ne commence pas autrement.

Les hommes qui n’avaient pas fini de manger grognèrent mais ne pensèrent pas à résister. Ils avaient appris à associer les ordres de Burl avec une succession de choses agréables. La tribu prenait l’habitude d’obéir. C’était pourtant une obéissance encore fragile.

Le repas fini, Burl prit la tête de l’expédition. Les autres le suivirent en ordre dispersé. Ils s’arrêtèrent tous à un ruisseau et le contemplèrent avec un profond étonnement. Il n’y avait ni sangsues, ni algues verdâtres, ni écume répugnante. L’eau était limpide ! Burl eut l’audace de la goûter. Il était ainsi le premier homme de sa race à boire de l’eau potable sur cette planète. De l’eau qui ne soit pas souillée par son passage à travers les moisissures et les rouilles.

Dor but après lui. Jak et Cori l’imitèrent. Puis ils firent boire les enfants. La vieille Tama elle-même se risqua à essayer ce nouveau breuvage. Après quoi elle se plaignit de sa voix aiguë de ce que Burl ne les ait pas conduits plus tôt sur les hautes terres. Tet et Dik, une fois persuadés que le ruisseau ne contenait aucun animal meurtrier, s’amusèrent à s’éclabousser joyeusement. Au cours de ce jeu, Dik glissa et s’assit brutalement par terre. Il écrasa ainsi une substance blanche qui céda sous lui. Il se releva et regarda avec inquiétude ce qu’il venait d’écraser. C’était peut-être une boue dangereuse.

Le jeune homme poussa un cri joyeux. C’était un lit de champignons qu’il avait écrasé. Ils étaient petits, propres et appétissants.

Burl les renifla et, finalement, en goûta un. Il s’agissait d’un champignon comestible parfaitement normal qui avait la dimension des champignons terrestres. Sur les hautes terres, les cryptogames poussaient à l’ombre dans un sol très riche mais ils n’avaient pas pu devenir des monstres.

Burl dévora le champignon. Puis il se composa soigneusement un visage pour faire part de sa découverte à ses compagnons. Il leur fit un petit discours. Dans cet univers merveilleux où il les avait conduits, la tribu ne trouverait pas d’ennemis dangereux. Et, chose excellente, il y avait de la nourriture. Seulement cette nourriture était de petite dimension. Il faudrait se nourrir avec des petits champignons et bien regarder pour en trouver d’autres semblables à celui qu’il venait de manger.

Les hommes prirent un air dubitatif. Cependant ils imitèrent Burl. Avec un profond étonnement, ils se rendirent compte que les petits champignons étaient bien ceux qu’ils avaient l’habitude de manger, mais en dimensions réduites. Ils avaient la même saveur que les géants, mais ils n’étaient ni durs ni filandreux. On pouvait les avaler tout entiers au lieu d’en couper des morceaux. Ils fondaient dans la bouche. La vie était vraiment délectable dans cet endroit où Burl les avait amenés ! Il fallait avouer que Burl était extraordinaire !

Les enfants de Cori découvrirent un hanneton sur une feuille et le reconnurent. Quand ils virent qu’au lieu d’être plus grand qu’un homme il n’avait que deux centimètres et qu’il était sans défense dans leurs mains, ils furent enthousiasmés. Dorénavant, ils suivraient Burl partout avec la conviction qu’il ne pouvait que leur apporter du bonheur.

Cette opinion pouvait ne pas toujours être justifiée. Mais Burl se garda bien de les décourager.

Ce fut vers le milieu de la journée que les hommes firent leur plus grande découverte.

Les compagnons de Burl s’étaient frayé un chemin à travers une étendue de buissons épineux. Ils n’avaient jamais vu d’épines et elles leur inspiraient une grande méfiance. Quant aux mûres noires et brillantes, ils découvriraient plus tard qu’elles étaient comestibles. Ce jour-là, ils n’osèrent pas y toucher. Ils étaient encore au milieu des ronces quand ils entendirent des bruits au loin.

Le son était composé de bruits de tonalités différentes. Certains cris étaient bruyants et brefs. D’autres plus longs et plus sourds. Les hommes se demandèrent de quoi il s’agissait. Des êtres humains auraient pu produire ces sons. Ce n’étaient pas des cris de douleur. Ce n’était pas non plus un langage. On aurait dit qu’il s’agissait d’une joyeuse excitation. Et Burl et ses compagnons ne connaissaient pas d’excitation parmi les insectes, mais seulement de l’horreur et de la frénésie.

Burl avait reconnu ces bruits pour les avoir entendus la nuit précédente. Il était attiré par eux. Il les aimait.

Il ouvrit hardiment la marche vers le vacarme. Ils firent un kilomètre pour sortir des ronces. Saya suivait Burl de près. Les autres traînaient en arrière. Tama se plaignait amèrement, répétant qu’il n’était pas nécessaire d’aller au-devant de ce bruit qui ne pouvait signifier que du danger.

Enfin, ils débouchèrent dans un espace nu et pierreux qui dominait un amphithéâtre herbeux. C’était du centre de cet amphithéâtre que venait le tumulte.

Un groupe d’animaux s’attaquait joyeusement à quelque chose que Burl ne pouvait voir. Ces animaux étaient des chiens. Ils aboyaient avec entrain. Ils jappaient et grondaient. Ils s’amusaient beaucoup.

Un des chiens aperçut les hommes. Il resta cloué sur place et poussa un aboiement. Les autres se retournèrent et virent aussi les hommes. Le tumulte cessa brusquement.

Le silence se fit. L’étonnement était grand de part et d’autre.

Les hommes étaient stupéfaits de l’aspect de ces animaux à quatre pattes. Toutes les bêtes qu’ils avaient rencontrées jusque-là avaient au moins six pattes. Les araignées en possédaient huit. Et puis les chiens n’avaient pas de mandibules. Ils n’avaient pas d’ailes. Ils ne réagissaient pas du tout comme des insectes.

Quant aux chiens, ils voyaient des hommes pour la première fois. Chose beaucoup plus importante, ils les sentaient. Ils percevaient la différence extraordinaire entre l’odeur de l’insecte et celle de l’homme. C’était la première fois depuis des centaines de générations que les chiens rencontraient un animal à sang chaud. Ils n’eurent pas peur. Ils ressentirent une curiosité fascinée. Ces êtres avaient une odeur sans précédent. Et même une odeur extraordinairement agréable.

Les chiens contemplaient les hommes avec la stupeur la plus profonde, reniflant, penchant la tête de côté. Ils ne ressentaient aucune hostilité. L’un d’eux poussa une sorte de gémissement, parce qu’il ne comprenait pas.

11

Chose curieuse, la présence des chiens sur la montagne et leur survivance étaient dues à une question de topographie.

À l’est, le plateau qui s’élevait au-dessus des nuages montait en pente raide depuis la vallée où habitait la tarentule. À l’ouest, au contraire, la pente était beaucoup plus douce. Les forêts de champignons suivaient les nuages le long de cette pente presque jusqu’au sommet. C’est pourquoi il arrivait que des insectes géants s’égarent sur le plateau.