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Naturellement, ils ne pouvaient pas y vivre. Ils n’auraient pas trouvé assez de nourriture pour satisfaire leur insatiable appétit. Et la nuit, il faisait trop froid pour eux. Parmi ceux qui s’égaraient sur la montagne et se promenaient un instant au soleil, certains finissaient par regagner leurs forêts de champignons. Mais la plupart restaient figés par le froid. Leur première nuit sous les étoiles les faisait tomber dans une sorte de torpeur. Au cours de la seconde journée, ils retrouvaient une activité partielle. Bien peu se remettaient du froid de la deuxième nuit. Aucun ne conservait sa combativité.

C’était en mangeant ces insectes égarés que les chiens avaient survécu.

Ils descendaient certainement des chiens de l’Icare, le navire spatial naufragé dont l’équipage avait atterri sur la planète oubliée quarante générations plus tôt. Les premières générations d’hommes avaient peut-être même élevé des chiens dans l’espoir qu’ils les aideraient à survivre. Mais aucune civilisation humaine ne pouvait se maintenir sur les basses terres. Les humains étaient retournés à l’état primitif. Ils avaient vécu tant bien que mal, traqués par les monstres. Les chiens, eux, avaient gagné les hauteurs. Ils avaient échappé aux insectes géants. Et, de gibier, ils étaient devenus chasseurs.

Le nombre des chiens était resté limité et leur intelligence était très vive. C’était la condition même de leur survivance. En effet, la proportion des insectes qui s’aventuraient sur la montagne restait toujours la même. Lorsqu’il y avait trop de chiens, leurs attaques contre les bêtes géantes se faisaient trop tôt. Poussés par la faim, ils n’attendaient pas que la férocité des monstres ait diminué. Alors, le quota des chiens était ramené à la norme par la férocité même du combat. Il se produisait aussi une sélection qui conservait seulement les chiens trop intelligents pour attaquer inconsidérément.

Bref, les animaux qui étaient en train de contempler les hommes de leurs yeux vifs et intéressés appartenaient à une race très saine. Ils avaient appris à survivre. Ils ne commettaient pas d’imprudences, mais ils savaient montrer du courage dans leurs combats contre les insectes géants. Ils ne craignaient même pas les araignées, à moins qu’elles ne soient trop récemment montées des basses terres.

Burl vit immédiatement que ces animaux ne se comportaient pas avec la férocité aveugle des insectes. Ils observaient, ils réfléchissaient. Ils ressemblaient étonnamment aux hommes. Les insectes, eux, n’examinaient jamais rien. Ils s’enfuyaient ou ils attaquaient. Ils se défendaient contre un ennemi, ou se jetaient comme des forcenés sur une proie. Les chiens ne faisaient ni l’un ni l’autre. Ils reniflaient et ils attendaient.

Burl lança un ordre à ses compagnons :

— Restez où vous êtes !

Le jeune homme descendit lentement dans l’amphithéâtre. Saya le suivit aussitôt. Les chiens s’écartèrent avec circonspection. Mais ils levèrent le museau et reniflèrent. Ils reniflèrent longuement, voluptueusement. L’odeur de l’espèce humaine était agréable. Des centaines de générations de chiens avaient vécu sans la sentir. Mais ils avaient été précédés par des milliers d’autres générations pour qui l’odeur de l’homme était une nécessité.

Burl s’approcha de l’objet que les chiens avaient attaqué. La proie gisait sur l’herbe, palpitant péniblement. Il s’agissait de la larve d’un de ces phalènes bleu azur qui, à la nuit tombée, déploient des ailes de trente mètres d’envergure. Le moment de sa métamorphose était proche et elle avait voyagé à l’aveuglette pour trouver un endroit où elle pourrait filer son cocon en sécurité. Elle était arrivée dans un univers nouveau, au-dessus des nuages. Ses réserves de graisse l’avaient un peu protégée du froid, mais les chiens l’avaient découverte alors qu’elle rampait au hasard.

Burl réfléchit. Il avait vu des guêpes piquer ces larves en un point particulier, marqué par une touffe de poils bruns.

Burl leva sa lance et transperça ce point précis. La bête mourut aussitôt, sans agonie. Le jeune homme coupa de la viande pour ses compagnons. Les chiens, suffisamment nourris, n’avaient pas faim. Ils n’intervinrent pas. Burl et Saya emportèrent la viande pour le reste de la tribu. En cours de route, Burl passa à moins de deux mètres d’un chien. Ce dernier le regarda avec une grande intensité. Son expression était mélancolique. L’animal s’efforçait désespérément de comprendre ce que signifiait l’odeur de Burl.

L’homme se retourna et parla au chien du ton dont on s’adresse à un égal.

— J’ai tué cette larve, dit-il. Je n’en ai pris qu’une partie. Tu peux aller manger le reste.

Burl et ses compagnons se partagèrent la viande qu’il avait rapportée. Les chiens festoyèrent de ce qu’il leur avait laissé. Bientôt ils revinrent. Ils n’avaient pas de raison d’être hostiles. Ils avaient mangé. Les humains ne leur faisaient pas de mal. Et l’attrait qu’ils leur inspiraient montait des sources les plus profondes de la race canine.

Peu à peu, les chiens se rapprochèrent des humains. Ils étaient fascinés. Et les hommes étaient fascinés à leur tour. Sous le regard intense des chiens, les enfants eux-mêmes se sentaient flattés – et prêts à se montrer amicaux.

Saya avait plus de viande qu’elle n’en désirait. Elle jeta un coup d’œil aux membres de la tribu. Ils avaient tous de quoi manger. Elle lança un morceau de viande à un chien. Il s’écarta d’un bond, puis renifla l’endroit où le morceau était tombé. Un chien est toujours capable de manger. Il avala le morceau.

— Je voudrais bien que tu nous parles, dit Saya avec espoir.

Le chien remua la queue.

— Tu ne nous ressembles pas, continua la jeune fille, mais tu fais comme nous, pas comme les monstres.

Le chien jeta un regard expressif sur la viande que Burl tenait à la main. Burl la lui jeta. Le chien l’attrapa au vol, l’avala, remua la queue et se rapprocha. C’était pour les humains une action tout à fait incroyable de la part d’un animal. Mais, sur cette planète, les chiens et les hommes étaient de la même race. Sur ce monde oublié, ils étaient les seuls animaux à sang chaud. Et ils étaient conscients des liens que tissait cette parenté.

Burl se leva alors et parla poliment au chien. Il n’aurait jamais eu l’idée de s’adresser ainsi à un insecte. Mais il traita le chien comme s’il s’était agi d’un homme. Il lui parla même avec moins d’arrogance qu’à un de ses compagnons car, vis-à-vis des autres membres de la tribu, il était obligé d’affirmer sans cesse sa supériorité.

— Nous retournons à notre caverne, annonça-t-il. Peut-être que nous nous reverrons.

Mais, quand le jeune chef ramena la tribu à l’abri dans lequel ils avaient passé la nuit précédente, les chiens suivirent. Ils marchaient en encadrant les hommes. Ils obéissaient ainsi à un instinct profond que rien ne venait contrarier. Si un Terrien avait été là pour observer cette scène, il aurait pensé qu’un groupe d’hommes venait de faire une promenade avec une meute de chiens. Tout le monde était content. Tout le monde s’entendait bien.

Cette nuit-là comme la nuit précédente, Burl alla contempler les étoiles. Cette fois, Saya prit un air dégagé pour l’accompagner. Quand les jeunes gens sortirent de leur abri, ils surprirent un mouvement dans l’ombre. Un chien se leva, s’étira longuement et bâilla. Il accompagna Burl et Saya dans leur promenade. Ils lui parlèrent. Le chien parut content. Il remua la queue.

Au lever du jour, les hommes trouvèrent les chiens couchés devant la porte de la caverne. Ils attendaient que les humains sortent. Ils s’étaient mis dans la tête que les hommes allaient faire une longue et agréable promenade dans laquelle ils les accompagneraient. C’était un plaisir tout nouveau qu’ils ne voulaient pas manquer. Après tout, du point de vue chien, les humains sont destinés, entre autres choses, à vous faire faire de longues promenades.