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Il dégringola, toujours cramponné à sa lance, incapable de la lâcher. Même pendant sa chute, la tarentule se débattait encore furieusement pour tenter d’atteindre sa proie. Ils tombèrent ensemble à travers le vide. Le regard de Burl était rendu vitreux par la panique. Puis il y eut un bruit d’écrasement et un craquement. L’homme et le monstre étaient tombés dans la toile dont Burl s’était moqué avec tant de mépris quelques minutes auparavant.

Burl était incapable de penser. Il ne pouvait que se débattre comme un forcené. Mais les fils de l’araignée étaient une substance élastique et collante comme de la glu. Près du jeune homme, à moins de deux mètres, se débattait la tarentule blessée.

Burl avait atteint le paroxysme de la terreur. Sa poitrine et ses bras, lubrifiés par l’huile du poisson qu’il portait autour de son cou, n’adhéraient pas à la toile de l’araignée. Son bassin et ses jambes, en revanche, étaient inextricablement empêtrés dans les câbles gluants. Les efforts qu’il faisait pour se dégager ne servaient d’ailleurs qu’à aggraver la situation. Ces câbles avaient été tendus pour capturer des proies. Cette fois-ci, la proie, c’était Burl.

Le jeune homme cessa sa lutte aveugle. Il était épuisé. Il cherchait son souffle. C’est alors qu’il vit, à cinq mètres de lui, l’araignée noire et argent qu’il avait défiée du haut de la falaise. Elle attendait patiemment qu’il ne se débatte plus. Pour l’araignée, la tarentule et l’homme étaient une seule et même chose, une même proie gigotante tombée dans son piège. Les deux victimes remuaient encore, mais faiblement. L’araignée fileuse approchait avec précaution, balançant son énorme corps, tissant un câble soyeux qui traînait derrière elle.

Burl avait les bras libres. Il les agita frénétiquement en poussant des cris. Le monstre s’arrêta. Les bras de Burl ressemblaient à des mandibules qui pouvaient blesser.

Les araignées prennent peu de risques. Celle-ci se rapprocha prudemment. Puis s’arrêta de nouveau. Se servant d’une de ses huit pattes comme d’un bras, elle jeta un voile de soie gluante sur la tarentule et l’homme.

Burl lutta contre le linceul qui tombait sur lui. Il s’efforça vainement de l’écarter. En quelques minutes, il fut complètement recouvert d’une matière soyeuse et collante qui lui cachait même la lumière. Son ennemi, la monstrueuse tarentule, gisait avec lui sous la même couverture. Elle remuait faiblement.

La douche de soie gluante cessa. L’araignée avait décidé que ses victimes étaient maintenant réduites à l’impuissance. Bientôt, Burl sentit la toile vibrer. L’araignée tisseuse s’approchait pour piquer sa proie et en absorber le suc.

La toile remuait doucement. Burl était paralysé par la terreur. Mais la tarentule, elle, continuait à se tordre de douleur autour de la lance qui l’avait transpercée. Ses mandibules s’entrechoquaient, frémissaient autour de l’épieu.

Burl s’attendait à ce que les crocs à venin se plantent dans sa peau. Il connaissait le processus. Il avait déjà vu la placidité avec laquelle l’araignée tisseuse piquait ses victimes avant de battre en retraite pour attendre, avec une patience ignoble, que le venin agisse. Quand ses victimes ne se débattaient plus, elle revenait aspirer leur suc, commençant par une jointure ou un membre avant de passer à un autre – et ainsi de suite jusqu’à ce que, d’un être vivant, il ne reste plus qu’une carcasse desséchée qui serait rejetée hors de la toile à la tombée de la nuit.

Le monstre bouffi tourna pensivement autour du double objet enrobé de soie. Seule, la tarentule remuait. Son abdomen bulbeux agitait le linceul. Sa masse arrondie formait une bonne cible pour la tisseuse. Elle avança rapidement. Avec une précision superbe, elle piqua.

La tarentule fut comme rendue folle par la douleur. Ses pattes battaient inutilement, avec d’horribles gesticulations de souffrance.

Burl poussa un hurlement lorsqu’une patte l’atteignit. Il se débattait tout aussi frénétiquement. Grâce à l’huile du poisson, ses bras et sa tête n’étaient pas englués par la soie. Cramponné aux cordes, il tenta désespérément de se libérer de son dangereux voisin. Une toute petite ouverture apparut dans la soie. Et la tête de Burl émergea à l’air libre.

Il était suspendu à six mètres du sol jonché des dépouilles chitineuses des victimes précédentes.

La tête et les bras de Burl étaient libres. Son poisson, que ses efforts avaient fait passer dans son dos, avait abondamment couvert d’huile ses épaules. Mais son bassin et ses jambes restaient toujours englués dans les câbles visqueux de la tisseuse.

Il demeura suspendu dans le vide pendant un moment. Puis il vit, non loin de lui, la masse terrifiante de l’araignée qui attendait patiemment que son venin agisse. La tarentule ne faisait plus que palpiter, maintenant. Bientôt, la tisseuse s’approcherait pour faire son repas.

Empoignant les câbles à pleines mains, Burl tenta désespérément de détacher la soie agglutinée à ses jambes. Constatant que ses mains graisseuses n’offraient pas de prise à la toile gluante, il lui vint une idée. Il saisit le poisson accroché autour de son cou, le déchiqueta et frotta son corps avec la masse écailleuse et rance. Il parvint à décoller la glu de ses jambes.

À son grand désespoir, le jeune homme sentit trembler la toile. L’araignée approchait. Pour elle, les mouvements de Burl signifiaient que le poison n’avait pas produit son plein effet. Une autre piqûre devenait nécessaire. Mais cette fois, le monstre n’enfoncerait pas son dard dans la tarentule qui ne bougeait plus. Elle enverrait son venin dans le corps de Burl.

Dans un sursaut, Burl banda tous ses muscles pour tenter, par la force, de s’extraire de son linceul gluant. On aurait dit qu’il était prêt à se séparer de la moitié inférieure de son individu plutôt que de rester à portée des crocs de l’araignée. Son buste émergea hors du trou.

L’énorme araignée le surveillait, prête à l’ensevelir sous de nouveaux jets de soie. Ses filières entrèrent en action. Une de ses pattes s’empara de la matière visqueuse…

Soudain, l’étau gluant qui emprisonnait les pieds de Burl céda.

Il tomba lourdement. Il s’écroula sur le sol au-dessous de lui, écrasant la coquille ratatinée d’un hanneton volant qui s’était aventuré dans le piège et n’avait pu s’échapper comme lui.

Après une série de roulés-boulés sur le sol en pente, il parvint à s’asseoir pour se trouver aussitôt nez à nez avec une fourmi de fort méchante humeur. Longue de trente centimètres, elle le menaçait de ses mandibules tout en stridulant sur le mode aigu.

Des siècles plus tôt, sur la Terre – où la plupart des variétés de fourmis se mesuraient en fractions de centimètres –, les savants avaient doctement débattu de cette grave question : ces petits hyménoptères étaient-ils ou non capables d’émettre un son ? Ils estimaient que certaines cannelures, sur le corps de l’insecte – et qui n’étaient pas sans rappeler celles rencontrées sur les pattes postérieures des grillons –, pouvaient être la source d’ultrasons inaudibles pour les humains. La validité de l’hypothèse était difficile à prouver.

Mais Burl, lui, n’avait pas besoin de preuves. Il savait que cette stridulation était émise par l’insecte qui lui faisait face, et peu lui importait de savoir comment elle était produite. L’appel était destiné à battre le rappel des autres fourmis de la colonie, soit qu’il y ait danger, soit qu’il y ait découverte de nourriture.

Des cliquetis secs ne tardèrent pas à se faire entendre à moins de deux cents mètres. Les renforts arrivaient. Or, si seules les fourmis guerrières étaient dangereuses, une colonie quelconque de fourmis en marche pouvait se révéler redoutable. Il y avait de quoi mettre un homme en pièces, comme une meute de fox-terriers déchaînés aurait pu le faire sur la Terre.