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– Ma chambre, où elle dort, est à côté, dit-elle; viens la voir. Et comme je la suivais: – Jérôme, je n’ai pas osé te l’écrire… consentirais-tu à être parrain de cette petite?

– Mais j’accepte volontiers, si cela doit t’être agréable, dis-je, un peu surpris, en me penchant vers le berceau. Quel est le nom de ma filleule?

– Alissa… répondit Juliette à voix basse. Elle lui ressemble un peu, ne trouves-tu pas?

Je serrai la main de Juliette sans répondre. La petite Alissa, que sa mère soulevait, ouvrit les yeux; je la pris dans mes bras.

– Quel bon père de famille tu ferais! dit Juliette en essayant de rire. Qu’attends-tu pour te marier?

– D’avoir oublié bien des choses; – et je la regardai rougir.

– Que tu espères oublier bientôt?

– Que je n’espère pas oublier jamais.

– Viens par ici, dit-elle brusquement, en me précédant dans une pièce plus petite et déjà sombre, dont une porte ouvrait sur sa chambre et l’autre sur le salon. C’est là que je me réfugie quand j’ai un instant; c’est la pièce la plus tranquille de la maison; je m’y sens presque à l’abri de la vie.

La fenêtre de ce petit salon n’ouvrait pas, comme celle des autres pièces, sur les bruits de la ville, mais sur une sorte de préau planté d’arbres.

– Asseyons-nous, dit-elle en se laissant tomber dans un fauteuil. – Si je te comprends bien, c’est au souvenir d’Alissa que tu prétends rester fidèle.

Je fus un instant sans répondre.

– Peut-être plutôt à l’idée qu’elle se faisait de moi… Non, ne m’en fais pas un mérite. Je crois que je ne puis faire autrement. Si j’épousais une autre femme, je ne pourrais faire que semblant de l’aimer.

– Ah! fit-elle, comme indifférente, puis détournant de moi son visage qu’elle penchait à terre comme pour chercher je ne sais quoi de perdu: – Alors tu crois qu’on peut garder si longtemps dans son cœur un amour sans espoir?

– Oui, Juliette.

– Et que la vie peut souffler dessus chaque jour sans l’éteindre?…

Le soir montait comme une marée grise, atteignant, noyant chaque objet qui, dans cette ombre, semblait revivre et raconter à mi-voix son passé. Je revoyais la chambre d’Alissa, dont Juliette avait réuni là tous les meubles. À présent elle ramenait vers moi son visage, dont je ne distinguais plus les traits, de sorte que je ne savais pas si ses yeux n’étaient pas fermés. Elle me paraissait très belle. Et tous deux nous restions à présent sans rien dire.

– Allons! fit-elle enfin; il faut se réveiller…

Je la vis se lever, faire un pas en avant, retomber comme sans force sur une chaise voisine; elle passa ses mains sur son visage et il me parut qu’elle pleurait…

Une servante entra, qui apportait la lampe.

(1909)