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Vers minuit quelqu'un remit de la techno, et les gens recommencèrent à danser; les dealers étaient repartis, mais il restait encore pas mal d'ecstasy et des poppers. J'errais dans des zones intérieures pénibles, confinées, comme une succession de pièces sombres. Sans raison précise je repensai à Gérard, l'humoriste élohimite. «Ça n'a au-trou-du-cune importance…» dis-je à un moment donné à une fille, une Suédoise abrutie qui de toute façon ne parlait que l'anglais; elle me regarda bizarrement, je m'aperçus alors que plusieurs personnes me regardaient bizarrement, et que je parlais tout seul, apparemment depuis quelques minutes. Je hochai la tête, jetai un coup d'œil à ma montre, m'assis sur un transat au bord de la piscine; il était déjà deux heures du matin, mais la chaleur restait suffocante.

Plus tard je me rendis compte que ça faisait déjà longtemps que je n'avais pas vu Esther, et je partis plus ou moins à sa recherche. Il n'y avait plus grand monde dans la pièce principale; j'enjambai plusieurs personnes dans le couloir et je finis par la découvrir dans l'une des chambres du fond, allongée au milieu d'un groupe; elle n'avait plus que sa minijupe dorée, retroussée jusqu'à la taille. Un garçon allongé derrière elle, un grand brun aux longs cheveux frisés, qui pouvait être Pablo, lui caressait les fesses et s'apprêtait à la pénétrer. Elle parlait à un autre garçon, brun lui aussi, très musclé, que je ne connaissais pas; en même temps elle jouait avec son sex e, le tapotait en souriant contre son nez, contre ses joues. Te refermai la porte discrètement; je l'ignorais encore, mais ce serait la dernière image que je garderais d'elle.

Plus tard encore, alors que le jour se levait sur Madrid, je me masturbai rapidement près de la piscine. À quelques mètres de moi il y avait une fille vêtue de noir, au regard vide; je pensais qu'elle ne remarquait même pas ma présence, mais elle cracha de côté au moment où j'éjaculais.

Je finis par m'endormir, et je dormis probablement longtemps, parce qu'à mon réveil il n'y avait plus personne; même Pablo était sorti. Il y avait du sperme séché sur mon pantalon, et j'avais dû renverser du whisky sur ma chemise, ça empestait. Je me levai avec difficulté, traversai la terrasse au milieu des reliefs de nourriture et des bouteilles vides. Je m'accoudai au balcon, observai la rue en contrebas. Le soleil avait déjà entamé sa descente dans le ciel, la nuit n'allait pas tarder à tomber, et je savais à peu près ce qui m'attendait. J'étais manifestement rentré dans la dernière ligne droite.

DANIEL25,9

Des sphères de métal brillant lévitaient dans l'atmosphère; elles tournaient lentement sur elles-mêmes en émettant un chant légèrement vibrant. La population locale avait à leur égard un comportement étrange, fait de vénération et de sarcasme. Cette population était indiscutablement composée de primates sociaux – avait-on cela dit affaire à des sauvages, à des néo-humains, ou à une troisième espèce? Leur habillement, composé de grandes capes noires, de cagoules noires avec des trous percés pour les yeux, ne permettait pas de le déterminer. Le décor effondré comportait vraisemblablement des références à des paysages réels – certaines vues pouvaient rappeler la description que Daniel1 donne de Lanzarote; je ne comprenais pas tout à fait où Marie23 voulait en venir, avec cette reconstitution iconographique.

Nous rendons témoignage Au centre aperceptif, À l'IGUS émotif Survivant du naufrage.

Même si Marie23, même si l'ensemble des néo-humains et moi-même n'étions, comme il m'arrivait de le soupçonner, que des fictions logicielles, la prégnance même de ces fictions démontrait l'existence d'un ou plusieurs IGUS, que leur nature soit biologique, numérique ou intermédiaire. L'existence en elle-même d'IGUS suffisait à établir qu'une décrue s'était produite, à un moment de la durée, au sein du champ des potentialités innombrables; cette décrue était la condition du paradigme de l'existence. Les Futurs eux-mêmes, s'ils venaient à être, devraient conformer leur statut ontologique aux conditions générales de fonctionnement des IGUS. Hartle et Gell-Mann établissent déjà que la fonction cognitive des IGUS (Information Gathering and Utilizing Systems) présuppose des conditions de stabilité et d'exclusion mutuelle des séquences d'événements. Pour un IGUS observateur, qu'il soit naturel ou artificiel, une seule branche d'univers peut être dotée d'une existence réelle; si cette conclusion n'exclut nullement la possibilité d'autres branches d'univers, elle en interdit tout accès à un observateur donné; pour reprendre la formule, assez mystérieuse mais synthétique, de Gell-Mann, «sur chaque branche, seule cette branche est préservée». La présence même d'une communauté d'observateurs, fût-elle réduite à deux IGUS, apportait ainsi la preuve de l'existence d'une réalité.

Pour s'en tenir à l'hypothèse courante, celle d'une évolution sans solution de continuité au sein d'une lignée «biologie du carbone», il n'y avait aucune raison de Penser que l'évolution des sauvages ait été interrompue par le Grand Assèchement; rien n'indiquait cependant qu'ils aient pu, comme le supposait Marie23, accéder de nouveau au langage, ni que des communautés intelligentes se soient formées, reconstruisant des sociétés nouvelles sur des bases opposées à celles instaurées jadis par les Fondateurs.

Ce thème des sociétés de sauvages, pourtant, obsède Marie23, et elle y revient de plus en plus souvent au cours de nos échanges, qui se font de plus en plus animés. Je ressens en elle une sorte d'ébullition intellectuelle, d'impatience qui déteint peu à peu sur moi alors que rien, dans les circonstances extérieures, ne justifie la sortie de notre état de stase, et je sors souvent ébranlé, et comme affaibli, de nos séquences d'intermédiation. La présence de Fox, heureusement, ne tarde pas à m'apaiser, et je m'installe dans mon fauteuil préféré, à l'extrémité Nord de la pièce principale, pour attendre, les yeux clos, tranquillement assis dans la lumière, notre prochain contact.