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VOCATION RELIGIEUSE

Je suis dans un tunnel fait de roches compactes; Sur ma gauche à deux pas un homme sans paupières M'enveloppe des yeux. Il se dit libre et fier; Très loin, plus loin que tout, gronde une cataracte.
C'est le déclin des monts et la dernière halte; L'autre homme a disparu. Je continuerai seul. Les parois du tunnel me semblent de basalte; Il fait froid. Je repense au pays des glaïeuls.
Le lendemain matin l'air avait goût de sel; Alors je ressentis une double présence. Sur le sol gris serpente un trait profond et dense, Comme l'arc aboli d'un ancien rituel.

VARIATION 32

Deux hommes nus couchés sur le bord du rivage, Et la vie a tracé de singulières phrases Sur leur peau. Ils sont là, innocents et très sages, Survivants harassés que la marée arase.
Deux grands requins tout blancs jouent autour de l'épave; Le soleil innocent fait briller les yeux morts D'un éclat sardonique. Tout cela n'est pas grave, Mais quel affreux décor… Tournent les goélands de leur vol concentrique!

Saint-Christophe du Ligneron, le 17 juillet

VÉRONIQUE

La maison était rose avec des volets bleus Je voyais dans la nuit les traits de ton visage L'aurore s'approchait, j'étais un peu nerveux, La lune se glissait dans un lac de nuages
Et tes mains dessinaient un espace invisible Où je pouvais bouger et déployer mon corps Et je marchais vers toi, proche et inaccessible, Comme un agonisant qui rampe vers la mort.
Soudain tout a changé dans une explosion blanche, Le soleil s'est levé sur un nouveau royaume; Il faisait presque chaud et nous étions dimanche, Dans l'air ambiant montaient les harmonies d'un psaume.
Je lisais une étrange affection dans tes yeux Et j'étais très heureux dans ma petite niche; C'était un rêve tendre et vraiment lumineux, Tu étais ma maîtresse et j'étais ton caniche.

L'ÉTÉ DERNIER

Vers le Soleil se tend l'effort du végétal; Le combat se poursuit et la chaleur augmente; La réverbération devient éblouissante; Des couches empilées d'air, d'une torpeur égale,
Remuent sournoisement. J'étais je vous le jure dans mon état normal; Les fleurs trouaient mes yeux de leur éclat brutal;
C'était un accident. Je revois maintenant les circonstances exactes. Nous étions arrêtés près d'une cataracte. La souple peau des prés s'ouvrit, gueule béante; La réverbération devint éblouissante; Il y avait çà et là des fleurs de digitale; Ma sœur et moi marchions sur un tapis nuptial.

LA FILLE

La fille aux cheveux noirs et aux lèvres très minces Que nous connaissons tous sans l'avoir rencontrée Ailleurs que dans nos rêves. D'un doigt sec elle pince Les boyaux palpitants de nos ventres crevés.

LE JARDIN AUX FOUGERES

Nous avions traversé le jardin aux fougères L'existence soudain nous apparut légère Sur la route déserte nous marchions au hasard Et, la grille franchie, le soleil devint rare.
De silencieux serpents glissaient dans l'herbe épaisse Ton regard trahissait une douce détresse Nous étions au milieu d'un chaos végétal Les fleurs autour de nous exhibaient leurs pétales.
Animaux sans patience, nous errons dans l'Eden Hantés par la souffrance et conscients de nos peines L'idée de la fusion persiste dans nos corps Nous sommes, nous existons, nous voulons être encore,
Nous n'avons rien à perdre. L'abjecte vie des plantes Nous ramène à la mort, sournoise, envahissante. Au milieu d'un jardin nos corps se décomposent, Nos corps décomposés se couvriront de roses.

Traces de la nuit…

Traces de la nuit. Une étoile brille, seule, Préparée pour de lointaines eucharisties.
Des destins se rassemblent, perplexes, Immobiles.
Nous marchons je le sais vers des matins étranges.

Doucement, nous glissions…

Doucement, nous glissions vers un palais fictif Environné de larmes. L'azur se soulevait comme un ballon captif; Les hommes étaient en armes.

LES VISITEURS

Maintenant ils sont là, réunis à mi-pente; Leurs doigts vibrent et s'effleurent dans une douce ellipse. Un peu partout grandit une atmosphère d'attente; Ils sont venus de loin, c'est le jour de l'éclipsé.
Ils sont venus de loin et n'ont presque plus peur; La forêt était froide et pratiquement déserte. Ils se sont reconnus aux signes de couleur; Presque tous sont blessés, leur regard est inerte.
Il règne sur ces monts un calme de sanctuaire; L'azur s'immobilise et tout se met en place. Le premier s'agenouille, son regard est sévère; Ils sont venus de loin pour juger notre race.

Les champs de betteraves…

Les champs de betteraves surmontés de pylônes Luisaient. Nous nous sentions étrangers à nous-mêmes, Sereins. La pluie tombait sans bruit, comme une aumône; Nos souffles retenus formaient d'obscurs emblèmes Dans le ciel du matin.
Un devenir douteux battait dans nos poitrines, Comme une annonciation. La civilisation n'était plus qu'une ruine; Cela, nous le savions.

Nous avions pris la voie rapide…

Nous avions pris la voie rapide. Sur le talus, de grands lézards Glissaient leur absence de regard Sur nos cadavres translucides.
Le réseau des nerfs sensitifs Survit à la mort corporelle. Je crois à la Bonne Nouvelle, Au destin approximatif.
La conscience exacte de Soi Disparaît dans la solitude. Elle vient vers nous, l'infinitude… Nous serons dieux, nous serons rois.

Nous attendions…

Nous attendions, sereins, seuls sur la piste blanche; Un Malien emballait ses modestes affaires Il cherchait un destin très loin de son désert Et moi je n'avais plus de désir de revanche.
L'indifférence des nuages Nous ramène à nos solitudes; Et soudain nous n'avons plus d'âge, Nous prenons de l'altitude.
Lorsque disparaîtront les illusions tactiles Nous serons seuls, ami, et réduits à nous-mêmes. Lors de la transition de nos corps vers l'extrême, Nous vivrons des moments d'épouvante immobile.
La platitude de la mer Dissipe le désir de vivre.