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Trois verres de vin étaient venus à bout de la tristesse de Sally et elle était impatiente de parler de sa profession. Son oncle lui disait souvent qu’elle parlait plus qu’il ne sied à une dame et elle essayait de se surveiller. Mais le vin lui faisant toujours cet effet-là… le vin et la passion des auditeurs. Après des semaines de vacuité mentale, tout cela lui faisait du bien.

« Certes, dit-elle. Jusqu’à ce qu’une forme sociale apparaisse. Il y aurait une sélection naturelle jusqu’à ce que suffisamment d’humains se groupent pour se protéger mutuellement de leur environnement. Mais ça ne durerait pas assez longtemps. Il existe une planète où l’on pratique l’infanticide de façon rituelle. Les aînés examinent chaque nouveau-né et tuent ceux qui ne sont pas conformes à leur idée de la perfection. Ce n’est pas exactement une évolution mais on pourrait peut-être arriver à des résultats en employant ce moyen… mais ça ne peut pas durer suffisamment.

— On élève bien des animaux, fit observer Rod.

— Oui. Mais on n’a jamais créé d’espèce nouvelle. Jamais. D’ailleurs, les sociétés ne peuvent pas appliquer de règle constante pendant assez longtemps pour changer réellement la race humaine. Repassez dans un million d’années… Bien sûr, on a tenté de fabriquer volontairement des surhommes. Comme dans le système Sauron. »

Sinclair grogna. « Ces monstres, jeta-t-il. Ce sont eux qui ont provoqué les guerres de Sécession et qui ont failli tous nous tuer. » Un toussotement de l’enseigne Whitbread l’interrompit.

Sally reprit la balle au bond. « Voilà un autre système stellaire pour lequel je ne peux avoir de la sympathie. Bien qu’il soit aujourd’hui fidèle à l’Empereur… » Elle jeta un regard circulaire. Tout le monde affichait un air bizarre et Sinclair tentait de se cacher derrière un verre de vin. Le visage de l’enseigne Horst Staley semblait sculpté dans un roc. « Que se passe-t-il ? » demanda Sally.

Il y eut un long silence que Whitbread rompit enfin :

« Monsieur Staley est originaire du système Sauron, Madame.

— Je… Je suis désolée, lâcha maladroitement Sally. J’ai vraiment mis les pieds dans le plat. Monsieur Staley, je suis réellement…

— Si mes jeunes gens ne supportent pas ce peu d’adversité, je n’en ai pas besoin à bord, dit Rod. D’ailleurs, vous n’êtes pas la seule à avoir fait une gaffe, ajouta-t-il en regardant Sinclair. Nous ne jugeons pas les hommes sur ce que leurs planètes d’origine ont été, il y a des centaines d’années. »

Mince ! C’est un peu pompeux, pensa Rod qui reprit : « Que disiez-vous à propos de l’évolution ?

— Qu’elle… qu’elle était à peu près terminée pour les espèces intelligentes, dit Sally. Elles évoluent pour affronter leur environnement. Une classe d’êtres doués d’intelligence détourne son milieu à ses propres fins. Dès qu’elle atteint ce stade, elle doit normalement cesser d’évoluer.

— Dommage que nous n’ayons personne à qui nous comparer, dit Bury avec aisance. Nous ne pouvons qu’inventer d’autres races. » Il raconta une longue histoire à propos d’un octopode rencontrant un centaure et tout le monde rit.

« Eh bien, commandant, votre dîner était excellent », conclut-il.

« Oui. » Rod se leva et offrit son bras à Sally. Les autres convives quittèrent précipitamment leurs sièges. Sally resta muette, tandis que Blaine la raccompagnait à sa cabine et elle ne fut que polie quand ils se quittèrent. Rod regagna la passerelle. Il restait certaines réparations à enregistrer dans le cerveau électronique de l’astronef.

4. Priorité N.C.

Les voyages dans l’hyper-espace peuvent être étranges et frustrants.

Il faut un laps de temps trop court pour être mesuré pour aller d’une étoile à l’autre. Mais comme la route, ou rail de transfert, n’existe que le long d’une ligne critique (jamais une droite mais s’en approchant assez pour qu’on puisse la visualiser ainsi) joignant l’astre de départ à celui d’arrivée et que les deux extrémités du rail sont toujours situées loin des zones de distorsion spatiale créées par les étoiles ou par les masses planétaires importantes, il s’ensuit que les astronefs passent le plus clair de leur temps de vol à se traîner d’un point de saut à un autre.

De plus, toutes les étoiles ne sont pas reliées deux à deux par un rail de saut. Ceux-ci n’apparaissent que le long de lignes équipotentielles de flux thermonucléaire. La présence de systèmes stellaires au milieu de ces champs de force peut interdire l’existence des rails. Or on n’a pas découvert tous les chemins manquants. Ils sont difficiles à déceler.

Les passagers du Mac-Arthur trouvèrent que voyager à bord d’un vaisseau de guerre impérial ressemblait à un emprisonnement. L’équipage avait des missions à accomplir et des réparations à mener même en dehors des heures de veille. Les passagers avaient la compagnie les uns des autres et ce que la routine militaire autorisait de vie sociale. Les installations de divertissement que les vaisseaux de ligne possèdent n’existaient pas à bord du Mac-Arthur.

On s’ennuyait. Et, quand le Mac-Arthur fut prêt à effectuer son dernier saut, les passagers envisageaient leur arrivée en Néo-Calédonie comme une libération.

NÉO-CALÉDONIE : système stellaire situé au-delà du Sac à Charbon, dont l’étoile primaire, de type F8, est cataloguée sous le nom de Murcheson A. Son étoile binaire, Murcheson B, ne fait pas partie du système néo-calédonien. Murcheson A possède six satellites en cinq orbites : quatre planètes intérieures, un espace assez important contenant les débris d’un corps céleste non formé et deux planètes externes sur une orbite commune. Les quatre premiers mondes se nomment Conchobar, Néo-Irlande, Néo-Écosse et Fomor dans l’ordre depuis le soleil, connu localement sous le nom de Cal ou Vieux Cal ou le Soleil.

Les deuxième et troisième planètes sont habitées. Elles furent toutes deux terraformées par des scientifiques du Premier Empire après que Jasper Murcheson, qui était parent d’Alexandre IV, eut persuadé le Conseil que le système néo-calédonien serait un endroit convenable où établir une université impériale. On sait aujourd’hui que Murcheson souhaitait au départ disposer d’une planète proche de la super-géante rouge appelée « Œil de Murcheson » et que, n’étant pas satisfait du climat de la Néo-Irlande, il exigea la terraformation de la Néo-Écosse.

Fomor est une planète de taille relativement petite, presque sans atmosphère et sans caractère intéressant. On y trouve néanmoins plusieurs espèces de champignons biologiquement semblables à des mycètes trouvés dans le secteur du Sac à Charbon. Aucune autre forme de vie n’existant en Néo-Calédonie, leur mode d’apparition sur Fomor a été à la source d’une série de controverses sans fin dans le journal de la Société Impériale de Xénobiologie.

Les deux planètes extérieures occupent la même orbite et sont appelées Dagda et Mider, en conformité avec la nomenclature mythologique celte du système stellaire. Dagda est une géante gazeuse.

L’Empire possède une station de ravitaillement en carburant sur chacun des deux satellites naturels de la planète, Angus et Brigit. Il est rappelé aux vaisseaux commerciaux que, Brigit possédant une base de la Flotte, son approche est soumise à une demande d’autorisation.

Mider est une sphère métallique froide dont l’exploitation minière est étendue. Elle pose un problème aux astronomes en ceci que son processus de formation apparaît n’être conforme à aucune des deux principales théories traitant des origines planétaires.