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— Dois-je retirer mes vêtements pour y entrer ? »

Blaine ne put pas rougir : trop peu de sang circulait dans son visage. « C’est une bonne idée. Surtout si vous portez des boucles métalliques. Coupez le circuit vidéo de l’interphone.

— Bien !

— Et faites attention. Je pourrais envoyer un des hommes mariés pour vous aider…

— Non, merci.

— Alors attendez. Nous aurons de temps en temps des périodes de plus faible accélération. Mais surtout ne sortez pas de votre fauteuil toute seule en haute atmosphère ! »

Elle semblait ne pas avoir envie d’essayer. Son expérience lui avait suffi.

« Encore un message du Lermontov, annonça Whitbread.

— Négligez-le. Ne répondez pas.

— À vos ordres, commandant. Pas de réponse. »

Il était facile à Rod d’imaginer ce que voulait le croiseur. Le Lermontov espérait atteindre l’objet non identifié le premier… Mais quand bien même le vaisseau-jumeau du Mac-Arthur aurait pu rejoindre l’intrus, il serait arrivé trop près du soleil pour réussir son interception. Il valait mieux tenter le coup loin dans l’espace, là où il y avait de la place.

C’est du moins ce que Rod se disait. Il pouvait faire confiance à Whitbread et aux hommes du service des communications : les messages du Lermontov ne seraient pas portés sur le registre.

Trois jours et demi. Deux minutes à un g et demi toutes les quatre heures pour changer de quart, attraper les objets que l’on avait oubliés, remuer un peu. Puis les avertisseurs hurlaient, les accéléromètres basculaient et le poids revenait, trop lourd.

La proue du Mac-Arthur resta d’abord à soixante degrés en oblique par rapport à Cal. Il devait s’aligner sur le cap tenu par l’intrus. Ce qui fut fait. Puis il vira de nouveau, nez pointé vers « l’étoile la plus brillante des deux ».

Cal commença à grossir et à changer lentement de couleur. Personne ne se serait rendu compte de ce décalage vers le bleu à l’œil nu. Par contre, ce que les hommes voyaient sur les écrans était que « l’étoile la plus brillante » était devenue un disque et s’élargissait d’heure en heure.

Elle ne devenait pas plus aveuglante parce que les écrans en contrôlaient l’éclat, mais elle se trouvait droit devant et ses dimensions s’accroissaient de façon inquiétante. Derrière le Mac-Arthur se trouvait un autre disque, de la même couleur : du blanc d’une étoile de type F 8. Celui-là aussi s’élargissait rapidement. Le Mac-Arthur était pris en sandwich entre deux soleils fonçant l’un vers l’autre.

Lors du deuxième jour, Staley en siège automobile amena un nouvel enseigne à la passerelle. Rod ne l’avait rencontré qu’au cours d’un bref entretien sur Brigit.

C’était Gavin Potter, un garçon de seize ans, originaire de Néo-Écosse. Potter était grand pour son âge et avait l’air de se recourber sur lui-même comme s’il avait peur qu’on le remarque.

Blaine pensa qu’on faisait simplement visiter le vaisseau à Potter, ce qui était une bonne idée puisque, si l’intrus se montrait hostile, le garçon aurait peut-être à se mouvoir dans les coursives, en pesanteur variable et dans l’obscurité.

Mais Staley avait visiblement plus que cela en tête. Blaine comprit qu’il essayait d’attirer son attention.

« Oui, Staley.

— Voici l’enseigne Gavin Potter, commandant, dit Staley. Il m’a dit une chose que vous devriez, je pense, entendre.

— D’accord, allez-y. » Tout ce qui pourrait faire oublier la haute atmosphère serait bienvenu.

« Il y avait une église dans ma rue, commandant. Dans un bourg fermier de Néo-Écosse. » La voix de Potter était douce et basse et il parlait avec tant d’application qu’il en effaçait l’accent du terroir qui rendait l’expression de Sinclair si caractéristique.

« Une église, l’encouragea Blaine. Pas une église orthodoxe, je pense…

— Non, commandant. Une église du “Culte de Lui” Il n’y a pas beaucoup d’adeptes. Un jour, nous nous y sommes introduits, un ami et moi, pour nous amuser.

— Vous a-t-on surpris ?

— Je sais que je raconte tout cela très mal, commandant. Mais voilà… Il y avait un grand agrandissement d’un vieil hologramme de l’Œil de Murcheson sur fond de Sac à Charbon.

Le Visage de Dieu… comme sur les cartes postales. Mais… mais c’était différent sur cet holo. L’Œil était bien plus brillant qu’aujourd’hui et il était bleu-vert et non rouge. Avec un point cramoisi sur le bord.

— Cela aurait pu être un portrait », suggéra Blaine. Il tira son mini-ordinateur de sa poche, griffonna « Culte de Lui » et demanda des détails.

L’appareil se relia à la bibliothèque de bord et des informations se mirent à défiler sur son écran. « On me dit que le “Culte de Lui” enseigne que le Sac à Charbon avec cet œil rouge est réellement le Visage de Dieu. N’aurait-on pas pu retoucher la photo pour la rendre plus impressionnante ? » Rod continua de paraître intéressé. Il ne serait pas trop tard pour dire quelque chose à propos du temps qu’on lui faisait perdre, quand les enseignes en auraient fini. À condition, bien sûr, qu’ils lui en aient fait perdre.

« Mais…, dit Potter.

— Commandant…, dit Staley en se penchant un peu trop de son fauteuil anti-g.

— Ne parlez pas tous à la fois. Staley ?

— Potter n’est pas le seul à m’avoir dit cela. J’ai vérifié auprès du commandant Sinclair. Il confirme que son grand-père lui a raconté que le Grain fut jadis vert et plus brillant que l’Œil de Murcheson. Or, si l’on repense à la description de l’enseigne Potter… eh bien… les étoiles ne sont pas toujours de la même couleur. Alors…

— Raison de plus pour penser que cet holo avait été trafiqué. Mais c’est drôle quand on songe que ces extra-terrestres viennent directement du Grain…

— À cause de la lumière, dit fermement Potter.

— La voile solaire ! cria Rod qui venait de comprendre. Bien vu ! » Toute la passerelle se tourna vers le capitaine. « Renner ! avez-vous bien dit que le vaisseau avait une vitesse plus importante que celle à laquelle on aurait pu s’attendre ?

— Oui, commandant », répondit Renner de son poste à l’autre extrémité de la pièce. « S’il est parti d’une planète habitable tournant autour du Grain, alors il va trop vite.

— Aurait-il pu utiliser une batterie de canons laser pour se propulser ?

— Bien sûr. Pourquoi pas ? » Renner fit rouler son fauteuil vers eux. « D’ailleurs, on aurait pu utiliser un petit canon pour le faire décoller, puis en ajouter d’autres au fur et à mesure que le vaisseau s’éloignait. On en retirerait un avantage énorme. Si un des “propulseurs” tombait en panne, il serait tout de suite disponible pour réparation.

— Comme si on laissait son moteur au garage, fit Potter, mais qu’on puisse quand même l’utiliser.

— C’est cela. Il y aurait bien sûr des problèmes d’efficacité liés à la largeur du rayon laser, répondit Renner. Et on ne pourrait pas l’utiliser pour freiner. Avez-vous des raisons de croire que… »

Rod les laissa expliquer à l’officier de navigation les variations de brillance du Grain. Lui-même n’en avait que faire. Son problème était : qu’allait faire l’intrus maintenant ?

Il restait vingt heures avant le rendez-vous spatial quand Renner vint vers le poste de Blaine et demanda à utiliser ses écrans. Apparemment, il ne pouvait parler avant qu’un écran soit relié à l’ordinateur. Ses paroles ne suffiraient pas, il lui faudrait un schéma.