Oui, pensait-il, c’était la seule façon. Il avait prononcé le serment en entrant au service de l’Empire. Il fallait que l’humanité soit réunifiée en un seul gouvernement, par la persuasion ou par la force, pour que les centaines d’années de guerres de Sécession ne se reproduisent plus. Chaque officier impérial avait vu les horreurs que ces guerres apportaient ; c’était pour cela que les écoles militaires se trouvaient sur Terre et non sur la Capitale.
En approchant de la ville, il vit les premiers signes de la bataille. Une couronne de terres éventrées, des forteresses périphériques en ruine, les rails de béton du système de transport fracassés, puis, la ville, presque intacte, qui était restée à l’abri du cercle parfait de son champ Langston. La ville avait peu souffert mais, une fois le champ éteint, la résistance avait cessé. Seuls des fanatiques luttaient encore contre les troupes d’élite du corps des Marines impériaux.
Ils passèrent au-dessus des ruines d’une haute construction écrasée par l’impact d’une chaloupe de débarquement. Quelqu’un avait dû tirer sur les Marines et le pilote n’avait pas voulu que sa mort soit inutile…
Ils firent le tour de la ville en ralentissant pour pouvoir approcher les aires d’atterrissage sans briser toutes les fenêtres par le bruit de leurs moteurs. Les immeubles étaient vieux, la plupart construits grâce aux technologies de l’hydrocarbone, imagina Rod, avec des zones entières arrachées et remplacées par des structures plus modernes. Rien ne restait de la cité du Premier Empire qui s’était jadis dressée là.
Quand ils se laissèrent tomber vers le port, en haut du palais du gouvernement, Rod vit que leur décélération avait été inutile. La plupart des vitres de la ville avaient déjà éclaté. La foule envahissait les rues et les seuls véhicules en mouvement faisaient partie de convois militaires. Certaines personnes restaient plantées sans bouger, d’autres entraient et sortaient des magasins, en courant. Les Marines impériaux, en uniforme gris, montaient la garde derrière des barrières de police électrifiées, tout autour du palais. La chaloupe se posa.
Blaine fut envoyé rapidement par l’ascenseur vers l’étage du gouverneur général. Il n’y avait pas une seule femme dans l’immeuble, alors que les bureaux gouvernementaux de l’Empire en étaient d’habitude remplis, et elles manquaient à Rod. Il était dans l’espace depuis longtemps. Il donna son nom au Marine raide comme un piquet qui siégeait derrière le bureau de la réception et attendit.
Il redoutait l’entretien qu’il allait avoir et patienta, le regard fixé sur les murs blancs. Toutes les décorations murales, la carte spatiale en trois dimensions où flottaient les drapeaux impériaux, tout l’équipement classique d’une antichambre de gouverneur général de planète de Classe Un, tout avait disparu, laissant la place à de vilaines traces sur les murs.
Le garde lui fit signe d’entrer. L’amiral Sir Vladimir Richard Georges Plekhanov, vice-amiral de la Flotte Noire, chevalier de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, était assis au bureau du gouverneur général. Il n’y avait pas trace de Son Excellence M. Haruna, et Rod crut d’abord que l’amiral était seul. Puis il remarqua le capitaine de vaisseau Cziller, son supérieur immédiat en tant que commandant du Mac-Arthur, debout près de la fenêtre. Toutes les vitres avaient sauté et il y avait de profondes rayures dans les panneaux muraux. Les vitrines et le mobilier avaient disparu. Même le Grand Sceau – couronne et astronef, aigle, faucille et marteau – manquait au-dessus du bureau en duralplast. Dans les souvenirs de Rod, il n’y avait jamais eu de meubles en duralplast dans le cabinet d’un gouverneur général.
« Capitaine de frégate Blaine, à vos ordres, amiral. »
Plekhanov rendit le salut d’un air absent. Cziller ne se détourna pas de la fenêtre. Rod resta au garde-à-vous tandis que l’amiral le considérait froidement. Finalement : « Bonjour, capitaine.
— Bonjour, amiral.
— Pas si bon que cela. Je pense ne pas vous avoir vu depuis la dernière fois que j’ai rendu visite au manoir de Crucis. Comment va le marquis ?
— Lors de mon dernier passage, il allait bien, amiral. »
L’amiral hocha de la tête et continua de regarder Blaine d’un œil critique. Il n’a pas changé, pensa Rod. Un homme terriblement compétent, qui combattait une tendance à l’embonpoint en prenant de l’exercice sur les mondes à haute gravité. La Flotte envoyait Plekhanov chaque fois qu’on s’attendait à de durs combats. On ne l’avait jamais vu excuser un officier incompétent et il existait une légende de salle de garde qui voulait qu’il ait étendu le prince héritier – aujourd’hui Empereur – en travers d’une table du carré des officiers et qu’il l’ait fessé avec le dos d’une pelle quand son Altesse servait comme enseigne sur Plataea.
« J’ai ici votre rapport, Blaine. Vous avez dû vous battre pour accéder au générateur de champ des rebelles. Vous avez perdu une compagnie de commandos impériaux.
— Oui, amiral. » Des rebelles fanatiques avaient défendu l’installation et la bataille avait été féroce.
« Et que diable faisiez-vous au milieu d’une action à terre ? demanda l’amiral. Cziller vous avait donné ce croiseur capturé pour escorter notre bâtiment d’assaut. Aviez-vous reçu l’ordre de descendre avec les chaloupes ?
— Non, amiral.
— Vous imaginez peut-être que l’aristocratie n’est pas soumise à la discipline militaire ?
— Non, bien sûr, amiral. »
Plekhanov ignora sa réponse. « Et ensuite, il y a ce marché que vous avez conclu avec le chef rebelle. Quel est son nom ? » Plekhanov jeta un coup d’œil à ses papiers. « Stone. Jonas Stone. Son immunité contre sa reddition. La restitution de ses possessions. Bon sang, pensez-vous donc que tous les officiers de la Flotte ont le droit de traiter ainsi avec les rebelles ? Ou bien êtes-vous chargé d’une mission diplomatique dont j’ignorerais l’existence, capitaine ?
— Non, amiral. » Les lèvres de Rod étaient serrées contre ses dents. Il voulait crier, mais ne le fit pas. Au diable la tradition navale, pensa-t-il. J’ai gagné cette satanée guerre.
« Mais vous pouvez vous expliquer ? demanda Plekhanov.
— Oui, amiral.
— Alors ? »
Rod parla, la gorge serrée. « Amiral, alors que je commandais le Défiant, vaisseau pris à l’ennemi, j’ai reçu un message de la cité rebelle. À ce moment précis le champ Langston de la ville était intact, le capitaine de vaisseau Cziller, à bord du Mac-Arthur, était totalement engagé dans l’attaque des satellites de défense planétaire et le gros de la flotte pris dans un affrontement général avec les forces rebelles. Le message était signé par un chef rebelle. Monsieur Stone promettait de capituler à la condition qu’on lui assure une immunité absolue et qu’on lui conserve la propriété de ses biens. Il me laissait une heure et insistait sur la garantie d’un membre de l’aristocratie. Si son offre était honorée, la guerre prendrait fin dès que les commandos auraient occupé le générateur de champ de la ville. La consultation d’une autorité supérieure étant impossible, j’ai pris moi-même la tête de la force de débarquement et j’ai donné à monsieur Stone ma parole d’honneur que les conditions seraient respectées. »