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– Pour les autorités chinoises, elle est coupable. Nous irons plaider sa cause auprès des ambassades et demanderons leur aide, nous ferons tout ce qui est possible. Je vous aiderai autant que je le pourrai.

– Vous croyez vraiment que nos ambassades vont se mouiller et risquer de compromettre leurs intérêts économiques pour la faire libérer ?

Walter retourna à la fenêtre.

– Je crains que ni sa peine ni la vôtre n'émeuvent grand monde. Je redoute qu'il ne faille s'armer de patience et prier pour qu'elle supporte le mieux possible sa sentence. Je suis sincèrement désolé, Adrian, je sais combien cette situation est terrible, mais... qu'est-ce que vous faites avec votre perfusion ?

– Je me tire d'ici. Il faut que j'aille à la prison de Garther, je dois lui faire savoir que je vais me battre pour sa libération.

Walter se précipita sur moi et me tint les deux bras avec une force contre laquelle je ne pouvais pas lutter dans mon état.

– Écoutez-moi bien, Adrian, vous n'aviez plus aucune défense immunitaire en arrivant ici, l'infection gagnait du terrain d'heure en heure, de façon redoutable. Vous avez déliré des jours durant, traversant des épisodes de fièvre qui auraient pu vous tuer plusieurs fois. Les médecins ont dû vous plonger quelque temps dans un coma artificiel, afin de protéger votre cerveau. Je suis resté à votre chevet, alternant les tours de garde avec votre maman et votre délicieuse tante Elena. Votre mère a vieilli de dix ans en dix jours, alors cessez vos gamineries et comportez-vous en adulte !

– C'est bon, Walter, j'ai compris la leçon, vous pouvez me lâcher.

– Je vous préviens que si je vois votre main s'approcher de ce cathéter, vous prenez la mienne dans la figure !

– Je vous promets de ne pas bouger.

– J'aime mieux ça, j'en ai soupé de vos délires ces derniers temps.

– Vous n'avez pas idée de l'étrangeté de mes rêves.

– Croyez-moi, entre le suivi de votre courbe de température et les repas immondes de la cafétéria, j'ai eu le loisir d'écouter pas mal de vos inepties. Seul réconfort dans cet enfer, les gâteaux que m'apportait votre délicieuse tante Elena.

– Excusez-moi, Walter, mais qu'est-ce que c'est que ce nouveau genre avec Elena ?

– Je ne vois pas de quoi vous parlez !

– De ma « délicieuse » tante ?

– J'ai le droit de trouver votre tante délicieuse, non ? Elle a un humour délicieux, sa cuisine est délicieuse, son rire est délicieux, sa conversation est délicieuse, je ne vois pas où est le problème !

– Elle a vingt ans de plus que vous...

– Ah, bravo, belle mentalité, je ne vous savais pas aussi étriqué ! Keira en a dix de moins que vous, mais, dans ce sens-là, ça ne gêne pas ? Sectaire, voilà ce que vous êtes !

– Vous n'êtes pas en train de me dire que vous êtes tombé sous le charme de ma tante ? Et Miss Jenkins dans tout ça ?

– Avec Miss Jenkins, nous en sommes toujours à discuter de nos vétérinaires respectifs, reconnaissez que question sensualité, ce n'est pas le nirvana.

– Parce que, avec ma tante, question sensualité... ? Surtout ne me répondez pas, je ne veux rien savoir !

– Et vous, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! Avec votre tante, nous parlons de tas de choses et nous nous amusons beaucoup. Vous n'allez quand même pas nous reprocher de nous distraire un peu, après tout les tracas que vous nous avez causés. Ce serait un comble, tout de même.

– Faites ce que bon vous semble. De quoi je me mêle, après tout...

– Heureux de vous l'entendre dire.

– Walter, j'ai une promesse à tenir, je ne peux pas rester sans rien faire ; il faut que j'aille chercher Keira en Chine, je dois la ramener dans la vallée de l'Omo, je n'aurais jamais dû l'en éloigner.

– Commencez par vous rétablir et nous verrons ensuite. Vos médecins ne vont plus tarder, je vous laisse vous reposer, je dois aller faire quelques courses.

– Walter ?

– Oui ?

– Qu'est-ce que je disais dans mon délire ?

– Vous avez nommé Keira mille sept cent soixante-trois fois, enfin, ce chiffre reste approximatif, j'ai dû en rater quelques-unes ; en revanche, vous ne m'avez appelé que trois fois, c'est assez vexant. Enfin, vous disiez surtout des choses incohérentes. Entre deux crises de convulsions, il vous arrivait d'ouvrir les yeux, le regard perdu dans le vide, c'était assez terrifiant, et puis vous replongiez dans l'inconscience.

Une infirmière entra dans ma chambre. Walter se sentit soulagé.

– Enfin, vous êtes réveillé, me dit-elle en changeant ma perfusion.

Elle m'enfonça un thermomètre dans la bouche, enroula un tensiomètre autour de mon bras et nota sur une feuille les constantes qu'elle relevait.

– Les médecins passeront vous voir tout à l'heure, dit-elle.

Son visage et sa corpulence me rappelaient vaguement quelqu'un. Quand elle sortit de la pièce en dodelinant du bassin, je crus reconnaître la passagère d'un autocar qui filait sur la route de Garther. Un membre du service d'entretien nettoyait le couloir, il passa devant ma porte et nous adressa un grand sourire, à Walter et à moi. Il portait un pull et une grosse veste en laine et ressemblait comme deux gouttes d'eau au mari d'une restauratrice, rencontrée dans mes délires fiévreux.

– Ai-je eu de la visite ?

– Votre mère, votre tante et moi. Pourquoi cette question ?

– Pour rien. J'ai rêvé de vous.

– Mais quelle horreur ! Je vous ordonne de ne jamais révéler cela !

– Ne soyez pas stupide. Vous étiez en compagnie d'un vieux professeur que j'ai rencontré à Paris, une relation de Keira, je ne sais plus où se trouve la frontière entre rêve et réalité.

– Ne vous inquiétez pas, les choses se remettront petit à petit à leur place, vous verrez. Pour ce vieux professeur, je suis désolé, je n'ai aucune explication. Mais je n'en toucherai pas un mot à votre tante qui pourrait se vexer d'apprendre que vous la voyez en vieillard dans vos songes.

– La fièvre, j'imagine.

– Probablement, mais je ne suis pas certain que cela lui suffise... Maintenant, reposez-vous, nous avons trop parlé. Je reviendrai en début de soirée. Je vais aller téléphoner à notre consulat et les harceler pour Keira, je le fais tous les jours à heure fixe.

– Walter ?

– Quoi encore ?

– Merci.

– Tout de même !

Walter sortit de la chambre, je tentai de me lever. Mes jambes chancelaient, mais en prenant appui, d'abord au dossier du fauteuil près de mon lit, puis à la table roulante, enfin au radiateur, je réussis à rejoindre la fenêtre.

C'est vrai que la vue était belle. L'hôpital, accroché à la colline, surplombait la baie. Au loin, on pouvait apercevoir le Pirée. Je l'avais vu tant de fois depuis mon enfance, ce port, sans jamais vraiment le regarder, le bonheur rend distrait. Aujourd'hui, depuis la fenêtre de la chambre 307, à l'hôpital d'Athènes, je le regarde différemment.

En bas dans la rue, je vois Walter entrer dans une cabine téléphonique. Il doit certainement passer son appel au consulat.

Sous ses airs maladroits, c'est un type formidable, j'ai de la chance de l'avoir comme ami.

*

*     *

Paris, île Saint-Louis

Ivory se leva et décrocha le téléphone.

– Quelles sont les nouvelles ?

– Une bonne et une autre, plus contrariante.

– Alors, commencez par la deuxième.

– C'est bizarre...

– Quoi ?

– Cette manie de choisir toujours la mauvaise nouvelle en premier... Je vais commencer par la bonne, sans elle l'autre n'aurait aucun sens ! La fièvre est tombée ce matin et il a recouvré ses esprits.