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Athènes, le lendemain

Elena et maman avaient passé la matinée à mon chevet ; comme chaque jour depuis mon hospitalisation, elles avaient pris la première navette qui partait d'Hydra à 7 heures. Arrivées au Pirée à 8 heures, elles avaient couru pour attraper l'autobus qui les avait déposées une demi-heure plus tard devant l'hôpital. Après avoir avalé un petit déjeuner à la cafétéria, elles étaient entrées dans ma chambre, chargées de victuailles, de fleurs et de vœux de bon rétablissement que m'adressaient les gens du village. Comme chaque jour, elles repartiraient en fin d'après-midi, reprendraient leur bus et embarqueraient au Pirée à bord de la dernière navette maritime pour rentrer chez elles. Depuis que j'étais tombé malade, Elena n'avait pas ouvert son magasin, maman passait son temps en cuisine et les mets préparés avec autant d'amour que d'espoir venaient améliorer le quotidien des infirmières qui veillaient sur la santé de son fils.

Il était déjà midi et je crois bien que leurs conversations incessantes m'épuisaient encore plus que les séquelles de cette sale pneumonie.

Mais lorsqu'on frappa à la porte, elles se turent toutes les deux. Je n'avais encore jamais assisté à ce phénomène, aussi surprenant que si le chant des cigales s'interrompait au milieu d'une journée ensoleillée. En entrant, Walter remarqua mon air ahuri.

– Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? dit-il.

– Rien, rien du tout.

– Mais si, je le vois bien, vous faites tous une drôle de tête.

– Absolument pas, nous discutions avec ma délicieuse tante Elena et ma mère, quand vous êtes entré, c'est tout.

– De quoi discutiez-vous ?

Ma mère prit aussitôt la parole.

– J'étais en train de dire que cette maladie aurait peut-être des séquelles inattendues.

– Ah oui ? demanda Walter inquiet, qu'ont dit les médecins ?

– Oh, eux, ils ont dit qu'il pourrait sortir la semaine prochaine ; mais ce que dit sa mère, c'est que son fils est devenu un peu crétin, voilà le bilan médical si vous voulez tout savoir. Vous devriez aller prendre un café avec ma sœur, Walter, pendant que je vais dire quelques mots à Adrian.

– J'en serais heureux, mais il faut d'abord que je m'entretienne avec lui, n'en prenez pas ombrage, mais je dois lui parler d'homme à homme.

– Alors puisque les femmes ne sont plus les bienvenues, dit Elena en se levant, sortons !

Elle entraîna ma mère, nous laissant seuls, Walter et moi.

– J'ai d'excellentes nouvelles, dit-il en s'asseyant sur le bord de mon lit.

– Commencez quand même par la mauvaise.

– Il nous faut un passeport dans les six jours et il est impossible de l'obtenir en l'absence de Keira !

– Je ne comprends pas de quoi vous me parlez.

– Je m'en doutais bien, mais vous m'avez demandé de commencer par la mauvaise, ce pessimisme systématique est agaçant à la fin. Bon, écoutez-moi, car quand je vous dis que j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer, c'en est une. Vous avais-je dit que j'avais quelques relations bien placées au conseil d'administration de notre Académie ?

Walter m'expliqua que notre Académie avait entrepris des programmes de recherches et d'échanges avec certaines grandes universités chinoises. Je l'ignorais. Il m'apprit aussi que de voyage en voyage, certains liens avaient fini par se nouer à différents échelons de la hiérarchie diplomatique. Walter me confia avoir réussi, grâce à ses relations, à mettre en route une mécanique silencieuse, dont les rouages n'avaient cessé de tourner... D'une étudiante chinoise achevant son doctorat à l'Académie et dont le père était un juge ayant les faveurs du pouvoir, à quelques diplomates travaillant au service des visas délivrés par Sa Majesté, en passant par la Turquie, où un consul ayant mené une grande partie de sa carrière à Pékin y connaissait encore quelques hauts dignitaires, les rouages continuèrent de cliqueter, de pays en pays, de continent en continent, jusqu'à ce qu'un ultime déclic se produise dans la province du Sichuan. Les autorités locales, devenues bienveillantes, s'interrogeaient depuis peu, se demandant si l'avocat qui avait défendu une jeune Occidentale n'aurait pas manqué de vocabulaire au moment des entretiens préalables à son procès. Quelques problèmes d'interprétation avec sa cliente pouvaient expliquer qu'il ait omis de dire au juge chargé de l'affaire que la ressortissante étrangère condamnée pour défaut de papiers avait, en fait, un passeport en bonne et due forme. La bonne volonté étant de rigueur et le magistrat promu, Keira serait graciée sous réserve que l'on présentât rapidement cette nouvelle preuve à la cour de Chengdu. Il n'y aurait plus qu'à aller la chercher pour la reconduire au-dehors des frontières de la république populaire.

– Vous êtes sérieux ? demandai-je en me levant d'un bond et en prenant Walter dans mes bras.

– J'ai l'air de plaisanter ? Vous auriez pu avoir la courtoisie de remarquer que pour ne pas faire durer votre supplice plus longtemps, je n'ai même pas pris le temps de respirer !

J'étais si heureux que je l'entraînai dans une valse folle. Nous dansions encore au milieu de ma chambre d'hôpital quand ma mère entra. Elle nous regarda tous les deux et referma la porte.

On l'entendit soupirer longuement dans le couloir et ma tante Elena lui dire : « Tu ne vas pas recommencer ! »

La tête me tournait un peu et je dus regagner mon lit.

– Quand, quand sera-t-elle libre ?

– Ah, vous avez donc oublié l'autre petite nouvelle que vous aviez pourtant choisi d'entendre en premier. Je vais donc vous la répéter. Le magistrat chinois accepte de libérer Keira si nous présentons son passeport dans les six jours. Ce précieux sésame reposant au fond d'une rivière, il nous en faudrait un tout neuf. En l'absence de l'intéressée, et dans des délais aussi courts, cela relève de l'impossible. Vous comprenez mieux notre problème maintenant ?

– Six jours, c'est tout ce dont nous disposons ?

– Comptez-en un pour atteindre la cour de justice de Chengdu, cela ne nous en laisse plus que cinq pour faire fabriquer un nouveau passeport. À moins d'un miracle je ne vois pas comment nous pouvons faire.

– Ce passeport, est-ce qu'il faut absolument qu'il soit neuf ?

– Au cas où votre infection pulmonaire aurait aussi contaminé votre cerveau, je vous ferai remarquer que je ne porte pas un képi de douanier sur la tête ! J'imagine que du moment que c'est un document en cours de validité, cela doit faire l'affaire, pourquoi ?

– Parce que Keira jouit d'une double nationalité, française et anglaise. Et mon cerveau étant intact, merci de vous en être soucié, je me souviens très bien que nous sommes entrés en Chine avec son passeport britannique, c'est sur ce dernier qu'étaient apposés nos visas, c'est moi qui suis allé les rechercher à l'agence. Elle l'avait toujours sur elle. Quand nous avons trouvé le micro, nous avions retourné son sac et son passeport français n'y était pas, j'en suis certain.

– Heureuse nouvelle, mais où se trouve-t-il ? Sans vouloir jouer les rabat-joie, nous avons vraiment très peu de temps pour mettre la main dessus.

– Aucune idée...

– Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous voilà beaucoup plus avancés. Je vais passer un ou deux appels avant de revenir vous voir. Votre tante et votre mère attendent dehors et je ne voudrais pas que nous passions pour des mufles.

Walter sortit de ma chambre, maman et tante Elena entrèrent aussitôt. Ma mère s'installa dans le fauteuil, elle alluma la télévision accrochée au mur en face de mon lit et ne m'adressa pas la parole, ce qui fit sourire Elena.

– Il est charmant ce Walter, n'est-ce pas ? dit ma tante en prenant place au bout de mon lit.

Je lui adressai un regard appuyé. Devant maman, le le moment n'était peut-être pas le plus propice pour parler de cela.