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Dans le hall de son immeuble, elle frappa à la porte de la loge et supplia la concierge de venir lui donner un coup de main. Mme Hereira n'avait jamais vu Jeanne dans un tel état. L'ascenseur était retenu par des livreurs au troisième étage, elles grimpèrent l'escalier quatre à quatre. Lorsqu'elles furent arrivées dans l'appartement, Jeanne ordonna à Mme Hereira de fouiller le salon et la cuisine, pendant qu'elle s'occupait des chambres. Il ne fallait rien laisser au hasard, ouvrir tous les placards, vider les tiroirs, retrouver le passeport de Keira, où qu'il soit.

En une heure, elles avaient mis l'appartement à sac. Aucun cambrioleur n'aurait su créer un tel désordre. Les livres de la bibliothèque jonchaient le sol, les vêtements étaient éparpillés d'une pièce à l'autre, elles avaient retourné les fauteuils, même le lit était défait. Jeanne commençait à perdre espoir quand elle entendit Mme Hereira hurler depuis l'entrée. Elle s'y précipita. La console qui faisait office de bureau était sens dessus dessous, mais la concierge agitait victorieusement le petit livret à couverture bordeaux. Jeanne la serra dans ses bras et l'embrassa sur les deux joues.

Walter était rentré à son hôtel quand Jeanne me rappela, j'étais seul dans ma chambre. Nous sommes restés longtemps au téléphone ; je la fis parler de Keira, j'avais besoin qu'elle comble son absence en me livrant quelques souvenirs de leur enfance. Jeanne se prêta de bonne grâce à mon exigence, je crois qu'elle lui manquait autant qu'à moi. Elle me promit de m'envoyer le passeport par courrier express. Je lui dictai mon adresse, à l'hôpital d'Athènes, elle finit alors par me demander comment j'allais.

Le surlendemain, la visite des médecins dura plus longtemps que d'ordinaire. Le chef du service de pneumologie s'interrogeait encore sur mon cas. Personne ne s'expliquait comment une infection pulmonaire si virulente avait pu se déclarer sans aucun signe avant-coureur. Il est vrai que j'étais en parfaite santé en montant à bord de l'avion. Le médecin m'assura que si cette hôtesse de l'air n'avait pas eu la présence d'esprit d'alerter le commandant de bord et si ce dernier n'avait pas rebroussé chemin, je serais probablement mort avant d'atteindre Pékin. Son équipe n'y comprenait rien, il ne s'agissait pas d'un virus et, de toute sa carrière, il n'avait rien vu de pareil. L'essentiel, dit-il en haussant les épaules, était que j'avais bien réagi aux traitements. Nous n'étions pas passés loin du pire, mais j'étais tiré d'affaire. Quelques jours de convalescence et je pourrais bientôt reprendre une vie normale. Le chef de service me promit de me libérer sous huitaine. Il quittait tout juste ma chambre quand le passeport de Keira arriva. Je décachetai l'enveloppe qui contenait le précieux sauf-conduit et trouvai un petit mot de Jeanne.

« Ramenez-la au plus vite, je compte sur vous, elle est mon unique famille. »

Je repliai la note et ouvris le passeport. Keira paraissait un peu plus jeune sur cette photo d'identité. Je décidai de m'habiller.

Walter entra dans la chambre et me surprit en caleçon et chemise, il me demanda ce que j'étais en train de faire.

– Je pars la chercher et n'essayez pas de m'en dissuader, ce serait peine perdue.

Non seulement il n'essaya pas, mais au contraire il m'aida à m'évader. Il s'était suffisamment plaint que l'hôpital soit désert à l'heure où Athènes faisait la sieste pour ne pas en tirer profit maintenant que la situation était à notre avantage. Il fit le guet dans le couloir pendant que je regroupais mes effets et il m'escorta jusqu'aux ascenseurs, veillant à ce qu'en route nous ne croisions aucun membre du service hospitalier.

En passant devant la chambre voisine, nous rencontrâmes une petite fille qui se tenait debout, toute seule, sur le pas de la porte. Elle portait un pyjama tacheté de coccinelles et adressa un petit signe de la main à Walter.

– Tu es là, coquine, dit-il en s'approchant d'elle. Ta maman n'est pas encore arrivée ?

Walter se retourna vers moi et je compris qu'il connaissait bien ma voisine de chambre.

– Elle est venue vous rendre des petites visites, me dit-il en jetant de grands clins d'œil complices à l'enfant.

À mon tour je m'agenouillai pour lui dire bonjour. Elle me regarda, l'air malicieux, et éclata de rire. Elle avait les joues rouges comme des pommes.

Nous arrivions au rez-de-chaussée, tout se déroulait pour le mieux. Nous avions bien croisé un brancardier dans l'ascenseur, mais celui-ci ne nous avait prêté aucune attention particulière. Lorsque les portes de la cabine s'ouvrirent sur le hall de l'hôpital, nous tombâmes sur ma mère et tante Elena. Et là ce fut une autre affaire, notre tentative d'évasion vira au cauchemar. Maman commença par hurler en me demandant ce que je faisais debout. Je la pris par le bras et la suppliai de me suivre dehors sans faire d'esclandre. Je lui aurais demandé de danser le sirtaki au milieu de la cafétéria que j'aurais eu plus de chances de la convaincre.

– Les médecins l'ont autorisé à faire une petite promenade, dit Walter, voulant rassurer ma mère.

– Et pour une petite promenade, il se balade avec son sac de voyage ? Vous voulez peut-être aussi me trouver un lit en gériatrie, pendant que vous y êtes, tempêta-t-elle.

Elle se retourna vers deux ambulanciers qui passaient par là et je devinai aussitôt ses intentions : me faire ramener dans ma chambre, de force s'il le fallait.

Je regardai Walter, cela suffit pour que nous nous comprenions. Maman se mit à vociférer, nous nous lançâmes dans un sprint vers les portes du hall et réussîmes à les franchir avant que la sécurité ait réagi aux injonctions de ma mère, qui exigeait à cor et à cri que l'on me rattrape.

Je n'étais pas au mieux de ma forme. Au coin de la rue, je sentis ma poitrine me brûler et fus saisi d'une violente quinte de toux. Je peinais à respirer, mon cœur battait à tout rompre et je dus m'arrêter pour reprendre mon souffle. Walter se retourna et vit deux agents de sécurité courir dans notre direction. Sa présence d'esprit releva du génie. Il se précipita vers les gardiens en claudiquant et déclara, l'air contrit, qu'il venait d'être violemment bousculé par deux types qui avaient détalé dans la rue adjacente. Pendant que les vigiles s'y précipitaient, Walter héla un taxi et me fit signe de le rejoindre.

Il ne dit pas un mot du trajet, je m'inquiétai de le voir soudainement silencieux, sans comprendre ce qui le plongeait dans cet état.

Sa chambre d'hôtel devint notre quartier général, nous y préparerions mon voyage. Le lit était assez grand pour que nous le partagions. Walter avait installé un polochon dans le sens de la longueur, pour délimiter nos territoires. Pendant que je me reposais, il passait ses journées au téléphone ; de temps à autre, il sortait, s'aérer, disait-il. C'était à peu près les seuls mots qu'il daignait prononcer, il m'adressait à peine la parole.

Je ne sais par quel prodige, mais il obtint de l'ambassade de Chine qu'on me délivre un visa sous quarante-huit heures. Je le remerciai cent fois. Depuis notre évasion de l'hôpital, il n'était plus le même.

Un soir, alors que nous dînions dans la chambre, Walter avait allumé la télévision, se refusant toujours à converser avec moi, j'attrapai la télécommande et éteignis le poste.

– Qu'est-ce que vous avez à me faire la tête ?

Walter m'arracha la télécommande des mains et ralluma l'écran.

Je me levai, ôtai la fiche de courant de la prise murale et me plantai face à lui.