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– Alors voilà ma théorie, cher magistère, reprit Keira. Un premier fragment est réapparu dans un volcan au milieu d'un lac à la frontière entre l'Éthiopie et le Kenya. Nous en avons trouvé un autre, également dans un volcan, cette fois sur l'île de Narcondam dans l'archipel d'Andaman. Ce qui nous en fait un au sud et un à l'est. Chacun des deux se trouvait à quelques centaines de kilomètres de la source ou de l'estuaire de fleuves majeurs. Le Nil et le Nil Bleu pour l'un, l'Irrawaddy et le Yang Tsé pour l'autre.

– Et donc ? interrompit Max.

– Acceptons que pour une raison que je ne peux encore expliquer, cet objet ait bien été volontairement dissocié en quatre ou cinq morceaux, chacun déposé en un point de la planète. L'un est retrouvé à l'est, l'autre au sud, le troisième, qui fut en fait le premier à avoir été découvert il y a vingt ou trente ans ...

– Où est-il ?

– Je n'en sais rien. Cesse de m'interrompre tout le temps Max, c'est agaçant. Je serais prête à parier que les deux objets restants se trouvent au nord pour l'un, à l'ouest pour l'autre.

– Je ne voudrais surtout pas t'agacer, je sens que je t'énerve assez comme ça, mais le nord et l'ouest, c'est assez vaste...

– Bon, si c'est pour que tu te moques de moi, je préfère rentrer.

Keira se leva d'un bond et se dirigea pour la seconde fois vers la porte du bureau de Max.

– Arrête, Keira ! Cesse de te comporter en petit chef, toi aussi tu es agaçante, bon sang. C'est un monologue ou une conversation ? Allez, poursuis ton raisonnement, je ne t'interromprai plus.

Keira retourna s'asseoir à côté de Max. Elle prit une feuille de papier et dessina un planisphère en y représentant grossièrement les grandes masses continentales.

– Nous connaissons les grandes routes empruntées au cours des premières migrations qui peuplèrent la planète. Partant depuis l'Afrique, une première colonie traça une voie vers l'Europe, une deuxième alla vers l'Asie, poursuivit Keira en dessinant une grande flèche sur la feuille de papier, et se scinda à la verticale de la mer d'Andaman. Certains continuèrent vers l'Inde, traversèrent la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam, l'Indonésie, les Philippines, la Nouvelle-Guinée et la Papouasie, et arrivèrent jusqu'en Australie ; d'autres, dit-elle en dessinant une nouvelle flèche, filèrent vers le nord, traversant la Mongolie et la Russie, remontant la rivière Yana vers le détroit de Béring. En pleine période glaciaire, cette troisième colonie contourna le Groenland, longea les côtes glacées pour arriver, il y a quinze à vingt mille ans, sur les côtes comprises entre l'Alaska et la mer de Beaufort. Puis ce fut la descente du continent nord-américain jusqu'au Monte Verde où la quatrième colonie arriva il y a douze à quinze mille ans d'aujourd'hui1. Ce sont peut-être ces mêmes routes qu'ont reprises ceux qui transportèrent les fragments, il y a quatre mille ans. Une tribu de messagers partit vers Andaman qui termina son périple sur l'île de Narcondam, une autre s'en alla vers la source du Nil, jusqu'à la frontière entre le Kenya et l'Éthiopie.

– Tu en conclus que deux autres de ces « peuples messagers » auraient gagné l'ouest et le nord, pour aller acheminer les autres fragments ?

– Le texte dit : J'ai confié aux magistères des colonies les parties qu'elle conjugue. Chaque groupe de messagers, puisqu'un tel voyage ne pouvait être accompli sur une seule génération, est allé porter un morceau semblable à mon pendentif aux magistères des premières colonies.

– Ton hypothèse se tient, ce qui ne veut pas dire qu'elle est juste. Souviens-toi de ce que je t'ai appris à la faculté, ce n'est pas parce qu'une théorie semble logique qu'elle est pour autant avérée.

– Et tu m'as dit aussi que ce n'est pas parce que l'on n'a pas trouvé quelque chose que cette chose n'existe pas !

– Qu'est-ce que tu attends de moi, Keira ?

– Que tu me dises ce que tu ferais à ma place, répondit-elle.

– Je ne posséderai jamais la femme que tu es devenue, mais je vois que je garderai toujours une part de l'élève que tu as été. C'est déjà ça.

Max se leva et se mit à son tour à arpenter son bureau.

– Tu m'emmerdes avec tes questions, Keira, je ne sais pas ce que je ferais à ta place ; si j'avais été doué pour ce genre de devinettes j'aurais abandonné les salles poussiéreuses de l'université pour exercer mon métier, au lieu de l'enseigner.

– Tu avais peur des serpents, tu détestais les insectes et tu redoutais le manque de confort, cela n'a rien à voir avec ta capacité de raisonnement, Max, tu étais juste un peu trop embourgeoisé, ce n'est pas une tare.

– Apparemment, pour te plaire, si !

– Arrête avec ça et réponds-moi ! Qu'est-ce que tu ferais à ma place ?

– Tu m'as parlé d'un troisième fragment découvert il y a trente ans, je commencerais par essayer de savoir où il a été trouvé exactement. Si c'est dans un volcan à quelques dizaines ou centaines de kilomètres d'une grande rivière, à l'ouest ou au nord, alors ce serait là une information qui viendrait étayer ton raisonnement. Si, au contraire, il a été découvert en pleine Beauce ou au milieu d'un champ de patates dans la campagne anglaise, ton hypothèse est à mettre à la poubelle et tu peux tout recommencer à zéro. Voilà ce que je ferais avant de repartir je ne sais où. Keira, tu cherches un caillou planqué quelque part sur la planète, c'est utopique !

– Parce que passer sa vie au milieu d'une vallée aride pour retrouver des ossements vieux de centaines de milliers d'années, sans rien d'autre que son intuition, ce n'est pas une utopie ? Chercher une pyramide enfouie sous le sable au milieu d'un désert n'est pas aussi une utopie ? Notre métier n'est qu'une gigantesque utopie, Max, mais c'est pour chacun de nous un rêve de découvertes que nous essayons tous de transformer en réalité !

– Ce n'est pas la peine de te mettre dans cet état. Tu m'as demandé ce que je ferais à ta place, je t'ai répondu. Cherche où ce troisième fragment a été mis au jour et tu sauras si tu es sur la bonne voie.

– Et si c'est le cas ?

– Reviens me voir et nous réfléchirons ensemble à la route que tu dois emprunter pour poursuivre ton rêve. Maintenant, il faut que je te dise quelque chose qui va peut-être encore t'agacer.

– Quoi ?

– Tu ne vois pas le temps passer en ma compagnie, et je m'en réjouis, mais il est 21 h 30, j'ai très faim, je t'emmène dîner ?

Keira regarda sa montre et bondit.

– Jeanne, Adrian, merde !

Il était presque 10 heures du soir quand Keira sonna à la porte de l'appartement de sa sœur.

– Tu n'as pas l'intention de manger ? questionna Jeanne en lui ouvrant.

– Adrian est là ? demanda Keira en regardant par-dessus l'épaule de sa sœur.

– À moins qu'il ait le don de se téléporter, je ne vois pas comment il serait arrivé jusqu'ici.

– Je lui avais donné rendez-vous...

– Et tu lui avais communiqué le code de l'immeuble ?

– Il n'a pas appelé ?

– Tu lui as donné le numéro de la maison ?

Keira resta muette.

– Dans ce cas, il a peut-être laissé un message à mon bureau, mais j'en suis partie assez tôt pour te préparer un repas que tu trouveras... dans la poubelle. Trop cuit, tu ne m'en voudras pas !

– Mais où est Adrian ?

– Je le croyais avec toi, je pensais que vous aviez décidé de passer la soirée en amoureux.

– Mais non, j'étais avec Max...

– De mieux en mieux, et je peux savoir pourquoi ?

– Pour nos recherches Jeanne, ne commence pas. Mais comment je vais le retrouver ?

– Appelle-le !

Keira se précipita sur le téléphone et tomba sur ma messagerie vocale. J'avais quand même un minimum d'amour-propre ! Elle me laissa un long message... « Je suis désolée, je n'ai pas vu le temps passer, je suis impardonnable mais c'était passionnant, j'ai des choses formidables à te raconter, où es-tu ? Je sais qu'il est 10 heures passées mais rappelle-moi, rappelle-moi, rappelle-moi ! » Puis un deuxième où cette fois elle me communiqua le numéro de sa sœur à son domicile. Un troisième où elle s'inquiétait vraiment de ne pas avoir de mes nouvelles. Un quatrième où elle s'énervait un peu. Un cinquième où elle m'accusait d'avoir mauvais caractère. Un sixième vers 3 heures du matin, et un dernier où elle raccrocha sans un mot.