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J'avais dormi dans un petit hôtel de l'île Saint-Louis. Aussitôt mon petit déjeuner avalé, je me fis déposer en taxi en bas de chez Jeanne. Le code était toujours en fonction, j'avisai un banc sur le trottoir d'en face, m'y installai et lus mon journal.

Jeanne sortit de son immeuble peu de temps après. Elle me reconnut et se dirigea vers moi.

– Keira s'est fait un sang d'encre !

– Eh bien nous étions deux !

– Je suis désolée, dit Jeanne, moi aussi je suis furieuse contre elle.

– Je ne suis pas furieux, répliquai-je aussitôt.

– Vous êtes bien bête !

Sur ce, Jeanne me salua et fit quelques pas avant de revenir vers moi.

– Son entrevue d'hier soir avec Max était strictement professionnelle, mais je ne vous ai rien dit !

– Auriez-vous la gentillesse de me donner le code de votre porte cochère ?

Jeanne le griffonna sur un papier et partit travailler.

Je suis resté sur ce banc à lire mon journal jusqu'à la dernière page ; puis je me suis rendu dans une petite boulangerie au coin de la rue où j'ai acheté quelques viennoiseries.

Keira m'ouvrit la porte, les yeux encore embués de sommeil.

– Mais où étais-tu ? demanda-t-elle en se frottant les paupières. J'étais morte d'inquiétude !

– Croissant ? Pain au chocolat ? Les deux ?

– Adrian...

– Prends ton petit déjeuner et habille-toi, il y a un Eurostar qui part vers midi, nous pouvons encore l'attraper.

– Je dois d'abord aller voir Ivory, c'est très important.

– En fait, il y a un Eurostar toutes les heures, alors... allons voir Ivory.

Keira nous fit du café et me raconta l'exposé qu'elle avait fait à Max. Pendant qu'elle m'expliquait sa théorie, je repensais à cette petite phrase de l'antiquaire au sujet des sphères armillaires. Je ne savais pas pourquoi mais j'aurais voulu appeler Erwan pour lui en parler. Ma distraction passagère n'échappa pas à Keira qui me rappela à l'ordre.

– Tu veux que je t'accompagne voir ce vieux professeur ? dis-je en me raccrochant au fil de sa conversation.

– Tu peux me dire où tu as passé la nuit ?

– Non, enfin je pourrais, mais je ne te le dirai pas, répondis-je avec un grand sourire aux lèvres.

– Ça m'est complètement égal.

– Alors n'en parlons plus... Et cet Ivory, c'est là que nous en étions, n'est-ce pas ?

– Il n'est pas revenu au musée, mais Jeanne m'a donné le numéro de son domicile. Je vais l'appeler.

Keira se dirigea vers la chambre de sa sœur, où se trouvait le téléphone ; elle se retourna vers moi.

– Tu as dormi où ?

Ivory avait accepté de nous recevoir chez lui. Il habitait un appartement élégant sur l'île Saint-Louis... à deux pas de mon hôtel. Lorsqu'il nous ouvrit sa porte, je reconnus l'homme qui, la veille, était descendu d'un taxi alors que je feuilletais mon livre à la terrasse d'un bistrot. Il nous fit entrer dans son salon et nous proposa thé et café.

– C'est un plaisir de vous revoir tous les deux, que puis-je faire pour vous ?

Keira alla droit au but, elle lui demanda s'il savait où avait été découvert le fragment dont il lui avait parlé au musée.

– Si vous me disiez d'abord pourquoi cela vous intéresse ?

– Je pense avoir progressé sur l'interprétation du texte en langage guèze.

– Voilà qui m'intrigue au plus haut point, qu'avez-vous appris ?

Keira lui expliqua sa théorie sur les peuples des Hypogées. Au IVe ou Ve millénaire avant notre ère, des hommes avaient trouvé l'objet dans sa forme intacte et l'avaient dissocié. Selon le manuscrit, des groupes s'étaient constitués pour aller en porter les différents morceaux aux quatre coins du monde.

– C'est une merveilleuse hypothèse, s'exclama Ivory, peut-être pas dénuée de sens. À cela près que vous n'avez aucune idée de ce qui aurait pu motiver ces voyages, aussi périlleux qu'improbables.

– J'ai ma petite idée, répondit Keira.

En s'appuyant sur ce qu'elle avait appris de Max, elle suggéra que chaque morceau témoignait d'une connaissance, d'un savoir qui se devait d'être révélé.

– Là, je ne suis pas d'accord avec vous, je pencherais même plutôt pour le contraire, rétorqua Ivory. La fin du texte laisse toutes les raisons de penser qu'il s'agissait d'un secret à garder. Lisez vous-même. Que restent celées les ombres de l'infinité.

Et tandis qu'Ivory débattait avec Keira, les « ombres de l'infinité » me firent repenser à mon antiquaire du Marais.

– Ce n'est pas tant ce que nous montrent les sphères armillaires qui est intrigant, mais plutôt ce qu'elles ne nous montrent pas et que nous devinons pourtant, murmurai-je.

– Pardon ? demanda Ivory en se tournant vers moi.

– Le vide et le temps, lui dis-je.

– Qu'est-ce que tu racontes ? demanda Keira.

– Rien, une idée sans rapport avec votre conversation, mais qui me traversait l'esprit.

– Et où pensez-vous trouver les morceaux manquants ? reprit Ivory.

– Ceux que nous avons en notre possession ont été découverts dans le cratère d'un volcan, à quelques dizaines de kilomètres d'un fleuve majeur. L'un à l'est, l'autre au sud, je pressens que les autres sont cachés dans des endroits similaires à l'ouest et au nord.

– Vous avez ces deux fragments sur vous ? insista Ivory dont l'œil pétillait.

Keira et moi échangeâmes un regard en coin, elle ôta son pendentif, je sortis celui que je gardais précieusement dans la poche intérieure de ma veste, nous les déposâmes sur la table basse. Keira les assembla et ils reprirent cette couleur bleu vif qui nous surprenait toujours autant ; mais, cette fois, je notai que le scintillement était moins éclatant, comme si les objets perdaient de leur rayonnement.

– C'est stupéfiant ! s'exclama Ivory, plus encore que tout ce que j'avais imaginé.

– Qu'est-ce que vous aviez imaginé ? demanda Keira, intriguée.

– Rien, rien de particulier, bafouilla Ivory, mais reconnaissez que ce phénomène est étonnant, surtout quand on connaît l'âge de cet objet.

– Maintenant, vous voulez bien nous dire à quel endroit fut découvert le vôtre ?

– Ce n'est pas le mien, hélas. Il fut trouvé il y a trente ans dans les Andes péruviennes, mais malheureusement pour votre théorie, ce n'était pas dans le cratère d'un volcan.

– Où alors ? demanda Keira.

– À environ cent cinquante kilomètres au nord-est du lac Titicaca.

– Dans quelles circonstances ? demandai-je.

– Une mission menée par une équipe de géologues hollandais ; ils remontaient vers la source du fleuve Amazone. L'objet fut repéré à cause de sa forme singulière, dans une grotte où les scientifiques s'étaient protégés du mauvais temps. Il n'aurait pas attiré plus d'attention que cela, si le chef de cette mission n'avait été témoin du même phénomène que vous. Au cours de cette nuit d'orage, les éclairs de la foudre provoquèrent la fameuse projection de points lumineux sur l'une des parois de sa tente. L'événement le marqua d'autant plus qu'il se rendit compte au lever du jour que la toile était devenue perméable à la lumière. Des milliers de petits trous s'y étaient formés. Les orages étant fréquents dans cette région, notre explorateur reproduisit l'expérience plusieurs fois et en déduisit qu'il ne pouvait s'agir d'un simple caillou. Il rapporta le fragment et le fit étudier de plus près.