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– À quelle heure part cet avion ? demanda Keira à Ivory.

– Nous n'irons pas là-bas ! insistai-je.

– Une promesse est une promesse, si tu espérais que j'avais oublié celle-là, tu t'es trompé. Allez, dépêchons-nous !

Une demi-heure plus tard, Ivory nous fit sortir par les cuisines de l'hôtel.

– Ne traînez pas à l'aéroport, aussitôt le contrôle des passeports franchi, promenez-vous dans les boutiques, séparément. Je ne pense pas que Wim soit assez intelligent pour deviner le tour que nous lui jouons, mais on ne sait jamais. Et promettez-moi de me donner de vos nouvelles aussitôt que possible.

Ivory me remit une enveloppe et me fit jurer de ne pas l'ouvrir avant le décollage ; il nous adressa un petit geste amical alors que le taxi s'éloignait.

L'embarquement à l'aéroport de Schiphol se déroula sans encombre. Nous n'avions pas suivi les conseils d'Ivory et nous étions installés à la table d'une cafétéria pour passer un moment en tête à tête. J'avais profité de ce moment pour informer Keira de ma petite conversation avec le professeur Ubach. Au moment de notre départ, je lui avais demandé une dernière faveur : en échange de la promesse de l'informer de l'avancement de nos recherches, il avait accepté de garder le plus grand silence jusqu'à ce que nous publiions un rapport sur nos travaux. Il conserverait les enregistrements effectués dans son laboratoire et en adresserait une copie sur disque à Walter. Avant que nous nous envolions, j'avais prévenu ce dernier de garder sous clé un colis expédié d'Amsterdam, qu'il recevrait sous peu, et de ne surtout pas l'ouvrir avant notre retour d'Éthiopie. J'avais ajouté que, s'il nous arrivait quelque chose, il aurait carte blanche et pourrait en disposer à sa guise. Walter avait refusé d'entendre mes dernières recommandations, il était hors de question qu'il nous arrive quoi que ce soit, avait-il dit en me raccrochant au nez.

Durant le vol, Keira fut prise d'un remords, elle n'avait pas donné de ses nouvelles à sa sœur ; je lui promis que nous l'appellerions ensemble dès que nous serions posés.

*

*     *

Addis-Abeba

L'aéroport d'Addis-Abeba fourmillait de monde. Une fois les formalités de douane passées, je cherchai la guérite de la petite compagnie privée dont j'avais déjà utilisé les services. Un pilote accepta de nous conduire à Jinka moyennant six cents dollars. Keira me regarda, effarée.

– C'est une folie, allons-y par la route, tu es fauché, Adrian.

– Alors qu'il expirait son dernier souffle dans la chambre d'un hôtel parisien, Oscar Wilde a déclaré : « Je meurs au-dessus de mes moyens. » Puisque nous allons au-devant des pires emmerdements, laisse-moi être aussi digne que lui !

Je sortis de ma poche une enveloppe qui contenait une petite liasse de billets verts.

– D'où vient cet argent ? demanda Keira.

– Un cadeau d'Ivory, il m'a remis cette enveloppe juste avant que nous le quittions.

– Et tu l'as acceptée ?

– Il m'avait fait promettre de ne la décacheter qu'après avoir décollé ; à dix mille mètres d'altitude, je n'allais pas la jeter par la fenêtre...

Nous quittâmes Addis-Abeba, à bord d'un Piper. L'appareil ne volait pas très haut. Le pilote nous signala un troupeau d'éléphants qui migraient vers le nord, un peu plus loin des girafes gambadaient au milieu d'une vaste prairie. Une heure plus tard l'avion amorça sa descente. La courte piste du terrain de Jinka apparut devant nous. Les roues sortirent de la carlingue et rebondirent sur le sol, l'avion s'immobilisa et fit demi-tour en bout de piste. À travers le hublot j'aperçus une ribambelle de gamins se précipiter vers nous. Assis sur un vieux fût, un jeune garçon, plus âgé que les autres, regardait l'appareil rouler vers la case en paille qui faisait office de terminal aéroportuaire.

– J'ai l'impression de reconnaître ce petit bonhomme, dis-je à Keira en le désignant du doigt. C'est lui qui m'a aidé à te retrouver le jour où je suis venu te chercher ici.

Keira se pencha vers le hublot. En un instant, je vis ses yeux s'emplir de larmes.

– Moi, je suis certaine de le reconnaître, dit-elle.

Le pilote coupa les hélices. Keira descendit la première. Elle se fraya un chemin à travers la nuée d'enfants qui criaient et sautillaient autour d'elle, l'empêchant d'avancer. Le jeune garçon abandonna son tonneau et s'en alla.

– Harry ! hurla Keira, Harry, c'est moi.

Harry se retourna et se figea. Keira se précipita vers lui, passa la main dans sa chevelure ébouriffée, et le serra contre elle.

– Tu vois, dit-elle en sanglotant, j'ai tenu ma promesse.

Harry leva la tête.

– Tu en as mis du temps !

– J'ai fait de mon mieux, répondit-elle, mais je suis là maintenant.

– Tes amis ont tout reconstruit, c'est encore plus grand qu'avant la tempête, tu vas rester cette fois ?

– Je ne sais pas, Harry, je n'en sais rien.

– Alors tu repars quand ?

– Je viens juste d'arriver et tu veux déjà que je m'en aille ?

Le jeune garçon se libéra de l'étreinte de Keira et s'éloigna. J'hésitai un instant, courus derrière lui et le rattrapai.

– Écoute-moi, bonhomme, il ne s'est pas passé un jour sans qu'elle parle de toi, pas une nuit elle ne s'est endormie sans penser à toi, tu ne crois pas que cela mériterait que tu l'accueilles plus gentiment ?

– Elle est avec toi maintenant, alors pourquoi elle est revenue ? Pour moi ou pour fouiller encore dans la terre ? Rentrez chez vous, j'ai des choses à faire.

– Harry, tu peux refuser de le croire mais Keira t'aime, c'est comme ça. Elle t'aime, si tu savais à quel point tu lui as manqué. Ne lui tourne pas le dos. Je te le demande, d'homme à homme, ne la repousse pas.

– Laisse-le tranquille, murmura Keira en nous rejoignant ; fais ce que tu veux, Harry, je comprends. Que tu m'en veuilles ou non ne changera rien à l'amour que je te porte.

Keira ramassa son sac et avança vers la case en paille, sans se retourner. Harry hésita un instant et se précipita au-devant d'elle.

– Tu vas où ?

– Je n'en sais rien, mon vieux, je dois essayer de rejoindre Éric et les autres, j'ai besoin de leur aide.

Le jeune garçon enfonça ses mains dans ses poches et donna un coup de pied dans un caillou.

– Ouais, je vois, dit-il.

– Qu'est-ce que tu vois ?

– Que tu ne peux pas te passer de moi.

– Ça, mon grand, je le sais depuis le jour où je t'ai rencontré.

– Tu veux que je t'aide à aller là-bas, c'est ça ?

Keira s'agenouilla et le regarda droit dans les yeux.

– Je voudrais d'abord que nous fassions la paix, dit-elle en lui ouvrant les bras.

Harry hésita un instant et tendit la main, mais Keira cacha la sienne dans son dos.

– Non, je veux que tu m'embrasses.

– Je suis trop vieux pour ça maintenant, dit-il sur un ton très sérieux.

– Oui, mais pas moi. Tu vas me prendre dans tes bras, oui ou non ?

– Je vais réfléchir. En attendant, suis-moi, il faut que vous dormiez quelque part, et puis demain, je te donnerai ma réponse.

– D'accord, dit Keira.

Harry me lança un regard de défi, et ouvrit la marche. Nous prîmes nos sacs et le suivîmes sur le chemin qui menait au village.

Un homme en maillot de corps effiloché se tenait devant son cabanon, il se souvenait de moi et me fit de grands signes.

– Je ne te savais pas si populaire dans le coin, me dit Keira en se moquant de moi.

– C'est peut-être parce que la première fois que je suis venu, je me suis présenté comme l'un de tes amis...