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– J'en suis ravi pour vous, dis-je, mais en quoi cela nous concerne ?

– Adrian a raison, intervint Walter, je ne vois toujours pas où est le problème.

– Le problème, messieurs, reprit sèchement Poincarno, c'est que l'ADN que vous m'avez demandé d'étudier serait trois fois plus ancien, c'est en tout cas ce que nous indique la spectroscopie. Il aurait même quatre cents millions d'années !

– Mais c'est une découverte fantastique, dis-je, plein d'enthousiasme.

– C'est aussi ce que nous pensions en début d'après-midi, même si certains de mes confrères que j'avais aussitôt appelés étaient dubitatifs. Les mitochondries que vous voyez sur cette troisième image sont dans un état si parfait que cela a suscité quelques interrogations. Mais soit, admettons que cette résine particulière, que nous n'avons toujours pas pu identifier, les ait protégées durant tout ce temps, ce dont je doute fort. Maintenant, regardez bien cette diapositive, c'est un grossissement au microscope électronique de la précédente photographie. Approchez-vous du mur, je vous en prie, je voudrais que ne ratiez ce spectacle sous aucun prétexte.

Keira, Walter et moi nous rapprochâmes, comme nous l'avait demandé Poincarno.

– Alors, que voyez-vous ?

– C'est un chromosome X, le premier homme était une femme ! annonça Keira visiblement bouleversée.

– Oui, de toute évidence, le squelette que vous avez trouvé est bien celui d'une femme et non d'un homme ; mais ne croyez pas que je sois en colère à cause de cela, je ne suis pas misogyne.

– Je ne comprends toujours pas, me chuchota Keira, c'est fantastique, te rends-tu compte, Ève est née avant Adam, dit-elle en souriant.

– L'ego des hommes va en prendre un sacré coup, ajoutai-je.

– Vous avez raison de faire de l'humour, reprit Poincarno, et il y a encore plus drôle ! Regardez de plus près et dites-moi ce que vous observez.

– Je n'ai pas envie de jouer aux devinettes, docteur, cette découverte est bouleversante, elle est pour moi l'aboutissement d'une décennie de travail et de sacrifices, alors dites-nous ce qui vous fâche, nous gagnerions tous du temps et j'ai cru comprendre que le vôtre était précieux.

– Mademoiselle, votre découverte serait extraordinaire si l'évolution acceptait le principe d'un retour en arrière, mais, vous le savez aussi bien que moi, la nature veut que nous progressions... et ne régressions pas. Or ces chromosomes que nous voyons ici sont bien plus élaborés que les vôtres et les miens !

– Et que les miens aussi ? demanda Walter.

– Plus évolués que ceux de tous les humains vivants aujourd'hui.

– Ah ! qu'est-ce qui vous fait dire cela ? poursuivit Walter.

– Cette petite partie ici, que nous appelons un allèle, des gènes localisés sur chaque membre d'une paire de chromosomes homologues. Ceux-ci ont été génétiquement modifiés, et je doute qu'une telle chose fût envisageable il y a quatre cents millions d'années. Si vous m'expliquiez maintenant la façon dont vous avez procédé pour mettre au point cette farce, à moins que vous ne préfériez que j'en réfère directement au conseil d'administration de l'Académie ?

Abasourdie, Keira s'assit sur une chaise.

– Dans quel but ces chromosomes ont-ils été modifiés ? demandai-je.

– La manipulation génétique n'est pas le sujet du jour, mais je vais répondre à votre question. Nous expérimentons ce genre d'intervention sur les chromosomes aux fins de prévenir les maladies héréditaires ou certains cancers, de provoquer des mutations et de nous permettre de faire face à des conditions de vie qui évoluent plus vite que nous. Intervenir sur les gènes c'est en quelque sorte rectifier l'algorithme de la vie, réparer certains désordres, dont ceux que nous provoquons ; bref, les intérêts médicaux sont infinis, mais ce n'est pas ce qui nous préoccupe ce soir. Cette femme que vous avez découverte dans votre vallée de l'Omo ne peut à la fois appartenir à un lointain passé et contenir dans son ADN les traces du futur. Maintenant dites-moi pourquoi une telle supercherie ? Vous rêviez tous deux au Nobel et espériez ma caution en me bernant de façon si grossière ?

– Il n'y a aucune supercherie, protesta Keira. Je comprends vos suspicions, mais nous n'avons rien inventé, je vous le jure. Cette bille que vous avez analysée, nous l'avons sortie de terre avant-hier et, croyez-moi, l'état de fossilisation des ossements qui l'accompagnaient ne pouvait être contrefait. Si vous saviez ce qu'il nous en a coûté de trouver ce squelette, vous ne douteriez pas une seconde de notre sincérité.

– Vous rendez-vous compte de ce que cela impliquerait si je vous croyais ? questionna le docteur.

Poincarno avait changé de ton et semblait soudainement disposé à nous écouter. Il se rassit derrière son bureau et ralluma la lumière.

– Cela signifie, répondit Keira, qu'Ève est née avant Adam et surtout que la mère de l'humanité est bien plus vieille que nous ne l'imaginions tous.

– Non, mademoiselle, pas seulement cela. Si ces mitochondries que j'ai étudiées sont réellement âgées de quatre cents millions d'années, cela présuppose bien d'autres choses que votre complice astrophysicien vous a certainement déjà expliquées, car j'imagine qu'avant de venir ici vous aviez rodé votre numéro à la perfection.

– Nous n'avons rien fait de tel, dis-je en me levant. Et de quelle théorie parlez-vous ?

– Allons, ne me prenez pas pour plus ignorant que je ne le suis. Les études que nous faisons dans nos métiers respectifs se rejoignent parfois, vous le savez très bien. De nombreux scientifiques s'accordent sur le fait que l'origine de la vie sur la Terre pourrait être le fruit de bombardements de météorites, n'est-ce pas, monsieur l'astrophysicien ? Et cette théorie s'est trouvée renforcée depuis que des traces de glycine ont été découvertes dans la queue d'une comète, vous n'êtes pas sans le savoir ?

– On a trouvé une plante dans la queue d'une comète ? demanda Walter effaré.

– Non, pas cette glycine-là, Walter, la glycine est le plus simple des acides aminés, une molécule essentielle à l'apparition de la vie. La sonde Stardust en a prélevé dans la queue de la comète Wild 2 alors qu'elle passait à trois cent quatre-ving-dix millions de kilomètres de la Terre. Les protéines qui forment l'intégralité des organes, cellules et enzymes des organismes vivants sont formées de chaînes d'acides aminés.

– Et au grand bonheur des astrophysiciens, cette découverte est venue renforcer l'idée que la vie sur la Terre pouvait avoir trouvé son origine dans l'espace où elle serait plus répandue que l'on veut bien l'entendre, je n'exagère rien en disant cela ? reprit Poincarno en me coupant la parole. Mais de là à vouloir nous faire croire par de sinistres manipulations que la Terre ait été peuplée par des êtres aussi complexes que nous, cela relève de la folie.

– Qu'est-ce que vous suggérez ? demanda Keira.

– Je vous l'ai déjà dit, votre Ève ne peut appartenir au passé et être porteuse de cellules génétiquement modifiées, sauf si vous voulez nous faire avaler que le premier des humains, la première en l'occurrence, serait arrivé dans la vallée de l'Omo en provenance d'une autre planète !

– Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, intervint Walter, mais si vous aviez raconté à mon arrière-grand-mère que l'on voyagerait de Londres à Singapour en quelques heures, volant à dix mille mètres d'altitude dans une boîte de conserve qui pèse cinq cent soixante tonnes, elle vous aurait dénoncé illico au médecin de son village et vous auriez été bon pour l'asile en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! Je ne vous parle là ni de vols supersoniques, ni de se poser sur la Lune, et encore moins de cette sonde qui a su repêcher vos acides aminés dans la queue d'une comète à trois cent quatre-vingt-dix millions de kilomètres de la Terre ! Pourquoi faut-il toujours que les plus savants d'entre nous manquent autant d'imagination ?