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Walter s'était mis en colère, il arpentait la pièce de long en large, personne à ce moment n'aurait risqué de l'interrompre. Il s'arrêta net et pointa un doigt rageur vers Poincarno.

– Vous, les scientifiques, passez votre temps à vous tromper. Vous reconsidérez en permanence les erreurs de vos pairs, quand ce ne sont pas les vôtres, et ne me dites pas le contraire, j'ai perdu mes cheveux à tenter d'équilibrer des budgets pour que vous ayez l'argent nécessaire à tout réinventer. Et pourtant, chaque fois qu'une idée novatrice se présente, c'est la même litanie : impossible, impossible et impossible ! C'est tout de même incroyable ! Parce que modifier des chromosomes était envisageable il y a cent ans ? Aurait-on accordé le moindre crédit à vos recherches ne serait-ce qu'au début du XX e siècle ? Pas mes administrateurs en tout cas... Vous seriez tout bonnement passé pour un illuminé et rien d'autre. Monsieur le docteur en génie génétique, je connais Adrian depuis des mois, et je vous interdis, vous m'entendez, de le soupçonner de la moindre forfaiture. Cet homme assis devant vous est d'une honnêteté... qui frise parfois la bêtise !

Poincarno nous regarda tour à tour.

– Vous êtes passé à côté de votre carrière, monsieur le gestionnaire de l'Académie des sciences, vous auriez dû être avocat ! Très bien, je ne dirai rien à votre conseil d'administration, nous allons poursuivre plus avant nos études sur ce sang. Je confirmerai ce que nous aurons découvert et strictement cela. Mon rapport fera mention des anomalies et incohérences que nous aurons révélées et se gardera bien d'émettre la moindre hypothèse, d'appuyer la moindre théorie. Il vous appartient de publier ce que bon vous semble, mais vous en assumerez seuls l'entière responsabilité. Si je lis dans la rédaction de vos travaux la moindre ligne me mettant en cause ou me prenant à témoin, je vous assignerai aussitôt, est-ce clair ?

– Je ne vous ai rien demandé de tel, répondit Keira. Si vous acceptez de certifier l'âge de ces cellules, d'attester scientifiquement qu'elles sont vieilles de quatre cents millions d'années, ce sera déjà une contribution énorme. Rassurez-vous, il est bien trop tôt pour que nous pensions à publier quoi que ce soit, et sachez que nous sommes, tout autant que vous, stupéfaits de ce que vous nous avez appris et encore incapables d'en tirer des conclusions.

Poincarno nous raccompagna jusqu'à la porte du laboratoire et promit de nous recontacter d'ici quelques jours.

Il pleuvait sur Londres ce soir-là, nous nous retrouvâmes, Walter, Keira et moi sur le trottoir détrempé d'Hammersmith Grove. Il faisait nuit et froid, nous étions tous épuisés par cette journée. Walter nous proposa d'aller dîner dans un pub voisin, il était difficile de le laisser seul.

Assis à une table près de la baie vitrée, il nous posa cent questions sur notre voyage en Éthiopie et Keira le lui raconta dans les moindres détails. Walter, captivé, sursauta quand elle lui fit le récit de la découverte du squelette. Face à un si bon public, elle ne ménageait pas ses effets, mon camarade frissonna plusieurs fois. Il y avait un côté grand enfant chez lui qu'elle appréciait beaucoup. De les regarder rire ainsi tous les deux me fit oublier tous les désagréments que nous avions vécus ces derniers mois.

Je demandai à Walter ce qu'il avait voulu dire tout à l'heure à Poincarno, la phrase exacte, si je m'en souvenais bien, était : « Adrian est d'une honnêteté qui frise parfois la bêtise... »

– Que vous alliez encore payer l'addition ce soir ! répondit-il en commandant une mousse au chocolat. Et ne montez pas sur vos grands chevaux, c'était un effet de manches, pour la bonne cause.

Je priai Keira de me remettre son pendentif, sortis les deux autres fragments de ma poche et les confiai à Walter.

– Pourquoi me donnez-vous cela ? Ils vous appartiennent, me dit-il, gêné.

– Parce que je suis d'une honnêteté qui frise parfois la bêtise, lui répondis-je. Si nos travaux aboutissent à une publication majeure, elle sera pour ma part faite au nom de l'Académie à laquelle j'appartiens, et je tiens à ce que vous y soyez associé. Cela vous permettra peut-être enfin de faire réparer cette toiture au-dessus de votre bureau. En attendant, gardez-les en lieu sûr.

Walter les rangea dans sa poche, je vis dans son regard qu'il était ému.

De cette incroyable aventure étaient nés un amour que je ne soupçonnais pas et une vraie amitié. Après avoir passé la plus grande partie de mon existence exilé dans les contrées les plus reculées du monde, à scruter l'Univers à la recherche d'une lointaine étoile, j'écoutais, dans un vieux pub d'Hammersmith, la femme que j'aime converser et rire avec mon meilleur ami. Ce soir-là, je réalisai que ces deux êtres, si près de moi, avaient changé ma vie.

Chacun de nous a en lui un peu de Robinson avec un nouveau monde à découvrir et, finalement, un Vendredi à rencontrer.

Le pub fermait, nous partîmes les derniers. Un taxi passait par là, nous le laissâmes à Walter, Keira avait envie de faire quelques pas.

L'enseigne s'éteignit derrière nous. Hammersmith Grove était silencieuse, plus un chat à l'horizon dans cette impasse. La gare du même nom était à quelques rues d'ici, nous trouverions certainement un taxi aux alentours.

Le moteur d'une camionnette vint briser le silence, le véhicule sortit de sa place de stationnement. Lorsqu'il arriva à notre hauteur, la portière latérale s'ouvrit et quatre hommes encagoulés en surgirent. Ni Keira ni moi n'eûmes le temps de comprendre ce qui nous arrivait. On nous empoigna violemment, Keira poussa un cri, mais il était déjà trop tard, nous fûmes projetés à l'intérieur du van alors que celui-ci redémarrait à toute vitesse.

Nous avions eu beau nous débattre – j'avais réussi à renverser l'un de mes assaillants, Keira avait presque crevé l'œil de celui qui tentait de la maintenir plaquée au sol –, nous fûmes ligotés et bâillonnés. On nous banda les yeux et fit inhaler un gaz soporifique. Ce fut, pour nous deux, le dernier souvenir d'une soirée qui avait pourtant bien commencé.

*

*     *

Lieu inconnu

Lorsque je repris conscience, Keira était penchée au-dessus de moi. Son sourire était pâle.

– Où sommes-nous ? lui demandai-je.

– Je n'en ai pas la moindre idée, me répondit-elle.

Je regardai tout autour, quatre murs bétonnés, sans aucune ouverture hormis une porte blindée. Un néon au plafond diffusait une lumière blafarde.

– Qu'est-ce qui s'est passé ? questionna Keira.

– Nous n'avons pas écouté les recommandations d'Ivory.

– Nous avons dû dormir un long moment.

– Qu'est-ce qui te laisse croire ça ?

– Ta barbe, Adrian. Tu étais rasé de près quand nous avons dîné avec Walter.

– Tu as raison, nous devons être là depuis longtemps, j'ai faim et soif.

– Moi aussi, je suis assoiffée, répondit Keira.

Elle se leva et alla tambouriner à la porte.

– Donnez-nous au moins à boire ! cria-t-elle.

Nous n'entendîmes aucun bruit.

– Ne t'épuise pas. Ils viendront bien à un moment donné.

– Ou pas !

– Ne dis pas de bêtises, ils ne vont pas nous laisser crever de soif et de faim dans ce cachot.

– Je ne voudrais pas t'inquiéter, mais je n'ai pas eu l'impression que les balles qui nous visaient dans le Transsibérien étaient en caoutchouc. Mais pourquoi, pourquoi nous en veut-on à ce point ? gémit-elle en s'asseyant par terre.