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Il y a toujours quelqu'un pour dire:

– Moi, ce que j'aime dans le Tour, c'est les paysages!

De fait, on traverse une France surchauffée, festive, dont le peuple s'égrène au fil des plaines, des villes et des cols. L'osmose entre les hommes et le décor se fait dans une ferveur bon enfant, quelquefois débordée par des hurluberlus surexcités. Mais sur fond de Galibier pierreux, de Tourmalet brumeux, un peu de paillardise franchouillarde ne fait que souligner la dimension mythique des héros.

Moins décisives, les étapes de plat sont tout aussi suivies. Le sentiment de voir passer le Tour y est plus ramassé, plus compact, et donne son prix au déploiement de la caravane publicitaire. Peu importent les bouleversements au classement général. C'est l'idée qui compte: communier un instant avec toute la France du soleil et des moissons. Sur l'écran du téléviseur, les étés se ressemblent, et les attaques les plus vives ont goût de menthe à l'eau.

Un banana-split

On n'en prend jamais. C'est trop monstrueux, presque fade à force d'opulence sucreuse. Mais voilà. On a trop fait ces derniers temps dans le camaïeu raffiné, l'amertume ton sur ton. On a poussé jusqu'à l'île flottante le léger vaporeux, l'insaisissable, et jusqu'à la coupelle aux quatre fruits rouges la luxuriance estivale mesurée. Alors, pour une fois, on ne saute pas sur le menu la ligne réservée au banana-split.

– Et pour vous?

– Un banana-split.

C'est assez difficile à commander, cette montagne de bonheur simple. Le garçon l'enregistre avec une objectivité déférente, mais on se sent quand même un peu penaud. Il y a quelque chose d'enfantin dans ce désir total, que ne vient cautionner aucune morale diététique, aucune réticence esthétique. Banana-split, c'est la gourmandise provocante et puérile, l'appétit brut. Quand on vous l'apporte, les clients des tables voisines lorgnent l'assiette avec un œil goguenard. Car c'est servi sur assiette, le banana-split, ou dans une vaste barquette à peine plus discrète. Partout, dans la salle, ce ne sont que coupes minces pour cigognes, gâteaux étroits dont l'intensité chocolatée se recueille dans une étique soucoupe. Mais le banana-split s'étale: c'est un plaisir à ras de terre. Un vague empilement de la banane sur les boules de vanille et de chocolat n'empêche pas la surface, exacerbée par une dose généreuse de chantilly ringarde. Des milliers de gens sur terre meurent de faim. Cette pensée est recevable à la rigueur devant un pavé au chocolat amer. Mais comment l'affronter face au banana-split? La merveille étalée sous le nez, on n'a plus vraiment faim. Heureusement, le remords s'installe. C'est lui qui vous permettra d'aller au bout de toute cette douceur languissante. Une perversité salubre vient à la rescousse de l'appétit flageolant. Comme on volait enfant des confitures dans l'armoire, on dérobe au monde adulte un plaisir indécent, réprouvé par le code – jusqu'à l'ultime cuillerée, c'est un péché.