Non, le loukoum désirable, c'est le loukoum de la rue. On l'aperçoit dans la vitrine: une pyramide modeste mais qui fait vrai, entre les boîtes de henné, les pâtisseries tunisiennes vert amande, rosé bonbon, jaune d'or. La boutique est étroite, et pleine à craquer du sol au plafond. On entre là avec une timidité condescendante, un sourire trop courtois pour être honnête, déstabilisé par cet univers où les rôles ne sont pas distribués avec évidence. Ce jeune garçon aux cheveux crépus est-il vendeur, ou copain du fils du patron? Il y a quelques années, on avait toujours droit à un Berbère à petit béret bleu, on se lançait en confiance. Mais maintenant, il faut se risquer à l'aveuglette, au risque de passer pour ce qu'on est – un béotien gourmand désemparé. On ne saura pas si le jeune homme est vraiment vendeur, mais en tout cas il vend, et cette incertitude prolongée vous met un peu plus mal à l'aise. Six loukoums? À la rose? Tous à la rose, si vous voulez. Devant cette obligeance prodiguée avec une désinvolture que l'on craint légèrement moqueuse, la confusion grandit. Mais déjà le «vendeur» a rangé vos loukoums à la rose dans un sac en papier. On jette un œil émerveillé sur la cale au trésor, carénée de pois chiches et de bouteilles de Sidi Brahim, où même le rouge des boîtes de coca empilées a pris un petit air kabyle. On paie sans triomphalisme, on part presque comme un voleur, le sachet à la main. Mais là, sur le trottoir, quelques mètres plus loin, on a soudain sa récompense. Le loukoum de l'Arabe est juste à déguster comme ça, sur le trottoir, en douce, dans la fraîcheur du soir – tant pis pour la poudre qui s'éparpille sur les manches.
Le dimanche soir
Le dimanche soir! On ne met pas la table, on ne fait pas un vrai dîner. Chacun va tour à tour piocher au hasard de la cuisine un casse-croûte encore endimanché – très bon le poulet froid dans un sandwich à la moutarde, très bon le petit verre de bordeaux bu sur le pouce, pour finir la bouteille. Les amis sont partis sur le coup de six heures. Il reste une longue lisière. On fait couler un bain. Un vrai bain de dimanche soir, avec beaucoup de mousse bleue, beaucoup de temps pour se laisser flotter entre deux riens ouatés, brumeux. Le miroir de la salle de bains devient opaque, et les pensées se ramollissent. Surtout ne pas penser à la semaine qui s'achève, encore moins à celle qui va commencer. Se laisser fasciner par ces petites vagues au bout des doigts fripés par la mouillure chaude. Et puis, quand tout est vide, s'extirper enfin. Prendre un bouquin? Oui, tout à l'heure. À présent, une émission télévisée fera l'affaire. La plus idiote conviendra. Ah – regarder pour regarder, sans alibi, sans désir, sans excuse! C'est comme l'eau du bain: une hébétude qui vous engourdit d'un bien-être palpable. On se croit tout confortable jusqu'à la nuit, en pantoufles dans sa tête. Et c'est là qu'elle vient, la petite mélancolie. Le téléviseur peu à peu devient insupportable, et on l'éteint. On se retrouve ailleurs, parfois jusqu'à l'enfance, avec de vagues souvenirs de promenades à pas comptés, sur fond d'inquiétudes scolaires et d'amours inventées. On se sent traversé. C'est fort comme une pluie d'été, ce petit vague à l'âme qui s'invite, ce petit mal et bien qui revient, familier – c'est le dimanche soir. Tous les dimanches soir sont là, dans cette fausse bulle où rien n'est arrêté. Dans l'eau du bain les photos se révèlent.