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Le trottoir roulant de la station Montparnasse

Du temps perdu, du temps gagné? En tout cas, c'est une longue parenthèse, ce trottoir qui défile, infiniment rectiligne, silencieux. À l'origine, il y a presque un aveu: on ne peut imposer un couloir aussi long, un transit aussi colossal. Les esclaves du stress urbain ont droit à quelque rémission. À condition toutefois de rester dans le courant, de convertir en accélération objective cet allégement nuageux dans leur parcours du combattant.

Il est immense, le trottoir roulant de la station Montparnasse. On s'y engage avec la même appréhension que sur les escalators des magasins. Mais ici, pas de marches dépliées comme des mâchoires d'alligator. Tout se fait dans l'horizontalité. Du coup, on éprouve le même type de vertige que lorsqu'on descend un escalier dans le noir, et que l'on croit à une dernière marche alors qu'il n'y en a plus.

Une fois embarqué sur cette eau vive, tout bascule. Est-ce le déroulement du trottoir qui contraint à une certaine raideur, ou bien compense-t-on par une réaction d'amour-propre ce soudain laisser-aller, ce laisser-faire? On voit bien devant soi quelques inconditionnels de la précipitation qui multiplient la vitesse du trottoir par de longues enjambées. Mais c'est bien meilleur de demeurer guetteur, la main posée sur la rampe noire.

En sens inverse glissent vers vous des silhouettes hiératiques, et c'est de part et d'autre le même regard faussement absent. Étrange façon de se croiser, proches et inaccessibles, dans cette fuite accélérée qui joue la nonchalance. Destins happés une seconde, visages presque abstraits, planant sur fond d'espace gris. Plus loin, le couloir réservé aux marcheurs impénitents, dédaigneux des facilités du trottoir mécanique. Ils vont très vite, soucieux de démontrer l'inanité des concessions à la paresse. On les ignore: leur désir de donner mauvaise conscience a quelque chose d'un peu fruste et ridicule. Il faut s'en tenir au charme accaparant du trottoir roulant. C'est une fièvre sage, au long du rail mélancolique. Dans l'immobilité fuyante, on est un personnage de Magritte, une enveloppe de banalité urbaine croisant des doubles évanescents sur un ruban d'infini plat.

Le cinéma

Ce n'est pas vraiment une sortie, le cinéma. On est à peine avec les autres. Ce qui compte, c'est cette espèce de flottement ouaté que l'on éprouve en entrant dans la salle. Le film n'est pas commencé; une lumière d'aquarium tamise les conversations feutrées. Tout est bombé, velouté, assourdi. La moquette sous les pieds, on dévale avec une fausse aisance vers un rang de fauteuils vide. On ne peut pas dire qu'on s'assoie, ni même qu'on se carre dans son siège. Il faut apprivoiser ce volume rebondi, mi-compact, mi-moelleux. On se love à petits coups voluptueux. En même temps, le parallélisme, l'orientation vers l'écran mêlent l'adhésion collective au plaisir égoïste.