Dans les films, les journaux sont souvent symbolisés par la frénésie des rotatives, les cris surexcités des vendeurs dans la rue. Mais le journal que l'on découvre au petit matin dans sa boîte aux lettres n'a pas la même fièvre. Il dit les nouvelles d'hier: ce faux présent semble venir d'une nuit de sommeil. Et puis les rubriques sages comptent davantage que le sensationnel. On lit la météo, et c'est d'une abstraction très douce: au lieu de guetter au-dehors les signes évidents de la journée, on les infuse du dedans, dans l'amertume sucrée du café. La page des sports, surtout, est immuable et rassurante: les défaites y sont toujours suivies d'espoirs de revanche, les échéances se renouvellent avant que les tristesses ne soient consommées… Il ne se passe rien, dans le journal du petit déjeuner, et c'est pour ça que l’on s'y précipite. On y allonge la saveur du café chaud, du pain grillé. On y lit que le monde se ressemble, et que le jour n'est pas pressé de commencer.
Un roman d’Agatha Christie
Est-ce qu'il y a vraiment tant d'atmosphères dans les romans d'Agatha Christie? Peut-être qu'on se les invente – simplement parce qu'on se dit: c'est un roman d'Agatha Christie. Oui, la pluie sur la pelouse au-delà des bow-windows, le chintz à ramages vert canard des doubles rideaux, ces fauteuils aux courbes si moelleuses déferlant jusqu'au sol, où sont-ils? Où sont ces scènes de chasse rouge fuchsia s'arrondissant sur le service à thé, ces rigidités bleuâtres des cendriers en wedgwood?
Il suffit qu'Hercule Poirot fasse fonctionner ses petites cellules et tire sur les pointes de ses moustaches: on voit l'orange clair du thé, on sent le parfum mauve et fade de la vieille Mrs. Atkins.
Il y a des meurtres, et cependant tout est si calme. Les parapluies s'égouttent dans l'entrée, une servante au teint laiteux s'éloigne sur le parquet blond frotté à la cire d'abeille. Personne ne joue plus sur le vieux piano droit, et il semble pourtant qu'une romance aigrelette déroule ses émois faciles sur les porte-photos, les japonaiseries de porcelaine. Plus que la violence du meurtre, on le sait bien, c'est l'intrigue qui compte, la découverte du coupable. Mais à quoi bon rivaliser avec les cellules de Poirot, la maîtrise d'Agatha? Elle vous surprendra toujours à la dernière page, c'est son droit.
Alors, dans cet espace familier entre le crime et le coupable, on se construit un univers douillet. Ces cottages anglais ont tout de l'auberge espagnole: on y apporte des rumeurs cuivrées de la gare Victoria, des ennuis balnéaires à coups d'ombrelle au long de l'estacade de Brighton – et jusqu'aux lugubres couloirs de David Copperfield.