La soif étanchée, le choix s'alentit. Une odeur de laine tiède, de gabardine mouillée monte dans l'espace étroit. Mais c'est du sol surtout que monte une sensation particulière: une espèce de tangage infime, de roulis. On avait oublié l'équilibre des pneus, le fondement mobile de ce temple familial. Ce mal de mer au chaud des livres, c'est la province en creux d'hiver. Prochain passage du bibliobus: jeudi 15 janvier, de 10 heures à 12 heures, Place de l'Église, de 16 heures à 18 heures, Place de la Poste.
Frous-frous sous les cornières
Dans la vitrine se déploient des caracos fleuris, des soutiens-gorge balconnets, des culottes échancrées dans des tons de fraîcheur, de pois de senteur mauves et bleus, quelques photos de modèles alanguis arborent des ensembles noirs plus sulfureux. Les allusions démoniaques de ces dessous soyeux sont-elles vraiment démenties par le sourire franc des cover-girls qui vous regardent en face, sans arrière-pensée apparente? Sans doute est-ce au contraire le comble de la perversité. On entre là avec un alibi des plus humbles, des plus honnêtes:
– Tu passeras me prendre des boutons-pression chez Mme Rosières?
Mme Rosières! Oui, la tenancière de cet émoustillant comptoir d'ambiguïtés officielles affiche un nom de pruderie fanée. Quant aux panoplies lucifériennes, on a du mal à croire qu'elles puissent être vendues par une Mme Rosières, quelque part dans l'ombre des cornières.
Dehors il faisait lourd, d'une chaleur orageuse dont la touffeur vous avait suivi à la Maison de la Presse, et même dans la luxueuse pharmacie voisine. Mais chez Mme Rosières, il fait bon, il fait crème – la couleur de tous ces minuscules tiroirs qui s'empilent jusqu'au plafond. La boutique est un long couloir; au fond se dresse le comptoir. Dans le renfoncement qui lui succède, deux petites vieilles sont assises, l'une vêtue de satinette fermière, un chapeau de paille rubané sur les genoux, l'autre en tablier bleu, très écolière d'autrefois. La satinette est de passage et de conversation, Mme Rosières est l'écolière. Elle se lève, et s'approche avec un empressement flatteur – mais bientôt on comprend qu'elle n'est pas fâchée d'avoir interrompu ainsi le babillage envahissant de sa compagne. Très momentanément. Malgré votre présence, la satinette lancera sans écho mais sans renoncement des phrases régulières: