L'autoroute la nuit
La voiture est étrange: à la fois comme une petite maison familière et comme un vaisseau sidéral. À portée de la main, des bonbons menthe-réglisse. Mais sur le tableau de bord, ces pôles phosphorescents vert électrique, bleu froid, orange pâle. On n'a même pas besoin de la radio – tout à l'heure, peut-être, à minuit, pour les informations. C'est bon de se laisser gagner par cet espace. Bien sûr, tout semble docile, tout obéit: le levier de vitesses, le volant, un coup d'essuie-glace, une pression légère sur le lève-vitre. Mais en même temps l'habitacle vous mène, impose son pouvoir. Dans ce silence capitonné de solitude, on est un peu comme dans un fauteuil de cinéma: le film défile devant soi, et semble l'essentiel, mais l'imperceptible lévitation du corps donne la sensation d'une dépendance consentie, qui compte aussi.
Dehors, dans le faisceau des phares, entre le rail à droite et les buissons à gauche, c'est la même quiétude. Mais on ouvre la vitre d'un seul coup, et le dehors vient gifler la demi-somnolence: c'est la vitesse crue qui resurgit. Dehors, cent vingt kilomètres à l'heure ont la densité compacte d'une bombe d'acier lancée entre deux rails.
On traverse la nuit. Les panneaux espacés – Futuroscope, Poitiers-Nord, Poitiers-Sud, prochaine sortie Marais poitevin – ont des noms bien français qui sentent les leçons de géographie. Mais c'est une saveur abstraite, une réalité aveugle que l'on efface avec un vieux fond de roublardise cossarde: cette France virtuelle que l'on abolit, un pied sur l'accélérateur, un œil sur le compteur kilométrique, c'est une leçon de plus que l'on n'apprendra pas.
Cafétéria dix kilomètres. On va s'arrêter. Déjà on aperçoit la cathédrale de lumière toute plate au loin, et de plus en plus large, comme le port s'avance à la fin d'un voyage en bateau. Super + 98. Le vent est frais. Cet assentiment mécanique du bec verseur, le ronronnement du compteur. Puis la cafétéria, une épaisseur vaguement poisseuse, comme dans toutes les gares, tous les havres nocturnes. Expresso – supplément sucre. C'est l'idée du café qui compte, pas le goût. Chaleur, amertume. Quelques pas gourds, le regard vague, quelques silhouettes croisées, mais pas de mots. Et puis le vaisseau retrouvé, la coque où l'on se moule. Le sommeil est passé. Tant mieux si l'aube reste loin.